Crise au sein de la Banque Centrale, crise dans le secteur pétrolier : rien ne va plus en Libye, un pays divisé et gouverné par deux exécutifs rivaux (le gouvernement d’union nationale de Abdelhamid Dbeibah, installé à l’Ouest, et l’autre dans l’Est, soutenu par le puissant maréchal Khalifa Haftar), où l’on craint une aggravation des tensions entre les deux camps rivaux. Deux crises étroitement liées. Tout a commencé lorsque les factions occidentales ont décidé d’évincer le gouverneur de la Banque Centrale de Libye (BCL), Sadiq Al-Kabir, et de le remplacer par un conseil d’administration rival, ce qui a conduit les factions orientales à arrêter toute production de pétrole. La première conséquence a été l’annonce, la semaine dernière, par les autorités de l’Est, de la fermeture de tous les gisements pétroliers et de la suspension des exportations jusqu’à nouvel ordre. La deuxième a été la fuite du gouverneur de la BCL, suivie de son limogeage.
Dans des déclarations au journal britannique Financial Times vendredi 30 août, Sadiq Al-Kabir a déclaré que les tentatives du premier ministre (de l’Ouest), Abdelhamid Dbeibah, de le remplacer étaient « illégales et non conformes aux accords politiques négociés par l’ONU ». Selon ces accords, il faut l’aval des trois institutions — le Conseil présidentiel, le Haut Conseil d’Etat et le Parlement — pour un changement du gouverneur. Il a également affirmé que les groupes armés menacent et terrorisent les grands employés de la BCL. Al-Kabir était dernièrement critiqué par l’entourage de Dbeibah pour sa gestion des ressources de l’Etat et de la manne pétrolière. La BCL centralise les recettes d’exportations des hydrocarbures et gère le budget de l’Etat qui est ensuite redistribué entre les différentes régions, y compris l’Est.
La réaction du gouvernement de l’Est, basé à Benghazi, ne s’est pas fait attendre. Il a dénoncé dans un communiqué des « attaques et tentatives d’incursion par la force » dans les locaux de la BCL, visant à prendre le contrôle de cette institution de manière « illégale », et qui ont « bloqué et perturbé les transactions bancaires » dans le pays. Et ce, après avoir déclaré « l’état de force majeure » sur les champs et ports pétroliers, ce qui a entraîné leur fermeture, une décision qui est normalement du ressort de la Compagnie nationale de pétrole (NOC).
« En effet, la BCL symbolise la lutte de pouvoir entre les deux camps. La décision du gouvernement de Tripoli a été prise pour attirer à nouveau l’attention de la communauté internationale envers la crise libyenne, éclipsée par la guerre de Gaza et les risques d’escalade régionale qu’elle engendre. Chacun des deux camps défend ses propres intérêts, chacun veut contrôler les ressources du pays pour avoir plus de droit de le diriger », explique Dr Samah Rashed, politologue au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. « La situation est désormais critique, il existe des doutes sur les capacités des dirigeants actuels de la BCL de faire fonctionner cette institution », ajoute-t-il.
Inquiétude de la communauté internationale
Cette situation a poussé la Mission d’appui de l’ONU en Libye (Manul) à mettre en garde contre un risque d’« effondrement financier et économique » du pays. La Manul a qualifié de « décisions unilatérales » aussi bien le remplacement d’Al-Kabir que la fermeture « jusqu’à nouvel ordre » par le camp de l’Ouest des gisements et terminaux pétroliers. Par ailleurs, l’ONU et les Etats-Unis ont appelé les acteurs politiques en Libye à une réunion « urgente » pour désamorcer cette crise et atteindre un consensus fondé sur des accords politiques, des lois et le principe de l’indépendance de la BCL, selon un communiqué commun.
Mais ce sont les Européens qui s’inquiètent le plus de la crise en Libye. « L’Union européenne est largement dépendante du pétrole et du gaz libyens, elle importe plus de 60 % de la production libyenne. La poursuite des tensions affecte donc directement les intérêts des Européens », affirme Rashed, tout en ajoutant que « la communauté internationale exerce de fortes pressions pour ne pas ouvrir un nouveau front en plus de la guerre en Ukraine et à Gaza ».
La situation est d’autant plus inquiétante que ces tensions se doublent de craintes d’une nouvelle escalade, après des mouvements de troupes de l’Est annoncés la semaine dernière, ayant pour objectif, selon des médias et analystes, une zone du sud-ouest contrôlée par Tripoli. Cette annonce a suscité la préoccupation de diverses parties libyennes et internationales, poussant les forces pro-Haftar à nier toute intention de lancer une offensive contre des positions de Tripoli.
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