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Rafah : L’Egypte face aux obstinations israéliennes

Samar Al-Gamal , Mercredi, 29 mai 2024

La mort d’un soldat égyptien, tué par les forces d’occupation israéliennes près de la frontière avec Gaza, met davantage sous tension les relations entre l’Egypte et Israël, déjà marquées par des différends sur le terminal de Rafah. Explications.

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Archives - Des personnes du côté égyptien du poste-frontière de Rafah regardent un convoi de camions transportant des aides humanitaires vers la bande de Gaza. Photo : AFP

La frontière entre l'Egypte et Israël, déjà marquée par des tensions latentes, a été le théâtre d’une escalade qui pourrait bien enflammer davantage la région. Un soldat égyptien a été tué par les forces d’occupation israéliennes près de la frontière avec Gaza.

Selon l’enquête préliminaire menée par l’Egypte, l'incident s'est produit lors d'un échange de tirs entre les forces israéliennes et des membres de la résistance palestinienne à proximité du côté égyptien de Rafah. Les feux croisés ont conduit le soldat égyptien à prendre des mesures de protection et à agir en direction des tirs, avant qu’il ne soit tué.

Depuis des mois, Le Caire met en garde contre les conséquences potentiellement désastreuses d’une incursion israélienne à Rafah où plus de 700 000 Palestiniens ont trouvé refuge.

Israël, cependant, fait la sourde oreille aux appels à la prudence, défiant non seulement les avertissements égyptiens mais aussi ceux de ses alliés américains.

« La communauté internationale doit assumer ses responsabilités face à la gravité de la situation à la frontière égyptienne avec Gaza et au corridor de Philadelphie, non seulement d'un point de vue sécuritaire, mais aussi pour l'acheminement de l'aide humanitaire », dit une source sécuritaire à la télévision égyptienne. Selon la source, « des comités d'enquête ont été formés pour examiner les détails de l'incident afin de déterminer les responsabilités et prendre les mesures nécessaires pour éviter que cela ne se reproduise à l'avenir ».

La tension entre l’Egypte et Israël, liés par un accord de paix vieux de 45 ans, est loin de fléchir depuis que les forces d’occupation israéliennes se sont emparées du côté palestinien du passage de Rafah le 7 mai et ont occupé plus des deux tiers de l'axe de Philadelphie, à la frontière entre la péninsule du Sinaï et Gaza.

Le Caire, qui s’est lancé dans un exercice d'équilibrage complexe depuis le début de la guerre israélienne à Gaza, se veut très explicite dans sa colère. Les Egyptiens ont rapidement réagi en condamnant l’opération israélienne, la considérant comme une violation des accords régulant la frontière entre le territoire palestinien et l'Egypte.

« Les actions d'Israël à Rafah sont une violation claire des accords internationaux et sapent la stabilité régionale », a déclaré le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Shoukry. « Il y a une tension très élevée, ce n’est pas un secret », explique une source égyptienne.

Le signe le plus important de cette tension est sans doute l’implication, pour la première fois, du ministre égyptien de la Défense, Mohamed Zaki, qui a parlé ouvertement de la situation à Gaza, soumise à une guerre israélienne brutale depuis environ 8 mois successifs.

« La situation actuelle est gérée avec le plus grand discernement pour soutenir la cause palestinienne et soutenir les Palestiniens sur la base de la solution de deux Etats », a-t-il déclaré dans un communiqué. « L'armée est capable de relever tous les défis qui se posent à la sécurité nationale égyptienne dans toutes les directions stratégiques », a-t-il encore dit.

Pourquoi la tension

Et les raisons de la tension sont nombreuses, dit-on au Caire : l'échec des tentatives multiples de parvenir à une trêve ou à un cessez-le-feu, les accusations formulées à l’égard de l’Egypte sur son rôle dans la médiation et, enfin, l’invasion israélienne de Rafah et sa prise en hissant le drapeau israélien.

Tout cela a été perçu comme une provocation et un non-respect des avertissements selon lesquels toute opération à la frontière directe avec l’Egypte constituerait une « ligne rouge » menaçant le traité de paix de 1979.

« Je ne pense pas qu'il y ait une attitude hostile envers l'Egypte, mais c’est une question de souveraineté et de sécurité nationale que nous ne pouvons pas prendre à la légère », explique la source qui a auparavant travaillé de près avec les Palestiniens aussi bien que les Israéliens dans les territoires occupés. « Cela nous a poussés à prendre des mesures pratiques ».

Il cite notamment la décision de se joindre au procès pour génocide intenté par l'Afrique du Sud contre Israël devant la Cour internationale de justice de l'ONU. Mais juste avant, l’Egypte avait décidé de fermer le passage de Rafah, qui servait à la fois de passage pour les personnes voulant quitter Gaza et pour l’acheminement de l’aide crucialement vitale vers la bande palestinienne, où les résidents manquent de nourriture, d'eau potable, de médicaments … voire de tout.

