« Possède ta maison dans un compound équipé d’une technologie sophistiquée qui vous offre un mode de vie moderne, durable et ami à l’environnement à Zayed ou à Tagammoe ». « Tu mérites de vivre dans une villa entourée de jardins et d’un paysage pittoresque sur la fontaine dansante ». « Dépêche-toi et réserve ton habitat dans le premier complexe au Caire qui comprend une plage » … Tels sont des extraits de publicités qui ne cessent de nous bombarder chaque jour via les médias et les réseaux sociaux par les promoteurs immobiliers promouvant un nouveau style de logement aux prix exorbitants.
« Je reçois sans cesse des appels téléphoniques de ces courtiers, cela ne m’a pas pour autant influencée », raconte Noha Al-Henawi. Cette habitante du quartier de Maadi continue à résister à ce flux de pubs qui ravagent son quotidien. « J’ai décidé de ne plus céder à cette tendance. J’étais tout à fait satisfaite de mon style d’habitat jusqu’au jour où ce message m’est parvenu d’un front que je n’aurais jamais imaginé, mon petit enfant », explique Noha, une journaliste qui a décidé de raconter son expérience à travers un podcast diffusé à travers le site Khat 30 (la ligne 30). A travers ce programme, elle montre une discussion qui a eu lieu avec Ibrahim, son enfant de 11 ans, durant laquelle elle aborde les questions perturbant ce petit garçon. Bien qu’il habite dans le quartier chic de Maadi, ses camarades de classe se moquent de lui car il n’habite pas dans une villa dans les nouveaux compounds situés dans les nouveaux quartiers périphériques du Caire. « Pour la première fois, je sentais que mon fils était soumis à une sorte de pression de la part de ses copains aussi bien que de l’entourage familial. Mon mari et moi, nous avons voulu investir dans l’éducation de notre fils. Raison pour laquelle on l’a inscrit dans une école internationale, pour lui fournir un enseignement de qualité. Mais le milieu où il se retrouve a eu un impact négatif sur lui, et nous devons y faire face, afin qu’il ne se sente pas inférieur à ses pairs », poursuit Noha, qui elle-même avait passé ses études à l’Université américaine du Caire, l’une des plus prestigieuses institutions éducatives en Egypte.
Ma valeur dans le regard de l’autre
Le cas de Noha n’est pas unique. Aujourd’hui, ce genre de pression s’observe dans beaucoup de foyers égyptiens. Sara, ingénieure de 42 ans, divorcée et mère de deux filles de 16 et de 10 ans, assure que les querelles ne manquent pas dans son foyer, avec toujours, en toile de fond, les questions matérielles. « Les choix de ma fille vont toujours vers tout ce qui cher. Bien qu’elle soit dans une excellente école nationale, elle rêve de rejoindre une école internationale, et plus tard, une université privée pour fréquenter la haute société », raconte Sara. C’est sans compter les dépenses quotidiennes comme le budget des produits cosmétiques que sa fille demande chaque mois pour prendre soin de ses cheveux et de sa peau et qui remonte à 2 000 L.E. par mois.
Faire comme les autres pour être intégrés dans le groupe, un souci majeur pour les ados.
« Pour célébrer son 16e anniversaire, il fallait mettre le paquet, pas moins de 15 000 L.E. Malgré le fardeau financier, ma fille estimait que c’était son droit pour ne pas paraître inférieure à ses amis » confie-t-elle.
Pourquoi pas moi ? C’est ce que répètent sans cesse les ados, notamment ceux de ce qu’on classifie comme la classe moyenne supérieure. Et durant les vacances d’été, les comparaisons n’en finissent pas. Mona, femme au foyer et mère de trois enfants de 28, 23 et 14 ans, raconte son calvaire : « Quand on va à la Côte-Nord, ma petite fille me bombarde par ses questions provocantes. Pourquoi mon grand-père ne vend-il pas cette villa située au côté tayeb (le bon, c’est-à-dire les anciens villages touristiques moins luxueux que les nouveaux à la mode, la Côte méchante comme on le dit, plus in, plus huppée et plus chère) afin que je puisse inviter mes amis? Pourquoi ne pas avoir une voiture de golf ? », etc. Mona raconte qu’elle ne rencontre pas ce genre de problème avec les aînés, peut-être parce que ce sont des garçons. « Avec la petite, les marques des maillots et leurs modèles et les robes d’été sont un vrai casse-tête. Elle veut tout le temps impressionner et ne pas remettre les mêmes tenues », se plaint-elle.
