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Hisham Abdel-Khalek : Rêver grand

Névine Lameï, Mercredi, 21 août 2024

Le producteur égyptien Hisham Abdel-Khalek a été récemment désigné président de la Chambre de l’industrie du cinéma. Actif depuis les années 1980 dans le champ culturel, il connaît à la perfection les ficelles du métier.

Hisham Abdel-Khalek
(Photo : Hicham Aboul-Amayem)

Hisham abdel-khalek a été récemment élu à la majorité des voix comme président de la Chambre de l’industrie du cinéma en Egypte. Producteur et distributeur, trois de ses films étaient à la tête du box-office pendant la fête du grand Baïram, à savoir Al-Leab Maa Al-Eyal (jeu d’enfants), Ahl Al-Kahf (les gens de la caverne) et Essabet Al-Max (le gang d’Al-Max). « J’aspire tout d’abord à faire comprendre aux gens le rôle de la Chambre de l’industrie du cinéma, dont l’assemblée générale réunit tous les producteurs, distributeurs et exploitants de salles. Elle est affiliée au ministère de l’Industrie, et non au ministère de la Culture, qui se préoccupe plutôt du contenu. Et a été créée en 1947 par décret ministériel afin de surmonter les obstacles qui entravent l’industrie », souligne Hisham Abdel-Khalek, dans son bureau somptueux à Maadi, offrant une vue panoramique sur le Nil. Et d’ajouter : « A l’époque, l’Egypte produisait 100 films par an, elle était la deuxième plus ancienne industrie cinématographique au monde, après la France. Le cinéma égyptien a commencé avant le Hollywood américain et le Bollywood indien. Mais malheureusement, aujourd’hui la production annuelle ne dépasse pas les 40 films. Et ce, à cause des changements politiques qu’a connus le pays à partir de 1956, notamment la nationalisation et l’intervention du secteur public. Ces derniers temps, il y a eu l’effet de coronavirus. Mais il faut essayer de faire face à la précarité de la situation et de combler les lacunes du système, tout en prenant en considération la taille actuelle du marché saoudien et la croissance des plateformes de streaming. J’espère qu’on parviendra à produire 60 films par an ».

Pendant les neuf mois à venir, soit la durée de son mandat, il doit réaménager la Chambre de l’industrie, repenser les mécanismes de travail et de coordination avec toutes les parties concernées. « Donner la parole aux cinéastes afin d’exprimer leurs soucis et préserver leurs droits sont à la tête de mon agenda. Tous les membres de la Chambre du cinéma désirent ardemment faire évoluer la situation, et c’est un signe positif », indique Hisham Abdel-Khalek, cherchant à ouvrir de nouveaux marchés aux films égyptiens.

En 2014, il a fondé un multiplexe au centre commercial Cairo Festival, au Nouveau Caire. Et en 2022, il a ouvert un autre au District Five, sur l’autoroute Al-Sokhna- Qatamiya. Il en est fier : « Celui-ci comporte les salles de cinéma les plus chics de toute l’Egypte. C’est devenu un hub pour les cinéphiles ».

La liste des films à succès qu’il a produits est longue. Pas mal d’entre eux ont combiné réussite commerciale et qualité artistique, comme Al-Guézira I et Al-Guézira II (2007- 2014), Cheikh Jackson (2017), Voy Voy (2023), Wech Fi Wech (face-à-face, 2023) et Al-Harrifa (les pros, 2024).

A un moment donné, il a misé sur le talent d’Ahmad Al-Saqqa et lui a produit plusieurs films qui ont été à la tête du box-office, comme Tito et Harb Atalia. « Le premier a été distribué en Italie et le deuxième a été projeté à Vienne, à Paris et à New York. Al-Saqqa est capable de tout jouer, des films d’action, des romances, des comédies … Personnellement, je préfère la comédie et l’action, ce sont mes genres favoris sans verser dans le strictement commercial ».

Par expérience, le producteur sait avec qui travailler et quelles sont les personnes avec qui il a des choses en commun. « J’aime travailler avec le réalisateur Chérif Arafa, très ponctuel et d’un grand professionnalisme, avec le comédien Karim Abdel-Aziz avec qui je partage le même sens de l’humour, avec le comédien Ahmad Ezz, un vrai bosseur qui partagera la vedette de mon prochain film Ferqet Al-Mawt (la brigade de la mort), fin 2024. Celui-ci intervient après le succès d’Al-Mamar (le passage, 2019), traitant de la guerre d’usure entre 1967 et 1970 », précise Abdel-Khalek qui apprécie particulièrement le film Al-Rossassa la Tazal fi Gaybi (la balle est toujours dans ma poche, 1974), portant sur la guerre d’Octobre 1973 entre l’Egypte et Israël. Et à lui de poursuivre : « C’est un film intemporel, il reste ancré dans l’esprit du peuple. Je rêve de produire un film historique à l’instar du chef-d’oeuvre de Chahine, Al-Nasser Salaheddine (Saladin, 1963) ».

