Al-Ahram Hebdo : Votre nouveau roman Eve et Adam nous ramène au XVe siècle, alors que les rois catholiques essayent de récupérer Grenade, la dernière ville d’Espagne sous le régime musulman. Vous avez imaginé la présence d’Eve en terre d’Andalousie, transmettant un message de paix, à cette ère tumultueuse. Comment l’idée est-elle née ?
Racha Zidane : Hawa ou Eve est le premier personnage féminin de l’Histoire. La mère de tous les humains, comme convenu dans les religions célestes. Ceci m’a ouvert l’appétit et m’a inspiré ce roman où se mêlent fantaisie et Histoire, dans une ambiance qui baigne dans la spiritualité. J’ai voulu montrer la force de caractère d’Eve et mettre l’accent sur sa relation avec son partenaire et ses fils.
— Pourquoi avez-vous choisi de situer les événements à Grenade, et pourquoi au XVe siècle particulièrement ?
— J’ai choisi cette époque étant donné son importance. C’est la période qui a précédé la chute de Grenade (1492) dans les mains des rois catholiques d’Aragon et de Castille, qui ont vaincu les troupes du royaume musulman instauré dans cette ville (ndlr : l’émirat de Grenade).
J’ai commencé le roman dans la ville de Grenade et je l’ai terminé dans la ville de Castille (dans le nord-ouest de l’Espagne), lorsqu’Eve rencontre la reine Isabelle dans une scène épique. Celle-ci révèle la puissance des femmes. D’une part, il y a Eve qui porte le message de Dieu et d’autre part, il y a la reine Isabelle qui cherche à ruiner le royaume de Grenade et à en exclure les musulmans et les juifs.
— L’oeuvre comporte beaucoup de projections politiques, faisant constamment allusion à des événements du monde arabe contemporain. Qu’en dites-vous ?
— La prise de Grenade par les rois catholiques et la chute du royaume musulman là-bas n’est pas sans refléter l’état de faiblesse actuel des pays arabes. La tyrannie d’Israël et sa colonisation de la Palestine sous prétexte d’acquérir la terre promise nous situent à quelques différences près dans le même registre de ce qu’a effectué Isabelle, la reine de Castille, au XVe siècle. On est toujours dans le contexte de la violation des terres musulmanes, de l’établissement des tribunaux d’inquisition, du déplacement forcé des juifs et des musulmans et des juifs chassés d’Andalousie …
— Le personnage d’Eve vous a permis de rectifier tant de fausses croyances en lien avec la religion, de s’attaquer à tant de préjugés et d’idées préétablies. Par exemple, vous avez évoqué l’amour entre Youssef, un chrétien aisé de Castille, et Leïla, une jeune Marocaine de confession musulmane. Vous marchiez sur une corde raide en traitant ce genre de sujets …
— Installée en Andalousie, Hawa ou Eve s’est rapprochée de ses fils, elle a pu se mêler de leurs problèmes et a essayé de les soutenir (ndlr : durant presque tout le roman, elle les aidait à résoudre leurs problèmes sans révéler son identité). Elle a été choquée du fait que ses enfants eux-mêmes ont oeuvré à la complication de leur existence ; ils ont soumis leur vie à des lois et à des règles qu’ils ont attribuées à Dieu. Selon la mère, toutes les religions ne sont qu’une seule, et nous devons céder plus de place à la tolérance.
— A la fin du roman, Eve décide de ne pas quitter l’Andalousie, même après sa confrontation avec la reine Isabelle, et de rester auprès de ses fils au lieu d’aller rejoindre Adam, de l’autre côté de la rivière de la grande vallée. Est-ce commettre un nouveau péché ?
— En dessinant le personnage de Hawa, j’ai constaté que le premier péché d’Eve et Adam, qui ont mangé le fruit défendu, à l’encontre de l’interdiction de Dieu, est une preuve de curiosité. C’est celle-ci qui guidera toutes ses actions. Elle se demande vers la fin du roman, dans les toutes dernières lignes : « Pourquoi ne pas rester auprès de mes fils ? Pourquoi ne pas leur tenir compagnie ? Devrais-je leur dévoiler que la femme rousse qui a passé quarante jours avec eux n’est que leur mère ? Quelle serait leur réaction en apprenant la nouvelle ? ». Puis elle ajoute en toute confiance : « Ceci vaut bien de courir le risque ».
— En écrivant le triptyque de Roh (âme), ensuite Hawa-Adam, vous vous êtes livrée à des descriptions détaillées des lieux, d’événements historiques … Comment avez-vous réussi à tisser autant de détails sans être vraiment dans ces lieux ?
— Avant de commencer la rédaction, j’effectue beaucoup de recherches et de lectures ; je regarde des documentaires traitant de sujets relatifs au mien, et ce, afin de développer une image proche de la réalité, ainsi qu’une vision émotionnelle de ce qui s’est passé, laquelle va m’accompagner tout au long de l’oeuvre.
J’ai visité la ville de Konya en Turquie, laquelle abrite le mausolée du grand poète soufi Djalaleddin Al-Rumi, après avoir écrit Roh, et j’ai visité Grenade, après avoir écrit Hawa-Adam, et je me suis rendu compte qu’il y a une grande similarité entre les deux endroits et ce que je décris dans les deux oeuvres.
— Quels sont vos plans à venir ?
— Je suis en train d’écrire un nouveau roman, avec Adam comme personnage principal cette fois-ci. Ce sera le deuxième volet de Hawa-Adam ; les lecteurs pourront les lire séparément.
Adam devra confronter le monde, dans ce deuxième volet, sans son âme-soeur Hawa. A son tour, il aura une mission céleste à accomplir sur terre.
Bio express
Née au Caire en 1973, Racha Zidane est une romancière et chercheure égyptienne qui s’intéresse à l’étude comparative des religions, au soufisme et aux sujets en lien avec la psychologie et le développement humain. Elle est titulaire d’un diplôme en gestion d’affaires de l’Université du Caire en 1998. Elle a publié trois oeuvres à succès aux éditions Al-Karma, formant un triptyque mystique : Roh (âme). Le premier volet date de 2016 et a été réédité huit fois, le deuxième Lak Wahdak (à toi seul, 2018) est à sa quatrième édition, et le troisième Howa Anta (c’est toi, 2020) est en cours de réédition. Cette année, elle a sorti son quatrième roman, Hawa-Adam (Eve et Adam) aux éditions Diwan.
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