« Plus de 300 artistes plasticiens égyptiens, et pour la première fois, des Arabes et des Soudanais, notamment ceux résidant en Egypte, participent à la 44e édition de l’exposition générale qui a élargi le champ de ses activités, restreintes pendant des années au Palais des arts. Aujourd’hui, six espaces accueillent l’exposition. A savoir, le Palais des arts, la salle Al-Bab, la galerie Salah Taher, Al-Hanaguer et les salles Nahdet Misr et Isis dépendant du Musée de Mahmoud Mokhtar. Et ce, avec des productions signées 2022-2024. Cette année, l’art de la vidéo est bien présent. En plus, le secteur des arts plastiques invite pour la première fois une société privée, qui est Art Cairo, pour prendre en charge le travail de marketing, avec pour objectif de faire la promotion des artistes de l’exposition générale et leurs oeuvres d’art », déclare le commissaire de l’exposition générale, Sameh Ismaïl. Il invite le visiteur à une balade dans les six espaces d’art qui accueillent la 44e édition de l’exposition générale et son riche festin d’oeuvres.
A la galerie Al-Hanaguer, l’art figuratif se manifeste à travers les créations d’artistes plasticiens âgés d’au moins de 30 ans. Des créations regroupées dans la joie des couleurs et des enjeux humains, aux états d’âme multiples, pleins d’émotions et d’humeur.
Les magnifiques sculptures d’Aboul-Oyoun Gamaledine et de Mohamed El-Fayoumi enchantent le récepteur. La première en bois est un buste de femme aux traits égyptiens et à la tête dignement dressée. Quant à celle très marrante en bronze d’El-Fayoumi, elle met l’accent sur un enfant villageois obèse.
Portrait d’une femme par le Palestinien Ayman Ess. (Photo : Névine Lameï)
De la lettre à l’image
« Al-Hurufiyyah ou le lettrisme n’est pas une école, mais plutôt des expériences et des méthodes éparses et discordantes. La lettre par sa forme et sa position joue un rôle visuel indéniable pour captiver et interpeller le spectateur ».Voici un court texte affiché sur le mur face à l’entrée de la salle Al-Bab. Cette dernière est consacrée à l’art des lettres, voire à l’écriture porteuse de dimensions créatives et abstraites.
Dans cette salle, on trouve l’art du grand artiste défunt Hazem El-Mestekawi. Son tableau en gypse blanc, saturé d’ornementations minimalistes et de formes géométriques modernes, est travaillé avec des formes architectoniques, très sophistiquées et très raffinées.
La gigantesque fresque multicolore et vernie d’Ibrahim Khattab est décorée de calligraphies arabes. Le pointillisme est sa technique chère, usant de petites touches rondes et juxtaposées. Ces petits points donnent l’impression d’être des gouttes d’eau ou des bulles d’air, synonymes d’un temps qui s’écoule.
Trois immenses toiles en étoffe de couleur marron sont accrochées face à l’entrée d’Al-Bab. Elles s’inspirent de la terre d’origine (Kafr Chokr dans le Delta du Nil) de l’artiste Ayman Al-Semari. Ses étoffes créatives ressemblent à un linceul méticuleusement travaillé à l’aide de signes, de symboles, d’écritures minimes, de lithographies et de motifs répétitifs populaires et ruraux.
Kisses d’Ahmed Magdy. (Photo : Névine Lameï)
A sa manière, l’artiste Fadwa Ramadan use de l’écriture amazighe, dans son art primitif. L’artiste restitue son lyrisme poétique avec des dessins en miniature, accentuant des arbres fruitiers, des palmiers, des formes florales abstraites, des jeux ombre/lumière, et notamment de cercles, synonymes d’infinité et de perfection.
Quant au sculpteur Saïd Badr, il expose une pièce en granit, intitulée Portique de l’Histoire. La sculpture de Badr, qui comporte des écritures énigmatiques et de l’écriture hiéroglyphique égyptienne, s’inspire de la pierre de Rosette.
Les pionniers à l’honneur
A quelques pas de la salle Al-Bab, la galerie Salah Taher accueille les oeuvres de 15 artistes pionniers, lauréats du prix du Nil.
A gauche, la peinture d’Adam Hénein accentue l’image de l’une de ses sculptures en pierre, celle d’un buste d’homme en train de lire. Voici un autoportrait exceptionnel du grand Hussein Bicar qui aimait exprimer ce que l’âme recherchait.
Deux caricatures d’Ahmed Toghan, doyen des caricaturistes égyptiens, sont conjointement affichées. Les causes humaines sont toujours à l’ordre du jour dans ses dessins caricaturaux qui se moquent de la relation entre le gouvernant et le gouverné, le riche et le pauvre, l’instruit et l’ignorant.
Masques de Aleya Abdel-Hadi. (Photo : Névine Lameï)
Face à Toghan sont exposées deux oeuvres de Salah Taher : un autoportrait de lui dans sa jeunesse et une peinture marquant son style calligraphique abstrait, aux coups de pinceaux fluides avec altération des couleurs.