Le cinéaste porte un amour fou pour son pays, il reconnaît son attachement à chaque fois qu’il s’en éloigne. « J’ai voyagé partout dans le monde et j’ai eu l’occasion de m’installer ailleurs, mais j’étais souvent ravagé par la nostalgie. J’aime l’Egypte, malgré tout son côté chaotique. J’ai vécu un peu à Dubaï, où les immeubles sont brillants et très propres. Mais ici, c’est la vraie vie, loin de toute chose factice, et ceci m’enchante ».

En 2011, il a produit Fassel Wa Naoud, sorti quelques mois avant la Révolution du 25 Janvier. « Cette fiction avait prédit la révolution. Il soulignait qu’on passait par des moments troubles, en attendant l’arrivée d’un salvateur ».

A ses débuts, Hisham Abdel-Khalek a travaillé dans le domaine de la production télévisée. Puis, il est parti aux Emirats arabes unis et a dirigé la boîte de production Al- Massa, déjà en place et impliquée dans la distribution des films indiens, américains et égyptiens. Et ce, avant d’installer Al-Massa en Egypte en 1994. « Que nos films égyptiens bénéficient d’une bonne distribution, cela aidera les comédiens à être reconnus mondialement. L’Autorité générale du divertissement en Arabie saoudite attire désormais les vedettes égyptiennes, il faudrait donc penser à des solutions alternatives. Pourquoi ne pas aussi travailler avec les étoiles montantes, capables de bouleverser la donne actuelle ? Le cinéma est une industrie, un marché comme tous les autres, qui obéit aux lois de l’offre et de la demande. Pourquoi le cinéma américain est-il à l’assaut du monde ? C’est parce qu’il s’agit d’une industrie puissante et très structurée, dans laquelle le financement et les stratégies du marketing sont au premier rang des critères de décision. C’est ce que j’aspire à atteindre en Egypte », explique Hisham Abdel-Khalek. Et d’ajouter : « Il ne faut pas restreindre la distribution de nos films égyptiens aux pays du Golfe et ceux de l’Afrique du Nord, mais étendre notre marché ».

Le producteur rêve grand, en ayant les pieds sur terre. Pour commencer, il a sollicité l’aide de divers ministères qu’il cherche à impliquer dans ses projets ambitieux.

« Je veux faciliter la tâche des cinéastes, en réduisant les tarifs de location des lieux de tournage, à titre d’exemple. Je pense également à organiser des semaines pour le film arabe en Egypte et vice-versa », indique Abdel-Khalek, ayant tant de défis à relever. Mais il compte sérieusement sur son expérience professionnelle qui a débuté dans les années 1980.

Sans compliquer les choses, Hisham Abdel-Khalek tient à expliquer les carences de l’industrie. Et ce, de manière spontanée, sur un ton gai, même lorsqu’il décrit une réalité assez morne. « J’aime la simplicité en tout. De petits riens me font plaisir. Je préfère manger du houmous (pois chiches) sur la corniche ou siroter un thé dans un café populaire avec des amis au lieu de rester dans des restaurants étoilés ou des endroits bruyants ».

Diplômé de la faculté de commerce de l’Université du Caire en 1981, il a commencé par travailler dans le secteur bancaire. Et ce, avant de collaborer avec le producteur palestinien Riad El-Eryan (1930-2002). « Il était mon mentor », exprime-t-il avec gratitude. Après avoir terminé son service militaire, il est parti en Grèce avec El-Eryan qui tournait des séries de télévision là-bas. Et a grimpé petit à petit les échelons, avant de se diriger vers les Emirats arabes unis, avec son ami le producteur-réalisateur Ahmad El-Eryan (fils de Riad). Ensemble, ils ont fait un grand saut dans le domaine de la pub télévisée et ont fondé un premier multiplexe dans le pays. Puis, ils ont produit en 1996 leur premier feuilleton égyptien, Aboul-Ella 90, avec le comédien de renom Mahmoud Morsi.

« Mes parents n’avaient rien à voir avec le milieu du cinéma, ils sont ingénieurs. Notre maison dans le quartier de Doqqi était parsemée de règles en ligne, etc. Moi, j’étais fan de films indiens et français, souvent des histoires à l’eau de rose. Au lycée Orman, je séchais mes cours pour aller au cinéma », se souvient-il. A l’époque, il était loin de comprendre jusqu’où cette passion va l’emmener. Maintenant, avec son nouveau poste c’est à lui de penser — aidé par d’autres cinéastes bien sûr — l’avenir d’une industrie en péril. « Une industrie qui se porte bien doit reposer sur des établissements solides. Seul, je peux aller vite, mais ensemble, on peut aller encore plus loin », conclut-il.

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