L'Egypte a cependant refusé de rouvrir le passage jusqu'à ce que le contrôle soit rendu aux autorités palestiniennes. « Nous ne travaillerons pas et n'aiderons pas à faire fonctionner le passage tant que les Israéliens seront présents », affirme la source égyptienne.

Déportation des Palestiniens, une ligne rouge pour l’Egypte

L'accord de Philadelphie de 2005, qui faisait partie du plan de désengagement israélien, stipulait que l'Autorité palestinienne contrôle le côté gazaoui du passage de Rafah avec une surveillance européenne, tandis que l'Egypte serait responsable de la sécurité de son côté de la frontière.

Depuis la victoire du Hamas aux législatives et sa prise du pouvoir dans la bande de Gaza en 2007, le mouvement gère le côté palestinien du poste-frontière.

Le Caire ne veut pas non plus être complice d’une déportation des Palestiniens.

Les Israéliens auraient présenté au Caire un plan visant à coordonner la réouverture du passage de Rafah, ainsi qu'à gérer son fonctionnement futur, lequel a été rejeté par les Egyptiens, selon Reuters. Des responsables du service de sécurité israélien Shin Bet ont présenté le plan lors d'une visite au Caire et le porte-parole du gouvernement israélien a déclaré que l'Egypte avait rejeté une demande israélienne d'ouvrir Rafah aux civils de Gaza qui souhaitent s’enfuir.

Le premier ministre israélien, Benyamin Netanyahu, a suggéré que l'Egypte retenait « en otages » les habitants de Gaza et refusait de travailler avec Israël à Rafah, ce qui a ajouté aux frictions. Le ministre israélien des Affaires étrangères, Israël Katz, a déclaré dans un communiqué avoir discuté avec ses homologues britannique et allemand de « la nécessité de persuader l'Egypte de rouvrir le passage de Rafah ».

L’Egypte a accepté vendredi de détourner « temporairement » l’acheminement des aides via le terminal israélien de Karm Abou Salem, le principal terminal de fret de Gaza, après un appel entre le président américain, Joe Biden, et le président Abdel Fattah Al-Sissi. Des camions d'aide sont ainsi partis dimanche du Sinaï vers le terminal avec Israël à Gaza.

« Tout le monde sait que nous avons commencé à recevoir des aides dès le 21 octobre et nous avons maintenu le passage ouvert jusqu'à l’entrée d’Israël à Rafah. Nous ne jouons pas la carte de l'aide, c'est une position égyptienne de principe, nous ne permettrons pas que le peuple palestinien soit affamé », dit une source égyptienne.

Imposer une nouvelle réalité

« En tout cas, le passage de Rafah n'est pas le seul, les Israéliens n’ont qu’à ouvrir les autres passages comme Erez et Karni », ajoute la source. Elle croit que les Israéliens « veulent imposer une nouvelle réalité, et cela est inacceptable ». Selon la source, seul un changement de la position israélienne pourrait changer la situation et nous pourrions alors envisager plus tard de rouvrir le passage progressivement, que ce soit pour l'aide humanitaire ou pour les individus.

En dépit des frictions avec le côté israélien, Le Caire n’a pas décidé de rompre les contacts avec les Israéliens, même si les contacts sécuritaires sont en halte.

Les responsables égyptiens ne cessent de rappeler que le traité de paix est tributaire du respect « réciproque » de ses clauses et que « ses propres mécanismes » gèrent toute violation. N’empêche que le ministre des Affaires étrangères a déclaré la semaine dernière que la position de l'Egypte concernant ce traité de paix est liée à l'évolution des événements et aux intérêts égyptiens. « Nous essayons de trouver des solutions, nous sommes allés à Tel-Aviv et nous avons accueilli des responsables israéliens ici plusieurs fois. Il peut y avoir des contacts après un certain temps à différents niveaux », explique la source.

Le Caire espère reprendre la médiation sur un cessez-le-feu, et selon le journal israélien Maariv, des responsables égyptiens ont informé le directeur de la CIA, William Burns, que Washington devait exercer une réelle pression sur Israël pour le pousser à mettre fin à ses opérations à Rafah et à revenir à la table des négociations. Les pourparlers de cessez-le-feu à Gaza sont « presque au point mort » en raison de l'opération à Rafah.

La veille de l’invasion de Rafah, le chef du bureau politique du Hamas, Ismaïl Haniyeh, avait informé le chef des services de renseignement égyptien et le premier ministre qatari que le mouvement avait accepté leur proposition de cessez-le-feu, alors qu'Israël l’a rejetée. Selon des médias américains, les négociations devraient reprendre cette semaine, mais le Hamas a annoncé dans un communiqué que le mouvement « n'avait rien reçu des médiateurs ».

Vendredi, William Burns, le directeur du Mossad, David Barnea, et le premier ministre et ministre des Affaires étrangères du Qatar, Cheikh Mohammed bin Abdulrahman Al Thani, se sont réunis à Paris pour discuter de la possibilité de conclure un accord. Mais les Egyptiens étaient absents. En effet, l’Egypte avait menacé de se retirer des efforts de médiation, accusant Israël de mener des campagnes visant à discréditer son rôle.

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