La situation est parfois aggravée par l’entourage adulte de l’enfant, y compris son cercle familial qui se trouve entraîné dans ce cercle vicieux et amplifie parfois cette pression sociale. C’est la comparaison avec les autres qui est à l’origine de tout, les critères stricts qui déterminent la position sociale de chacun. Ces critères sont étroitement liés à la maison où l’on habite, aux marques de luxe qu’on porte, à la marque de la voiture, aux écoles ou aux universités des enfants. « Et quand je résiste, je suis accusée d’être la cause de la chute de son prestige social. Je me retrouve toujours en train de me défendre, bien que je n’aie jamais adopté cette logique qui compte essentiellement sur les apparences et la consommation », explique Sara, en ajoutant que les parents se soumettent donc à une sorte d’abus émotionnel de la part de leurs enfants, parfois même du chantage.
Une génération trop mondialisée
Selon Dr Nihal Lotfy, professeure de psychologie pédagogique à l’Université du Canal de Suez, ce genre de pression socioéconomique est lié à l’influence. C’est, en effet, l’influence qu’exercent les membres d’un même groupe social sur une personne pour qu’elle se conforme à eux, afin d’être acceptée dans le groupe. Les pairs ne doivent pas nécessairement être des amis proches, il peut s’agir de camarades d’école ou au club, ou même des homologues ayant le même âge et qui exercent une influence à travers même les réseaux sociaux, d’autant que cette génération est trop mondialisée.
Selon la théorie de l’apprentissage social, le processus d’apprentissage et d’acquisition de nouveaux comportements est supposé se dérouler par l’observation, l’imitation et l’interaction avec les autres. Ces interactions sociales positives renforcent souvent la confiance des individus, mais les choses se compliquent lorsque le comportement renforcé est négatif. « Les adolescents semblent être les plus susceptibles de tomber dans le piège de la pression des pairs, car ils ont un âge critique où ils sont plus enclins à être indépendants de l’influence de leurs parents, alors qu’ils ne sont pas encore en mesure d’établir leurs propres valeurs ou concepts en matière de relations humaines. Dans leur quête d’acceptation sociale, ils deviennent plus enclins à adopter des comportements contraires à leurs valeurs, sans en mesurer les conséquences », explique l’experte.
Cette conclusion est étayée par une étude récente publiée dans le journal officiel de l’American Academy of Paediatrics, selon laquelle la réaction d’une personne à la pression des pairs suit une courbe en forme de U. La réaction à la pression des pairs diminue pendant l’enfance et le début de l’adolescence, augmente au cours du collège, puis diminue à nouveau au cours du lycée. Il en résulte un fossé entre les parents et les enfants, qui affecte le bonheur, le confort psychologique et la communication au sein de la famille en raison des reproches et des désaccords entre les membres de la famille. Les parents ont l’impression de faire ce qu’ils ont à faire et plus encore. Et les enfants, quant à eux, pensent que les parents n’ont pas suffisamment réussi dans leur vie afin de leur garantir une vie confortable, comme l’évoque Mazen de 17 ans, étudiant en deuxième secondaire.
Et la solution ? Noha a montré à travers son podcast comment elle a pu faire face à ce genre de pression avec son fils Ibrahim. Son astuce était de le mettre en contact avec des enfants plus modestes vivant en province ou de moindre condition sociale. « J’ai voulu tout simplement élargir le cercle de connaissances de mon fils et lui présenter d’autres styles d’habitat et de vie afin d’ouvrir son esprit à la réalité où vit la majorité non seulement de sa société, mais aussi du monde entier », dit-elle.
Quant à la psychologue Nihal Lotfy, mère de quatre enfants, elle lance à son tour des conseils aux parents : « Il faut promouvoir l’estime de soi et la confiance en soi, maintenez la communication avec vos enfants, apprenez-leur à dire non aux suggestions de leurs pairs et proposez-leur des excuses qu’ils peuvent utiliser. Et au lieu de critiquer leurs amis, parlez à votre fils du comportement que vous n’aimez pas, pas des personnes, et aidez-le à réaliser son impact négatif sans le juger. Et enfin, choisissez judicieusement vos batailles: vous ne devez pas toujours être d’accord avec leurs choix vestimentaires ou la façon dont ils décorent leur chambre, mais laissez-leur une grande liberté afin de pouvoir intervenir en cas de danger ».
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