« J’ai peur de me réveiller un matin, me regarder dans le miroir et ne pas me reconnaître avec un corps qui change à cause de la ménopause, aux traits ridés et à la poitrine tombante », lance Mahi, 46 ans, angoissée par l’idée de voir son physique changer au fil des années. Pour elle, l’âge n’est pas qu’un chiffre comme on dit. La cinquantaine, la ménopause bouleverse le corps et l’esprit des femmes : bouffées de chaleur, troubles du sommeil ou migraines, diminution de la masse musculaire et de la souplesse de la peau qui favorise l’apparition des rides, prise de poids … Pas facile de vieillir. « Nous les femmes, nous portons un fardeau de plus, celui de devoir rester belle et de tout faire pour cacher les signes de vieillissement qui transforment notre corps avec les années qui passent. Aujourd’hui, je sens ce besoin de freiner les marques du temps et je réalise que je suis officiellement entrée dans le monde des vieux. Pas vieux dans le sens de personne âgée, mais vieux dans le sens de se faire appeler madame par les gens dans la rue », explique Mahi qui se regrette les petites dragues dans la rue. Et bien qu’au fond d’elle, elle se sente parfaitement bien, elle est fâchée contre cette société qui rejette les femmes dès qu’elles changent de silhouette ou deviennent ridées.
Pour elle, une belle femme est une femme vivante, lumineuse, joyeuse, quel que soit son âge ! Alors que les cheveux colorés, les corps juvéniles et les rides masqués sont légion dans les médias. Mahi s’insurge contre le diktat d’une « péremption » féminine qui commence dès 50 ans. Elle refuse de donner son âge et ne veut plus se plier à cette question paraissant anodine mais qui crucifie les femmes en les figeant dans une catégorie, car à l’approche de la cinquantaine, elles semblent comme grillées.
Le devoir de rester belle et sexy est un lourd fardeau qui pèse sur les femmes.
Idem pour Abir, 52 ans, qui voit que l’âge n’est pas seulement une question d’apparence. « En prenant de l’âge, notre corps nous rappelle que nous n’avons plus 20 ans : douleurs, faiblesse, perte de mémoire, etc. Et plus que tout, notre image dans le miroir commence à nous déplaire. Nous n’aimons ni ces rides qui nous donnent l’air sévère, ni ce ventre qui, malgré tous les régimes, ne disparaît pas. Nous commençons à vieillir », affirme Abir qui se sent obligée de lutter contre le poids, les rides, la fatigue due au sommeil perturbé, la fragilité émotionnelle, les sautes d’humeur, etc., pour garder son allure. « L’âge nous alerte petit à petit et nous frappe de plein fouet, à travers la remarque d’un proche, la case d’un formulaire de santé qu’il faut cocher, des lunettes devenues indispensables et surtout cette image que l’on voit dans un miroir », affirme cette quinquagénaire qui subit déjà un corps qui gonfle ou qui surchauffe avec la ménopause. Des pattes d’oie se dessinent sous ses yeux quand elle sourit depuis déjà un bout de temps, mais peu lui importe. « J’ai vieilli, comme tout le monde. C’est comme ça la vie, on ne s’en va pas par en arrière, mais par en avant. Et en allant de l’avant, on fane », poursuit-elle, tout en ajoutant que bien que le spectre de la vieille peau ne lui hante pas beaucoup l’esprit, elle a une peur bleue de ne pas pouvoir porter toujours ses hauts talons, symbole de beauté, d’élégance et de féminité.
Le droit à la vieillesse, un combat pour les femmes
S’il est bien une peur vieille comme le monde, c’est celle de vieillir. Une peur fondée sur les croyances sociales. Car la vieillesse est toujours évoquée en termes négatifs, ce qui donne une impression d’inutilité à une personne senior. Selon l’ONU, aujourd’hui 600 millions de personnes dans le monde ont plus de 60 ans, un chiffre appelé à doubler d’ici 2025. On estime également que 6,3 millions de cas de dépression dans le monde sont dus à l’âgisme, d’après un rapport de l’ONU paru en 2021. En effet, l’âgisme reste très prégnant dans notre société, et encore plus quand il s’agit des femmes. Clichés, idées reçues et stéréotypes alimentent les tabous autour du vieillissement des femmes. Autrement dit, quand la société instille l’angoisse de vieillir, les femmes sont les premières à en souffrir.
Rania Kamal, grand-mère, a 62 ans, et quand elle doit se présenter, elle ne se définit pas par son âge. Et pourtant, depuis qu’elle a la cinquantaine, elle est sans cesse jugée à travers ce prisme. « Comme si, pour les femmes, 50 était une date butoir, un tournant de vie qui les rendait moins intéressantes, moins belles et séduisantes, donnant à l’époux un prétexte pour prendre une seconde épouse plus jeune », confie-t-elle. Même écho pour Amal. Pour elle, 69 ans, c’est beaucoup trop vieux ! Elle préférerait avoir 49 ans. « Nous vivons dans une époque où il est possible de changer son nom et son genre, alors pourquoi pas son âge ? », ironise-t-elle. Cette sexagénaire soutient qu’elle a le corps et le visage d’une femme plus jeune. D’où le fait de mentir sur son âge. Elle analyse la honte, l’humiliation, la phobie sociale que ressentent les femmes seniors. « Prendre de l’âge ok, mais en restant belles, minces et sans trop de signes visibles de l’âge », lâche Amal.
