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Amir Gohar : Les changements climatiques ont rendu les zones côtières très vulnérables et l’Egypte ne fait pas exception à la règle

Amira Doss , Mercredi, 14 août 2024

Maître de conférences, chef du programme de planification urbaine à l’Université de l’Ouest de l’Angleterre et auteur de travaux sur le climat et la gouvernance, Amir Gohar revient sur le phénomène du recul des côtes dernièrement observé en Egypte. Entretien.

Amir Gohar

Al-Ahram Hebdo : Pouvez-vous tout d’abord nous expliquer les raisons du phénomène du recul des côtes ?

Amir Gohar : Le phénomène du recul des côtes vers l’intérieur est dû à de nombreux facteurs parmi lesquels l’érosion, qui est l’enlèvement des sédiments côtiers causé par l’action des vagues, les courants ou le vent.

L’élévation du niveau des mers à l’échelle mondiale peut entraîner le recul des côtes lorsque le niveau de la mer est plus élevé et que les eaux inondent certaines régions côtières. Certains phénomènes météorologiques intenses comme les fortes tempêtes peuvent également donner lieu à une érosion côtière importante et soudaine et provoquer un recul du littoral. En plus, les activités humaines peuvent aggraver ce phénomène. Par exemple, la construction de jetées, les dragages de sable et l’extraction de l’eau souterraine peuvent perturber le mouvement naturel des sédiments et entraîner une résorption de la rive.

L’ensemble de ces facteurs s’est fait de plus en plus ressentir ces dernières années à l’échelle mondiale et le phénomène a pris de l’ampleur dans certaines régions plus que dans d’autres. La ville de Venise, par exemple, a connu d’importants affaissements de terrain suite à des travaux d’extraction d’eau souterraine qui ont été suivis par de fortes inondations et un recul remarquable du littoral.

— Le recul des côtes observé dernièrement dans certaines régions côtières d’Egypte est-il donc un phénomène normal, selon vous ?

— Bien que l’érosion et la sédimentation soient des phénomènes naturels et nécessaires pour maintenir l’équilibre des côtes, les activités humaines peuvent perturber ces processus, entraînant un recul accéléré des côtes. C’est à ce moment-là que la situation devient inquiétante. Lorsque le développement des infrastructures empêche la reconstitution des sédiments, les côtes deviennent plus exposées aux forces de l’érosion. Ce phénomène devient potentiellement dangereux si le littoral recule à un rythme plus soutenu que celui des changements saisonniers normaux. Cela peut causer une érosion accrue comme celle qui a eu lieu en Tunisie lors des deux dernières décennies où l’érosion avance en moyenne de 70 cm par an, menaçant les côtes et les populations.

— Certains affirment que le recul du littoral est le signal d’un probable tsunami, qu’en pensez-vous ?

— Il faut d’abord souligner que les tsunamis sont des vagues très puissantes, généralement causées par des perturbations sous-marines. Il est important de comprendre les raisons les plus courantes des tsunamis et qui seraient les plus pertinentes dans le cas de l’Egypte. Il s’agit de tremblements de terre sous-marins, de l’activité sismique qui provoque un déplacement des plaques terrestres au fond des mers et des océans, ce qui fait déplacer des quantités importantes d’eau, générant des vagues. Le glissement de terrain qui a eu lieu dernièrement dans certaines régions d’Afrique a déplacé de grandes quantités de terre et de roches sous-marines. D’autres raisons seraient moins pertinentes dans le cas de l’Egypte comme les éruptions volcaniques ou les vêlages glaciaires.

En effet, plus qu’ils ne causent le recul des côtes, les tsunamis contribuent à ce phénomène. Lorsqu’un tsunami se produit, les vagues qui en résultent peuvent causer une érosion importante des zones côtières. La force massive de ces vagues et le retrait des eaux peuvent éroder les plages et modifier les écosystèmes côtiers.

— Le dernier séisme ayant eu lieu en juillet dernier à l’île de Crête a accentué les craintes d’un possible tsunami en Méditerranée. Ce scénario est-il possible d’après vous ?