A quelques pas de Taher, il y a deux peintures grand format de Mohamed Taha Hussein, alliant magnifiquement calligraphies arabes, formes géométriques et authenticité d’un passé lointain.
Ahmed Nawar participe à l’exposition avec deux peintures, en noir et blanc, qui marquent son expérience d’ancien combattant à la guerre d’usure entre 1968 et 1970.
Dans les oeuvres de Mostafa Abdel-Moeti, la technologie et la civilisation égyptienne sont fortement liées, d’où les formes géométriques aux dimensions architecturales, la peinture dans le vide, l’imaginaire intangible, la réalité tangible, voire palpable et sensible.
Une même sensibilité émane de la peinture barbouillée d’encre noire de Mostapha Al-Razzaz. Voici une mère serrant son enfant entre ses bras, dans la tendresse.
Le visiteur reste bouche bée face à la grandeur de l’art de Hamed Eweis. Sa peinture émotionnelle montre des soldats de couleur ocre, couleur de la terre d’Egypte, en état de stupéfaction et de détresse. Un de ses soldats au dos incliné se penche vers un enfant en djellaba tenant en main un ballon en couleurs.
Peinture d’Amina Salem. (Photo : Névine Lameï)
La ville et ses habitants
Regroupant le plus grand nombre d’artistes participant à l’exposition générale, le Palais des arts aux multiples étages décore son espace extérieur par une immense installation en débris de fer, signée Ammar Shiha. Voici d’innombrables pièces détachées de pneus de vélos. Dans ces pneus qui s’accumulent l’un au-dessus de l’autre dans un bel agencement, s’incrustent de petites statuettes d’oiseaux fabriquées en débris de fer transmettant au récepteur un message de paix et de liberté.
Le rez-de-chaussée du Palais des arts est consacré aux oeuvres très grand format. A droite sont affichées deux peintures de Réda Abdel-Salam, le peintre des murs et des villes. La gaieté de ses couleurs qui mesure le tempérament de la ville et son chaos désordonné capte l’attention. La ville de Farghali Abdel-Hafiz est différemment conçue. Sa poupée populaire et féminine d’une Egypte imaginative et chaotique est régie par le bleu de la Méditerranéenne, ainsi que la couleur jaune et sableuse de la terre.
Les oeuvres de l’exposition générale se côtoient pour raconter une épopée captivante. L’immense installation sculpturale en fer multicolore de Névine Farghali occupe le centre du rez-de-chaussée du Palais des arts. Il s’agit d’un enfant géant dont les yeux sont tournés vers le haut. Un poisson est attaché à une ficelle que l’enfant tient à la main. L’art de Névine Farghali est une invitation à l’amour enfantin, à une vie plus douce, pure et spontanée.
Les multiples visages des enfants de Taha Qorani, peints en couleurs et rassemblés en masse, reflètent leur joie de vivre. Malgré le chagrin et l’angoisse marqués sur leur visage, ces enfants, entourés de bouquets de fleurs, donnent l’impression qu’ils ont été captés d’une grande distance, depuis la fenêtre de l’avion.
A son tour, le grand Abdel-Aziz Saab taille en bronze un gros corps bedonnant qui contemple son entourage. Loin des surfaces polies et pondérées et dans un style sévère, sa sculpture est marquée par une forte surcharge émotionnelle.
Aux histoires séquentielles et amusantes parfaitement narrées, le récepteur est invité à faire une courte pause. Ici, des scènes burlesques pleines de sarcasme s’imposent comme la peinture L’arrivée des barbares de Omar Al-Fayoumi. « Dans L’arrivée des barbares, les magiciens du monde moderne déforment nos vies. Ils n’arrivent pas à cacher leurs cornes qui garnissent leurs crânes de manière fantaisiste. En costume et cravate, ils sont prétentieux et arrogants, mais comiques. Ces nouveaux monstres des temps modernes, aux visages déformés et aux regards fourbes et dissimulés, n’auront pas le dernier mot », explique Al-Fayoumi.
Vu d’ensemble du rez-de-chaussée du Palais des arts. OEuvres de Taha Qorani, Omar Al-Fayoumi, entre autres (Photo : Névine Lameï)
Un masque qui voile autant qu’il ne dévoile
Jouer sur l’idée des masques et des visages, c’est ce qui définit l’art exposé au 1er étage du Palais des arts. L’installation Isolement d’Ibrahim Chalabi montre un masque disposé dans une chambre vide teinte en blanc.
Hanafi Mahmoud peint une foule masquée et imbriquée dans une sorte d’élégance confuse. « Mes créatures semblent commandées par une force mystérieuse et magnétique, silencieuse et austère. Je peins l’homme à l’état primitif. Observez le corps d’Adam, c’est un chef-d’oeuvre divin, avec ses proportions, sa musculature et sa beauté », explique l’artiste.
