Il s’agit sans doute d’une visite historique, qui survient après plus d’une décennie de rupture. Le président Abdel Fattah Al-Sissi entame le 4 septembre sa première visite en Turquie depuis son arrivée au pouvoir en 2014. Cette visite vise non seulement à donner un nouvel élan aux relations bilatérales en termes politiques, diplomatiques et économiques, mais elle intervient également à un moment crucial pour la région, qui souffre de perturbations intenses à tous les niveaux.
Les deux dirigeants devront, au cours de la visite, présider la première réunion du Conseil de coopération stratégique lancé en février lors de la visite du président turc au Caire. L’ambassadeur de Turquie au Caire, Salih Mutlu Sen, a révélé que la visite marquerait la signature de nombreux accords sur diverses questions, notamment économiques, commerciales et techniques. « La visite suscitera également un grand intérêt de la part de l’opinion publique turque, égyptienne et internationale », a-t-il expliqué, assurant que la visite « contribuera à renforcer et à approfondir les liens de fraternité historiques entre les deux pays ». L’ambassadeur a affirmé que « les relations entre Le Caire et Ankara visent à atteindre trois axes principaux : la paix, la prospérité et le développement », précisant que « la coopération dans le domaine de l’économie et du développement occupe une place prépondérante dans les discussions entre les deux pays ». Il a assuré que « l’Egypte est un pays important pour la Turquie », ajoutant que la coopération attendue entre les deux pays englobera le domaine militaire.
De son côté, Mohamed Al-Orabi, président du Centre égyptien des affaires étrangères et ancien ministre des Affaires étrangères, a souligné que « le rapprochement égypto-turc constitue une étape majeure pour assurer la stabilité régionale et tenter de trouver des solutions aux problèmes presque chroniques de la région ». Il a ajouté que cette visite aura de nombreuses répercussions stratégiques, étant donné que la région a besoin d’un plus grand degré de coopération plutôt que de confrontation entre les forces régionales, notamment dans le contexte actuel et la guerre à Gaza.
La visite du président Sissi répond à l’invitation de son homologue turc, Recep Tayyip Erdogan, lors de sa première visite en Egypte en février dernier. Ces échanges de visites à haut niveau marquent la fin d’une décennie de désaccords et de tensions, ouvrant la voie à un réchauffement des relations bilatérales. Il convient de rappeler que la normalisation s’est accélérée suite à la rencontre des deux présidents lors de l’ouverture de la Coupe du monde au Qatar en 2022. Les deux pays ont annoncé en juillet 2023 que leurs relations diplomatiques seraient élevées au niveau d’ambassadeurs. Le rapprochement a atteint son apogée avec la visite d’Erdogan au Caire.
Renforcer la coopération économique
Concernant les questions économiques, l’expert des affaires turques au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram, Karam Saïd, souligne la grande importance du lancement du Conseil stratégique entre les deux pays. « Discuter de la coopération conjointe et activer le Conseil stratégique représentent la matérialisation des relations bilatérales, qui ont parcouru un long chemin en termes de stabilité et d’expansion. Ce conseil vise à augmenter les échanges commerciaux de 10 à 15 milliards de dollars, à renforcer les investissements bilatéraux et à résoudre les problèmes en suspens auxquels sont confrontés les investissements turcs en Egypte et vice-versa », a-t-il relevé.
Saïd ajoute que les relations économiques ont toujours constitué la pierre angulaire des relations entre l’Egypte et la Turquie. Il rappelle que « malgré le désaccord politique persistant depuis 2013, les relations économiques et commerciales bilatérales n’ont jamais été interrompues. Aujourd’hui, ce rapprochement est prometteur. On prévoit une augmentation significative des échanges commerciaux entre les deux pays, puisque l’un de leurs principaux objectifs est de coopérer pour affronter les mauvaises conditions économiques mondiales ».
En effet, la première étape du partenariat en matière d’investissements entre les deux pays a été le projet de création d’une zone industrielle et logistique turque dans la région de Jarjoub à Marsa Matrouh (ouest), afin d’exploiter l’emplacement stratégique de ce port méditerranéen pour mettre en oeuvre plusieurs projets économiques.
Gaza et la sécurité en Méditerranée
Saïd explique que la guerre à Gaza et la détérioration de la situation dans la région appellent à des efforts combinés de l’Egypte et de la Turquie, dans le but d’intensifier la pression internationale en faveur d’un consensus sur la question palestinienne et la situation à Gaza. « Un effort conjoint égypto-turc pourrait constituer le pilier le plus important pour résoudre la question palestinienne au cours de la prochaine étape », explique-t-il.
Un autre volet important concerne la sécurité et le gaz en Méditerranée. L’Egypte et la Turquie, en tant que puissances régionales au Moyen-Orient, peuvent former ensemble un facteur de stabilité régionale en Méditerranée, dont l’importance augmentera considérablement dans les années à venir en raison des opportunités et des défis qu’elle représente. L’Egypte peut mener une médiation pour un rapprochement entre la Turquie, Chypre et la Grèce, notamment en matière de démarcation de leurs frontières maritimes, et pour aider Ankara à joindre le Forum du gaz naturel de la Méditerranée orientale, créé au Caire dans le but de gérer les richesses gazières de la région. En échange, explique Saïd, la Turquie, qui est influente en Ethiopie, peut jouer un rôle important dans la résolution de la crise du barrage de la Renaissance. « La moitié des investissements turcs en Afrique sont concentrés en Ethiopie et peuvent donc jouer un rôle efficace pour atténuer l’impact du différend entre l’Egypte et l’Ethiopie », conclut-il.
Une coopération militaire à l’horizon
La coopération militaire entre l’Egypte et la Turquie devrait suivre la normalisation des relations bilatérales. La ville d’Al-Alamein sur la Méditerranée (ouest) accueille l’Exposition internationale de l’air et de l’espace du 3 au 5 septembre 2024 à l’aéroport international d’Al-Alamein, à laquelle participent pour la première fois des avions militaires turcs, parmi plus de 100 pays et plus de 300 entreprises de l’aéronautique et de l’industrie spatiale.
L’exposition intervient quelques jours après que l’Egypte a reçu le navire militaire turc TCG Kinaliada à la base navale d’Alexandrie après une interruption de 12 ans. L’ambassadeur de Turquie au Caire, Salih Mutlu Sen, a déclaré que son pays était intéressé à participer au salon aéronautique égyptien, expliquant que l’avion d’attaque et d’entraînement léger Hurjet de fabrication turque et deux avions F-16 participeront à l’exposition.
Il a indiqué que la Turquie apprécie la force et la position prestigieuse des forces armées égyptiennes, ainsi que l’importance de l’Egypte, soulignant que les développements positifs dans les relations bilatérales entre l’Egypte et la Turquie se poursuivront dans la période à venir. Plus important, le ministre turc des Affaires étrangères, Hakan Fidan, avait annoncé en février dernier que son pays « acceptait de fournir à l’Egypte ses drones de plus en plus populaires », soulignant que l’accord s’inscrivait « dans le cadre de la normalisation des relations entre les deux pays ».
Lien court: