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Nabil Fahmy : Netanyahu, la seule chose qu’il ne nie pas, c’est qu’il n’est pas en faveur de l’Etat palestinien

Samar Al-Gamal , Jeudi, 06 juin 2024

L’ancien ministre des Affaires étrangères, Nabil Fahmy, revient sur la guerre à Gaza, et plus généralement le conflit israélo-palestinien. Il estime qu’il faudrait parvenir à une solution à deux Etats d’ici 24 mois.

Nabil Fahmy
(Photo : Yasser Al-Ghoul)

 

Al-Ahram Hebdo : Comment vous interprétez l'entrée des forces israéliennes à Rafah, le contrôle du poste frontière et le contrôle du corridor de Philadelphie malgré les avertissements égyptiens mais aussi américains?

Nabil Fahmi : Ce que nous observons actuellement est la poursuite d’une politique stable d'Israël affirmant sa dominance tant en matière de sécurité que de politique dans la région, indépendamment des violations du droit international ou des réactions des pays voisins ou même de grandes puissances. Le gouvernement israélien actuel ne croit absolument pas en une solution à deux Etats. Il est convaincu idéologiquement que Israël a le droit d'exercer sa souveraineté sur tous les territoires Palestiniens occupés. L'une des raison de ces transgressions est le soutien inconditionnel américain à Israël. Ceci l'encourage à aller trop loin, même au détriment des intérêts américains. Aujourd'hui, Israël a effectivement violé l'accord de Philadelphie et a occupé le côté palestinien du passage à Rafah, avec des chars opérant sur le terrain, en plus des bombardements. Il est nécessaire de mettre un terme à ces transgressions, car tant qu'elles seront tolérées, Israël continuera à appliquer une politique de la loi du plus fort, plutôt que la force de la loi.

 

Comment ces actions peuvent-elles être freinées si Israël comme vous le dites se sent protégé ?

Il est nécessaire d'adopter une position plus objective et stable de la part des grandes puissances prônant le droit international, ainsi qu'une attitude plus ferme du côté arabe, sans nécessairement adopter une posture hostile, mais en exprimant une détermination sans équivoque. Le monde arabe a maintes fois exprimé son désir de paix entre Arabes et Israéliens, y compris pour les Palestiniens. Depuis le sommet de Beyrouth en 2002, il a été déclaré qu'une fin de l'occupation israélienne entraînerait des relations normalisées. Franchement, Israël ne ressent pas le coût de ses transgressions.

 

Le ministre des Affaires étrangères, Sameh Choukry, a déclaré que si Israël entrait à Rafah, cela comporterait de grands risques. Qu'est-ce que ce risque signifie pour l'Egypte ? 

L'Egypte a initié la guerre de 1973 puis s'est engagée dans des pourparlers de paix. Nous avons toujours cherché à parvenir à la paix arabo-israélienne. Mais cette orientation exige deux parties. On espérait que cet accord serait une étape vers d'autres accords, y compris une solution palestinienne-israélienne. D'autres accords jordano-israéliens ont eu lieu, l'accord d'Oslo a été conclu, mais cela n'a pas été suffisamment traduit dans le traitement de la question fondamentale, à savoir la question palestinienne. L'accord égypto-israélien est un accord stratégique, qui établit des limites et des arrangements en ce qui concerne la présence militaire et autres et l'accord de Philadelphie complète l'accord de paix, afin d'éviter les sensibilités et les problèmes, y compris, par exemple, ce qui est arrivé au dernier soldat égyptien. Tout incident peut créer un problème plus important. Le deuxième risque est que ni politiquement ni humainement nous ne pouvons accepter qu'il y ait 100 000 victimes palestiniennes et qu'elles soient pressées du nord au sud, du sud au nord, d'est en ouest et inversement, jusqu'à ce qu'elles soient pressées vers les frontières égyptiennes. La pression israélienne crée des conditions inhumaines poussant les Palestiniens, vers les frontières égyptiennes en dehors d'un cadre réglementé. Cette pression constitue donc une violation du territoire égyptien.

 

Dans la mesure où l'Egypte a fait de la paix son choix stratégique, quelles solutions optimales s'offrent dans ce contexte ? 

Si la paix demeure la pierre angulaire de la politique égyptienne, il est indéniable que cette orientation est aujourd'hui mise à mal par la partie israélienne. Par conséquent, nous avons la possibilité de prendre un ensemble de mesures. Parmi celles-ci, figurent les déclarations, émanant de divers échelons, depuis les plus hautes sphères jusqu'aux aspects techniques. De même, il y a lieu de mener des actions sur le terrain, telles que la convocation de réunions d'urgence ou même la cessation des communications. Une évaluation minutieuse de la manière de réagir à chaque scénario envisageable est requise ainsi que toute pression future susceptible de provoquer des déplacements forcés et des tensions accrues aux frontières. Ces démarches doivent être préalablement étudiées, puis communiquées aux israéliens avant leur mise en œuvre, et ce, avant de les porter à l'attention des américains, en tant que parrains historiques de l'accord de paix israélo-égyptien. 