Toujours au 1er étage du Palais des arts, deux magnifiques masques conjointement agencés de Aleya Abdel-Hadi sont taillés dans la perfection. Ils révèlent à la fois une beauté étrange et une présence énigmatique.
Un grand nombre de petites figurines d’hommes et de femmes, de villageois et de villageoises avec leurs enfants se trouvent au milieu de la salle. Aux visages dépourvus de détails, ils sont tous saisis dans un moment d’inaction. Cependant, leur attitude reste noble et digne. C’est l’oeuvre de Tareq Al-Koumi.
Le 2e étage du Palais des arts est consacré aux oeuvres innovatrices. C’est le cas de l’installation de l’Egypto-britannique Sam Shendi. Sa sculpture en fiberglass très colorée porte une dimension humaine, psychologique, voire interculturelle. Il place l’homme au centre de l’univers.
Dans la même salle, notamment dans le couloir qui mène au 3e étage du Palais des arts, est installé avec une beauté impeccable, question de technique et de médium, l’art de Sayed Waked. Il expose une oeuvre en verre coloré, réunissant sept hommes qui se dressent dignement, sans traits ni détails.
Chercher la femme
Parvenant au 3e étage, la visite devient à 100 % féminine. Là, une peinture d’Amina Salem montre un visage féminin. Il est proche du cliché le plus célèbre de Marilyn Monroe avec son bubble gum. C’est beau. C’est sensuel. C’est du pop art.
A son côté expose May Hechmat, une portraitiste qui dépeint des visages féminins saisissants et intemporels dans un style enfantin optant pour un look vieux et émouvant.
La sculpture d’Ahmed Magdy, intitulée Kisses, est une représentation de la douce passion entre deux amants. C’est l’oeuvre la plus romantique de l’exposition générale.
Ahmed Abdel-Fattah présente dans sa peinture deux femmes allongées sur le dos, la tête penchée vers le coin inférieur droit. Un renversement en signe de contestation et de quête de l’émancipation.
Hend Al-Falafli, quant à elle, peint « la condition féminine ». Elle prend pour modèle des femmes, suaves, fines et rebelles. Elle les peint au crayon noir en leur accordant un air contemplatif et rêveur, monté de fleurs et de papillons dorés.
Les symboles de l’art vidéo
Au 3e étage du Palais des arts, une salle est totalement consacrée à l’art vidéo. Ayman Lotfy joue sur le symbolisme des échecs. L’artiste le confirme sur le papier, expliquant son installation intitulée Crime noir : « Les échecs sont une métaphore de notre condition. L’échiquier est le terrain de la vie, chaque pièce représente une dimension de notre individualité. Les cases blanches et noires évoquent la dualité, voire l’alternance des énergies de force égale. Cette dualité sous-tend l’unité. Le noir et le blanc ne peuvent ni se définir, ni exister l’un sans l’autre. L’échiquier va donc au-delà du bien et du mal, pour dire que l’art de la guerre consiste à respecter son adversaire, à le considérer comme son égal ».
Ihab Al-Toukhi crée dans son installation vidéo Al-Samt (le silence) un monde d’arbres sans racines, entourés de feuilles sèches et éparpillées autour de mannequins en bois, représentant des guerriers sans âme.
Des artistes arabes
La salle Nahdet Misr, dépendant du Musée de Mahmoud Mokhtar, est dédiée aux 17 artistes arabes et soudanais résidant en Egypte.
L’artiste iraqien d’origine kurde engagé Serwan Baran opte pour la satire politique, l’angoisse existentielle, la désorientation, la déformation. Sa palette est composée de couleurs vives et sombres. Baran dépeint un corps gras qui, en uniforme synonyme de puissance, mange furieusement. Par contre, il est vulnérable dans sa solitude.
Colorée de contes populaires, de superstitions et de mythologie, la peinture figurative de l’artiste soudanais Salah El-Mur puise dans son environnement soudanais. La fraîcheur enfantine du visage de son protagoniste rend son oeuvre de plus en plus palpitante.
Le Palestinien Ayman Essa peint en bleu très vibrant un portrait d’une femme à la forme arrondie et exagérée. Sa peinture se caractérise par des contours linéaires, un corps brodé et un visage allongé.
La sculpture en bronze de l’Iraqien Anas Alousi, à la forme épurée, prend une dimension symbolique, une posture élancée, mouvementée et simplifiée à l’extrême. Voici deux êtres installés au bord d’une barque bleue qui se rencontrent dans la vague scélérate, terrifiante et mythique.
La Syrienne Souad Mardam Bey s’inspire de l’histoire de Pinocchio et peint un enfant « victime de la guerre » comme un pantin sans-abri. Il pleure. Il rit. Il est en état d’attente et de choc. Le pantin joue malgré son quotidien sinistre, né d’un mariage entre le beige et le marron, le chaleureux et le nostalgique. C’est une invitation à une agréable balade !
Jusqu’au 31 juillet de 9h à 21h, sauf les vendredis. (Les salles Al-Hanaguer et Salah Taher, de 9h à 14h et de 17hà 21h).
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