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Regarder avec le coeur

May Sélim, Mercredi, 31 juillet 2024

Le metteur en scène Essam Al-Sayed fait revivre le drame musical, sur les planches du Théâtre national, avec la pièce Mech Romeo wa Juliette (il ne s’agit pas de Roméo et Juliette). Une intrigue simple, avec beaucoup d’ambition.

Regarder avec le coeur
Les étudiants s’apprêtent à donner la première du spectacle. (Photo : Medhat Sabry)

Dans la tragédie shakespearienne Hamlet, le prince danois dit : « La pièce est la chose où j’attraperai la conscience du roi ». Usant de la forme du « théâtre dans le théâtre », Hamlet parvient à venger la mort de son père, en suscitant un sentiment de culpabilité chez les meurtriers, à savoir l’oncle et la mère. Ainsi, la justice est faite.

Le jeune dramaturge Mohamad Al-Soury applique le principe même dans sa nouvelle pièce, actuellement sur les planches du Théâtre national. Il suit la tradition shakespearienne pour aborder le sujet hautement sensible des conflits confessionnels en Egypte, dans la mise en scène de Essam Al-Sayed, intitulée Mech Romeo wa Juliette (il ne s’agit pas de Roméo et Juliette).

L’histoire est simple. Au lycée Al-Wehda (l’union), une querelle éclate entre les étudiants. Ils sont mécontents à cause d’une éventuelle relation d’amour entre un professeur chrétien, Youssef (interprété par le chanteur étoile Ali Al-Haggar), et sa collègue musulmane Zahra (campée par la comédienne Rania Farid Chawqi). Ces derniers ont grandi ensemble, étant des voisins dans le quartier de Choubra, réputé pour la bonne cohabitation entre chrétiens et musulmans.

Répartis en deux groupes, les étudiants défendent leur religion et le clan auquel ils appartiennent. Pour étouffer dans l’oeuf toute tentative de ranimer ce conflit, le superviseur invite les étudiants à monter la pièce shakespearienne de Roméo et Juliette, avec l’espoir d’établir une meilleure communication entre eux. Et en effet, le problème est résolu pendant la préparation de la pièce. Il a donc réussi une thérapie collective par l’art.

Le Caire d’autrefois

L’adaptation lyrique et les paroles de cette pièce musicale sont signées par le poète Amin Haddad, et la mise en musique par Ahmed Shaatout.

Le metteur en scène a recours à des éléments qui nous rappellent Le Caire du bon vieux temps. A l’arrière-plan défilent des images en noir et blanc et en couleurs, représentant le quartier de Choubra où habitent les deux professeurs. Celles-ci nous plongent dans la nostalgie du Caire qui a été symbole de tolérance et de cohabitation entre les citoyens. Et ce, avant l’avènement du fanatisme religieux et la dominance des pensées wahhabites.

Le bureau du superviseur est décoré de plusieurs photos en noir et blanc, des portraits d’écrivains et de savants égyptiens tels Taha Hussein, Samira Moussa et Abbas Al-Aqqad. Les décors de Mohamad Al-Gharabawy insistent tout au long de la pièce sur les paradoxes du passé et du présent. Et les chansons parlent souvent de tolérance, d’entente et d’amour. L’ambiance du show est mise en valeur.


Ali Al-Haggar chante avec une voix ensorcelante. (Photo : Medhat Sabry)

Dans les scènes qui évoquent des extraits de Roméo et Juliette, quelques éléments décoratifs nous renvoient directement à la pièce shakespearienne. L’arrière-fond est plein de fleurs et de plantes vertes, en allusion au jardin de la maison de Juliette et son balcon. Les rideaux rouges sur les bords accentuent l’idée du théâtre dans le théâtre.

Vive le show !

Dès le début du spectacle, nous plongeons dans l’ambiance de l’opérette populaire où le chant et la danse racontent les événements. Ali Al-Haggar, ainsi qu’Amira Ahmad (Thérèse la professeure jalouse), également une chanteuse professionnelle, ont sans doute un potentiel vocal qui les distingue des autres.

Parfois sans musique, Ali Al-Haggar interprète les paroles de Haddad, évoquant amour et nostalgie, alors qu’Amira Ahmad traduit par le timbre de sa voix la jalousie qui la ronge et qui lui dicte ses actes.

Rania Farid Chawqi, Ezzat Zein (le superviseur) et Mido Adel (l’un des étudiants) livrent une bonne interprétation, sans forcer. La musique de Shaatout respecte leur capacité vocale ; parfois il a recours aux crescendos pour exprimer le danger menaçant le lycée.

La chorégraphie de Chérine Hégazi, qui vient du monde de la danse contemporaine, mise sur un bel agencement entre les étudiants et les danseurs. Les danses divisent les danseurs en deux camps et empruntent des mouvements de hip-hop.

Pendant les répétitions, les étudiants se rapprochent les uns des autres, ils coopèrent pour monter un spectacle réussi. Cependant, à la veille de la première, les plus fanatiques mettent le feu au lycée. Les étudiants et les professeurs éteignent l’incendie, sauvent leur collègue (Ali Al-Haggar) qui a failli perdre la vie et s’apprêtent à donner leur pièce, contre vents et marées. Le message est clair. On ne voit bien qu’avec le coeur.

Mech Romeo wa Juliette, tous les jours jusqu’au 5 août à 21h (relâche le mercredi) au Théâtre national, place Ataba, centre-ville.

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