Si les Etats-Unis portent un intérêt particulier à la question, c'est avant tout en raison de leur préoccupation pour les intérêts israéliens, et aussi pas parce que l'accord de paix israélo-égyptien, est considéré comme leur plus grande réussite régionale. 

 

Depuis le tout début de cette guerre, le Caire s'est efforcé de jouer un rôle de médiateur et d'équilibriste. Peut-on envisager une pérennité à ce rôle ?

L'Egypte a persévéré dans ses efforts pour instaurer un cessez-le-feu et faciliter les échanges de détenus, ce que je soutiens pleinement. A ce stade, il était crucial de ne pas fermer la porte, étant donné les considérations humanitaires en jeu. Cependant, il est indéniable que le camp israélien a outrepassé ces limites. Si davantage de vies sont perdues à Rafah et que des Palestiniens affluent vers les frontières égyptiennes, devrions-nous ouvrir le feu ou les laisser franchir la frontière ? Serons-nous guidés par la politique ou par un sens profond de l'humanité ? Il s'agit là d'un choix des plus périlleux. L'Egypte s'oppose fermement à leur entrée, car cela reviendrait à entériner la politique israélienne visant à dépeupler la territoire palestinien.

Personnellement, j'étais en faveur de poursuivre nos efforts visant à concilier les positions palestiniennes et israéliennes, dans le respect des besoins des Palestiniens. C'est un rôle complexe que nous avons accepté d'endosser dès les premiers mois, mais nous nous sommes depuis enlisés dans une stratégie délibérée de tergiversations de la part d'Israël, qui risque de perdurer un certain temps, car j'estime que les opérations israéliennes à Gaza ne prendront fin que dans six ou sept mois.

Estimez-vous que les positions prises par les pays arabes étaient à la hauteur des enjeux ?

Pour être franc, je suis insatisfait de la réaction des pays arabes. Oui, certaines démarches ont été entreprises au sein du monde arabe aux Nations unies, mais nous avons besoin d'une position plus claire et plus ferme. Les déclarations issues du sommet de Riyad, prononcées avec force mais arrivées 36 jours après le début de la guerre, auraient mérité d'être suivies d'actions concrètes. Nous avons dépassé les simples condamnations et les appels à l'aide. Il était impératif qu'une position arabe, voire plusieurs, soient affirmées. Je n'ai pas demandé, et ne demanderai pas, que tous les pays arabes adoptent la même position. Mais il est difficile de constater que chacun semble éviter de s'engager.. Indépendamment des positions à l’égard du Hamas ou des événements du 7 octobre, nous discutons ici des actions d'Israël à Gaza, ainsi que de son occupation persistante depuis plus de 70 ans.

 

Est-il envisageable que les pays arabes participent à la gestion post-conflit de Gaza, comme cela a été suggéré?

C'est impossible d'autant plus qu'Israël ne se retirera pas de Gaza à moins de trouver un moyen de convaincre l'opinion publique israélienne qu'il n'y a aucun danger en provenance de ce territoire. La solution nécessite un cessez-le-feu complet et un échange de prisonniers dans un délai de trois mois, suivi d'un retrait israélien et d'une force internationale aux côtés de la police palestinienne chargée de la sécurité, dans le cadre d'une solution où l'occupation ne sera pas permanente, mais où les négociations reposeront sur la base des frontières de 1967. 

Netanyahu, la seule chose qu'il ne nie pas, c'est qu'il n'est pas en faveur de l'Etat palestinien, une position qu'il maintient depuis déjà 20 ans. Alors nous devons pousser pour qu'Israël reconnaisse que la seule solution, est à deux Etats dans le cadre d'un accord global, dans les 24 mois, ce qui implique surtout la tenue d'élections en Israël et en Palestine.

 

Mais l'idée d'une protection internationale pour les Palestiniens a également été rejetée …

Oui et l'occupation israélienne est également rejetée. Nous devons donc intégrer cela dans notre pression. Cela suppose la formation d'un gouvernement palestinien en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, avec toutes les institutions d'un Etat palestinien placées sous une autorité palestinienne unique, sous supervision internationale ou sous la tutelle du Conseil de sécurité, et la tenue d'élections en Palestine et en Israël. Parmi les mesures que j'évoque, des dispositions de sécurité doivent être mises en place pour éviter toute agression transfrontalière. Toutes ces étapes, en fin de compte, conduiront à deux Etats. Israël le veut-il ? Non, bien sûr. Mais la persistance de l’occupation aboutira à une résistance continuelle. Les amis d'Israël doivent donc promouvoir cette solution, ne serait-ce que pour garantir la sécurité d'Israël. L'ancien chef du Shein Bet israélien lui-même a affirmé que la protection d'Israël réside dans l'établissement de deux Etats. Nous devons utiliser des incitations et des pressions, c'est ainsi qu'Israël opère. Les Israéliens sont actuellement sous le choc de l'opinion publique occidentale qui leur est défavorable et de la position de la Cour internationale de justice. Cette pression doit se poursuivre car elle n'est pas encore suffisante.

 

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