— Pour répondre à cette question, il faudrait faire une simulation de ce tremblement de terre. Il est cependant possible que l’impact des récents séismes près de la Crète affecte toute la région méditerranéenne et cause des perturbations géophysiques. L’ampleur de cet impact dépend toutefois de la force des séismes et de la résilience des infrastructures en place dans les régions menacées.

— L’Egypte a témoigné ces dernières semaines d’une mer trouble dans certaines régions. Quel peut en être la raison d’après vous ?

— Les changements climatiques ont rendu les zones côtières très vulnérables et l’Egypte ne fait pas exception à la règle. Les vagues de chaleur, les pénuries d’eau et les émissions de carbone prennent de l’ampleur. La zone géographique du Delta du Nil, la côte méditerranéenne et les chaînes montagneuses sont des zones sensibles où la biodiversité est menacée. La principale préoccupation est de savoir si cette région peut connaître une activité sismique importante ... Un tremblement de terre dévastateur de magnitude de 8,0 peut-il frapper le bassin méditerranéen ? D’après les recherches du Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC), le Delta du Nil est de plus en plus vulnérable aux inondations côtières dues à la hausse du niveau des mers. Le dernier rapport du groupe souligne également qu’environ 2 660 km2 au nord du Delta devraient être submergés d’ici 2100. A Alexandrie et à Port-Saïd, les taux de subsidence annuelle de l’écorce terrestre sont respectivement de 1,6 et 2,3 millimètres, ce qui est supérieur à la moyenne normale.

— Le chercheur néerlandais Frank Hoogerbeets, qui avait prédit le dernier séisme en Turquie, vient de déclarer probable un tsunami dans le bassin méditerranéen. Qu’en pensez-vous ?

— Les prédictions de Hoogerbeets étaient correctes dans le cas de la Syrie et de la Turquie, mais elles ne l’étaient pas concernant le Maroc. A mon avis, il est parfois possible de prévoir la direction et l’intensité des mouvements tectoniques, mais il est beaucoup plus difficile de prévoir l’ampleur et le moment exact d’un séisme. Les écologistes se basent sur les modèles d’occurrence passés pour mieux les comprendre. Il faut donc se référer à l’activité sismique dans la région méditerranéenne pour soutenir ou contester l’hypothèse de Hoogerbeets. En effet, des études importantes ont été effectuées sur les tsunamis en Méditerranée documentant des événements historiques comme le tsunami de Messine en 1908, le séisme du nord de l’Algérie en 2003 qui a affecté les îles Baléares. Une référence importante aussi est le Catalogue du tsunami euro-méditerranéen publié en 2010. Ces études identifient les régions à haut risque en Méditerranée. Selon le Centre allemand des géosciences, les séismes dans la région méditerranéenne peuvent potentiellement atteindre une magnitude comprise entre 7,5 et 8 sur l’échelle de Richter. Par conséquent, la hauteur des vagues peut varier entre 5 et 6 mètres, ce qui en fait une région sismiquement active. Dans cette région en particulier, l’activité sismique le long des grandes zones de subduction de l’Arc hellénique a un potentiel de générer de grands séismes provoquant des tsunamis locaux ou régionaux. Les éruptions volcaniques de la mer Egée en particulier autour du volcan Santorini ont également le potentiel de provoquer des tsunamis localisés.

— Pensez-vous que les anomalies que nous observons de plus en plus soient uniquement dues aux changements climatiques ?

— Vus d’une perspective plus large, ces phénomènes sont le résultat de cycles naturels, mais sont accélérés par les activités humaines. L’homme a toujours préféré s’installer autour des vallées, les ports et les baies naturelles, des zones souvent sujettes à des inondations.

Au cours des 200 dernières années, l’urbanisation s’est accélérée à un rythme sans précédent. Notre expansion urbaine a un coût environnemental. Nous vivons à une époque où le changement climatique n’est plus un sujet de préoccupation, mais un fait réel que l’on observe amplement dans notre vie quotidienne. En Egypte, nous devons être plus préparés que jamais à cette nouvelle ère. Les preneurs de décisions, le secteur privé, la société civile, ainsi que les habitants des régions à risque, tous doivent coopérer pour faire face au nouveau climat. Comme le disait Gandhi, la terre fournit suffisamment de biens pour satisfaire les besoins de chaque individu, mais pas pour satisfaire son avidité.

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