Al-Ahram Hebdo : Comment l’idée de postuler pour l’UNESCO vous est-elle venue ?
Loula Lahham : Le Centre communautaire d’Akhmim dans le gouvernorat de Sohag (450 km au sud du Caire) participe à toutes les expositions artisanales organisées par l’Etat à l’instar de Torathna et Diarna, mais aussi à celles de la Bibliotheca Alexandrina et plusieurs autres encore. Notre pavillon est constamment fréquenté par des centaines de visiteurs, égyptiens et étrangers, qui viennent admirer le tissage manuel et les broderies faits par les artistes du centre.
Dr Nahla Imam, experte et conseillère du patrimoine immatériel au ministère de la Culture et à l’UNESCO, suivait de près nos activités. Je la connaissais personnellement parce qu’elle est aussi professeure d’art populaire à l’Académie des arts, là où j’ai fait ma thèse sur l’héritage intangible dans les tableaux d’art spontané des femmes artistes d’Akhmim.
Dr Imam nous a demandé d’exposer nos produits artisanaux à la COP27 à Charm Al-Cheikh au pavillon du ministère de la Culture. La COP27 était l’une des plus grandes conférences internationales jamais organisées en Egypte. Il y avait des centaines de participants. Le pavillon a suscité l’admiration des visiteurs. Il y avait des ministres, des ambassadeurs, des gens de l’Union européenne et de l’ONU. Le succès était total.
Avec la participation à la COP27, nous avons trouvé les portes du monde grandes ouvertes, ce qui n’était pas nouveau pour le Centre d’Akhmim qui est géré par l’Association de la Haute-Egypte pour l’éducation et le développement et qui avait déjà exposé ses produits en Europe, en Amérique du Nord et dans certains pays arabes. Mais l’encouragement principal est venu du ministère de la Culture qui a présenté, en 2023, un dossier complet sur le centre pour postuler à la Convention intergouvernementale de sauvegarde du patrimoine culturel immatériel. Le dossier a été longuement étudié, puis approuvé par tous les pays au cours de la 10e session de l’Assemblée générale des Etats parties à la convention, les 11 et 12 juin 2024 à Paris.
— Qu’est-ce qui caractérise le plus, selon vous, le projet d’Akhmim ?
— Il faut avouer d’abord que les responsables, avec à leur tête le président Abdel Fattah Al-Sissi, parrain de l’exposition Torathna, savent qui fait quoi dans le monde de l’artisanat égyptien. L’association avait reçu en 2019 un Trophée présidentiel pour sa distinction dans l’artisanat. En 2019 aussi, Mme Ghada Wali, alors ministre de la Solidarité sociale, nous avait annoncé la victoire d’une artiste d’Akhmim, Mariam Azmi, dans un grand concours d’artisanat qui s’est déroulé à Bahreïn. Cette artiste s’est rendue à Bahreïn pour recevoir le trophée des mains de l’épouse du roi.
J’imagine que Mme Névine Al-Kilany, ministre de la Culture, a pris conscience de nos activités et pas seulement celles qui consistent à vendre de la broderie. Nous vendons des contes, des histoires et des témoignages sur l’héritage immatériel. Chaque tableau porte en lui l’aventure d’une femme artiste qui combat la pauvreté et le monde masculin dur qui l’entoure. Les responsables du ministère de la Culture ont été touchés par tout cela tout comme les visiteurs de la COP27. Parce que c’est tout simplement un grand projet d’émancipation de la femme de la Haute-Egypte. Nous possédons un soft power remarquable que nous devons investir. Notre dossier de candidature à l’UNESCO était composé d’une vingtaine de pages présentant les activités du Centre communautaire d’Akhmim, l’un des centres de production artisanale de l’Association de la Haute-Egypte pour l’éducation et le développement, avec des informations, des photos et les plans stratégiques pour les années qui viennent. Nous avons présenté le dossier en avril 2023. Après des études approfondies, notre dossier a été admis le 12 juin. On fait partie des 58 ONG qui ont été accréditées par l’UNESCO sur un total de 73 du monde entier. Une institution alexandrine, Rakoda, a été également accréditée.