Diktat de l’apparence et stéréotypes socioculturels
Mais pourquoi fait-on croire aux femmes qu’elles n’ont pas le droit de vieillir ? Est-il encore possible aux femmes d’échapper aux normes jeunistes ? De se libérer du carcan de l’âge ? Pourquoi alors faut-il toujours empêcher la nature de suivre son cours ? Pourquoi faut-il dépenser tant d’argent pour effacer toute trace d’expérience sur notre visage et notre corps ?
Les signes physiques de l’âge dérangent habituellement les femmes plus que les hommes.
Dr Imane Abdallah, sociologue, estime que nous vivons dans une société patriarcale où sexisme et âgisme se cumulent et conduisent à l’invisibilité des femmes après un certain âge. L’un des principaux stéréotypes est : les hommes se bonifient avec l’âge alors que les femmes tendent à tomber en décrépitude. Les médias et les réseaux sociaux sont obsédés par l’apparence et l’âge des femmes. A partir du moment où les stars et les célébrités commencent à passer la cinquantaine, les gens se permettent de juger leur physique ou leur look en toute impunité. Elles se font régulièrement lyncher sur Facebook et Twitter, parfois même par leurs propres fans, qui leur reprochent d’avoir trop abusé du bistouri. « On dirait que c’est devenu un sport de ridiculiser les célébrités qui ont recours à la chirurgie esthétique. Ce qui pousse certaines d’elles à avoir recours aux retouches tant digitales que chirurgicales. Ces filtres virtuels proposés par les réseaux sociaux pour améliorer l’apparence sont susceptibles de causer des troubles psychologiques chez les célébrités. Chose qui révèle le malaise d’une société qui associe la féminité à la jeunesse et où les femmes sont des denrées périssables », souligne Dr Abdallah, tout en ajoutant que la peur de vieillir est liée à d’autres phobies : peur de la maladie, du temps qui passe et surtout peur de mourir. Et ces fragilités surviennent tout au long de la vie. Vers 30 ans, l’horloge biologique chez la femme lui rappelle combien le temps file. Autour de 40 ans, la crise du milieu de vie s’exprime parfois par une remise en cause de notre existence. A 50 ans, les changements dans le corps et la ménopause sont les premiers signes d’un vieillissement. Et vers 60 ans survient la peur de la solitude, de la maladie, de la perte de mobilité ou encore d’être une charge pour l’entourage.
Un avis partagé par la féministe Ghada Nabil qui fulmine les préjugés liés à l’âge des femmes et souhaite, à tout prix, décomplexer notre apparence face aux années qui défilent. S’accepter, tordre le cou à cette obsession d’éternelle jeunesse et s’autoriser à vieillir sereinement sont les mantras qu’elle défend avec audace. « Vieillir, ce n’est ni s’éteindre ni disparaître, c’est vivre. Ainsi, il faut différencier entre l’âge chronologique et l’âge physiologique, qui relève de la perception. Ne peut-on pas se sentir vieux à 30 ans, et plus jeune que jamais à 50 ans ? Chose qui relève en grande partie de l’hygiène de vie. Une fois que l’on a compris le mode d’emploi de son corps et que l’on met en place ce qu’il faut pour ralentir sa dégradation, on a la main sur son âge biologique. On peut programmer ou reprogrammer son âge. L’objectif est de s’aimer, habiter son corps sans complexe », explique-t-elle.
Oser
Cependant, Amal Omar, esthéticienne, pense qu’il faut garder en tête que si la vieillesse est une fatalité, ce n’est pas une maladie. D’ailleurs, elle ne se soigne pas. Cela n’empêche pas de vouloir la masquer avec un bon maquillage ou quelques séances de chirurgie esthétique. Des soins densifiants, détoxifiants, anti-rides, tonifiants, etc. Il y en a de toutes sortes. « Les femmes aiment être belles et prendre soin d’elles-mêmes. Il n’y a pas de limite. Il existe de plus en plus de traitements, les femmes dépensent de plus en plus pour les avoir et les standards de beauté s’élèvent et se dénaturent de plus en plus », confirme-t-elle.
Or, si les unes ont eu recours à la chirurgie esthétique pour gommer les années, d’autres ont décidé d’évacuer leur peur de vieillir, et ce, en essayant de maintenir leur corps en bonne santé. Fatiguées des diktats misogynes de la société, des célébrités et des influenceuses s’affichent aujourd’hui 100 % naturelle sur les réseaux sociaux : sans aucun filtre flatteur, sans maquillage, avec leurs cheveux grisonnants et leur épiderme imparfait. Elles proposent une autre façon d’accompagner leur vieillissement : celle de prendre soin de leur capital santé à travers le sport, l’alimentation et des soins naturels. « Il est temps de mettre fin à cette quête perpétuelle de la jeunesse éternelle, ainsi qu’à l’illustration de l’obsession de notre société pour le jeunisme, pour les corps de moins de 30 ans », conclut l’influenceuse Amani Khalil, qui estime que vieillir après la retraite, c’est profiter du temps, vu qu’à 60 ans ou plus, on a acquis une maturité et une expérience qui font qu’on voit la vie autrement, avec moins de stress (autrefois lié au travail et à l’éducation des enfants), ce qui est très bon pour la santé.
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