— Parlez-nous de la production du Centre communautaire d’Akhmim …
— Notre centre a été créé en 1960 pour émanciper les femmes de la ville d’Akhmim en Haute-Egypte qui souffrent de la pauvreté. Permettre aux femmes de reproduire l’héritage culturel, de le vendre, de gagner un peu d’argent, puis d’améliorer leurs conditions de vie était l’une des solutions. Une équation qui fonctionne depuis bientôt 65 ans. Aujourd’hui, le centre produit du tissu manuel, de la broderie classique et des tableaux de broderie spontanée. Si le Centre d’Akhmim a été accrédité, c’est parce qu’il produit selon les normes ancestrales. Il fait revivre l’héritage culturel et conserve le savoir-faire millénaire. Nous travaillons sur les héritages tangible et intangible. C’est ça qui fait notre particularité.
— Quel sera le rôle de l’association à l’UNESCO ?
— Maintenant que nous faisons partie de la Convention de sauvegarde du patrimoine immatériel, nous pouvons échanger avec le monde nos expériences dans ce domaine. Les échanges avec les autres sont une richesse. Nous pouvons travailler ensemble et partager nos expériences. Nous pouvons aussi rêver ensemble.
— Quels sont les défis auxquels l’art d’Akhmim est-il confronté ?
— Cet artisanat millénaire est en voie de disparition et nous devons le sauver. Le réchauffement climatique est le premier coupable. En été, la température de la cité d’Akhmim franchit la barre des 50 degrés. Les tisserandes qui travaillent sur les métiers à tisser sont épuisées par 8 heures de travail consécutif pour produire une nappe ou une couverture. Le manque d’eau a remarquablement affecté la culture du coton, ce qui rend son prix, en tant que matière première, excessivement élevé. Le prix des fils de soie nécessaires à la broderie a lui aussi triplé, voire quadruplé. Tout cela rend les prix de vente des produits artisanaux assez élevés et accessibles seulement à l’élite de la société. Avec nos partenaires, nous tentons de trouver des solutions pour sauvegarder cet artisanat millénaire …
Ajoutons à cela les frais de soins médicaux de nos 120 filles et femmes, mais aussi les frais de marketing et de gestion. Il faut avouer que sans les efforts des fans du patrimoine matériel et immatériel, on ne verrait le tissage manuel que dans les musées.
Nous organisons des randonnées culturelles dans divers endroits pour enrichir la créativité des artistes. Nous prévoyons des voyages à l’oasis de Siwa et en Nubie dans les deux années qui viennent, vu la richesse des paysages naturels et culturels de ces deux régions. Il est aussi indispensable de recruter et de former de nouvelles tisserandes et de nouvelles brodeuses pour prendre la relève, conjointement avec l’expérience et le savoir-faire des plus anciennes.
— Que faites-vous pour documenter ce savoir-faire ?
— Nous avons élaboré un projet intitulé La mémoire d’Akhmim. Il s’agit de l’aménagement d’un grand sous-sol avec quatre salles et dans lequel nous comptons exposer l’histoire de l’antique cité d’Akhmim et celle de notre centre, et les pionniers qui l’ont soutenu jusqu’à aujourd’hui. Nous présenterons certains des objets artisanaux qui ont été fabriqués durant les 65 ans d’existence de notre centre. Le tout accompagné de documentaires vidéo. Nous pensons être sur la bonne voie, surtout après la fermeture du Musée du tissage du Caire.
Avec l’aide de nos partenaires, nous pensons transformer la petite rue dans laquelle nous nous trouvons en une ruelle touristique, ce qui placera la cité d’Akhmim sur la carte touristique de l’Egypte, surtout qu’elle abrite d’innombrables tombes et temples antiques. Nous ciblons les touristes d’Abydos, de Nag Hammadi, de Louqsor, d’Esna et de Garagos, ainsi que les visiteurs du Musée de Sohag qui se trouve à 10 minutes d’Akhmim. Et ce, sans oublier les excursions scolaires et universitaires, et bien sûr les habitants de la ville.
Nous créons ainsi de nouveaux métiers. Nous sauvegardons le patrimoine. Nous incitons le monde à venir admirer la beauté et la finesse de l’artisanat égyptien. Et nous améliorons en même temps les conditions de vie des femmes d’Akhmim. c’est la mission principale de notre association.
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