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Farida Darwish : Exploratrice des lignes et des couleurs

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 22 mai 2024

Farida Darwish a troqué l’architecture, un métier qu’elle a pratiqué pendant une dizaine d’années, contre la peinture. Elle a voulu s’inscrire dans le sillage de son père Abdel Aziz Darwish, l’un des maîtres du réalisme impressionniste.

Farida Darwish
(Photo : Ayman Barayez)

Le plein et le vide, l’expressivité des matériaux, l’équilibre, la mise en espace et l’échelle … Des points communs qui relient l’architecture à l’art plastique. Pour quelqu’un qui est habité par l’amour des arts, la reconversion de l’architecture vers la peinture n’est pas une chose difficile. Farida Darwish en donne l’exemple. Elle n’a de cesse d’éveiller sa passion pour l’art plastique, tout en pratiquant l’architecture.

Fille du grand peintre Abdel Aziz Darwish, l’un des maîtres du réalisme impressionniste décédé en 1980, le monde des arts lui était familier depuis sa tendre enfance. « Quand j’avais sept ans, mon père mettait de la musique classique et me demandait de fermer les yeux et d’imaginer des images en couleurs », se souvient Farida Darwish. C’était comme si le peintre a voulu expliquer indirectement à sa fille le sens de la perméabilité entre les diverses disciplines artistiques.

Chez eux, à la maison, dessiner était un acte du quotidien. Farida et ses quatre frères et soeurs n’arrêtaient pas d’exprimer leurs idées. Leur imagination était alors nourrie de leurs fantasmes, de l’entourage mais aussi de la musique.

Le bac en poche, Farida a voulu réaliser son rêve en s’inscrivant à la faculté des beaux-arts. « A ma grande surprise, j’ai échoué au test d’admission requis. Il fallait chercher alors la spécialisation la plus proche des beaux-arts et j’ai opté pour l’architecture ». Le père était habitué à ce genre de surprise puisque sa fille aînée avait déjà échoué le même test alors qu’elle était classée première dans un concours international destiné aux dessins des enfants.

Farida n’a pas cédé. A la faculté d’architecture, elle dessinait ses professeurs, ses collègues, etc. De retour à la maison, elle passait directement à sa chambre que décoraient ses peintures sur verre. « Mon père m’a beaucoup encouragée. Parfois, il tenait une de mes peintures en disant qu’il avait cru être la sienne ». Ce sont des moments précieux dont elle connaît davantage la valeur aujourd’hui plus que jamais. « Mon père est décédé subitement, à la suite d’une crise cardiaque. J’ai été en année propédeutique ». Ce fut un vrai choc pour une jeune qui était à l’âge où l’on cherche habituellement à fuir ses parents et où l’on considère leur présence comme une évidence.

Après avoir obtenu son diplôme d’architecture, elle a opté pour le graphic design. Un travail passionnant, mais qui exige un effort monstre. Quelques années plus tard, elle a décidé de renouer avec son travail d’architecte et de passer une dizaine d’années de sa vie à l’exercer.

« L’année 2011 a chamboulé ma vie. Avec la Révolution du 25 Janvier, le travail d’architecture a connu une grande stagnation, et j’ai divorcé ». Dynamique et audacieuse, Farida n’a pas pu rester sans occupation. Elle a décidé de renouer avec sa passion d’autrefois. L’émulation artistique a remplacé le tumulte du quotidien. Comme le disait André Gide : l’art commence avec la difficulté.

« J’ai commencé à prendre des cours de dessin en Egypte, mais aussi avec des professeurs étrangers en ligne. Or, je ressentais toujours un certain manque. Je voulais acquérir un vrai savoir- faire, et non pas apprendre simplement à copier ou à dessiner. Les questions s’entassaient dans ma tête sans trouver de vraies réponses. J’ai décidé de chercher moi-même les réponses ». Apprendre en autodidacte n’était jamais simple. Mais c’est sa force de travail et son côté borné qui l’ont sauvée. « Pourquoi ne pas transmettre la connaissance acquise en cours de route aux autres qui devraient eux aussi en avoir besoin ? », c’était la question qui l’a amenée à mettre en place son école de dessin. Al-Marsam, qui signifie l’atelier d’artiste en arabe, a vu ainsi le jour. « Des amies venaient me voir pour suivre des cours. Trois ans ont suffi pour que l’école de dessin qui occupait le salon de sa maison devienne un appartement entier où l’on vient s’inscrire nombreux ».

En 2014, elle a organisé une première exposition qui a eu un grand succès au centre Hanaguer, réunissant ses oeuvres et celles de ses étudiants dont 60 % avaient dépassé les 50 ans. « Il n’y a pas d’âge pour apprendre à dessiner ou améliorer ses techniques. Tout le monde peut apprendre à dessiner avec de la volonté et de la pratique », affirme-t-elle. Et d’ajouter : « La première étape pour apprendre à dessiner est de commencer par les bases. Il peut s’agir de notions fondamentales telles que la ligne, la forme et la perspective. On peut également essayer différents matériels de dessin pour voir ce qui vous convient le mieux : crayons, stylos, essayer des différentes techniques, car cela permet d’expérimenter davantage et d’affiner des compétences spécifiques en matière de dessin ».

En plus d’être une source de plaisir, Farida avoue que les cours de dessin lui ont permis d’apprendre beaucoup de choses sur l’art, de communiquer autrement, d’extérioriser ses sentiments et ses idées, de la libérer du stress et de développer son talent d’artiste.

Changer de cap professionnel n’est pas seulement un changement de carrière, c’est un voyage audacieux vers la réalisation de soi. Farida a prêté attention à son appel intérieur, à ce qui la fait vibrer. Pour elle, c’est une carrière qui va au-delà de la simple rémunération. Elle a investi du temps et de l’énergie pour acquérir de nouvelles compétences et connaissances. En plus, elle s’est entourée d’une communauté de personnes partageant les mêmes aspirations, créant ainsi un réseau de soutien essentiel pour entamer un parcours entrepreneurial. « Suite à une série d’expositions réussies en France, en Allemagne, en Italie et en Autriche, sous l’intitulé Colors of Egypt, mes amies et moi-même avons pensé à fonder une galerie, et nous avons inauguré la salle CLEG en janvier 2020, mais nous avons dû la fermer en mars à cause de la pandémie ».

Entreprendre signifie faire face à des défis, mais chaque défi est également une opportunité déguisée. La persévérance et la résilience sont les compagnons de route de Farida qui l’ont aidée à surmonter les difficultés. « Nous avons organisé durant cette période une exposition caritative en ligne. La galerie a été ainsi connue avant d’accueillir entre ses murs de vraies expositions », souligne Farida en toute fierté. « Depuis 2021, on ne cesse de recevoir des invitations pour organiser des expositions en dehors de la galerie, en Egypte, dans l’une des stations balnéaires les plus connues et à Dubai Expo ».

Toutefois, Farida Darwish avoue qu’elle n’est pas bonne en entrepreneuriat et que c’est plutôt grâce à l’effort de ses amies que la galerie a connu un grand succès du point de vue commercial. « Je suis une personne plutôt persuasive. Un client est venu un jour acheter quelques peintures pour son domicile. Il m’a montré le décor et j’ai réussi à le convaincre de faire un autre choix ». La césure à l’architecture n’est cependant pas complète : elle allie sa formation à l’art.

Simple et correcte, cette dame aux cheveux bouclés préfère être à sa guise, dans ses peintures comme dans la vie. Un caractère hérité de son père. « J’ai appris de lui cet amour d’apprendre, et de transmettre la connaissance », souligne-t-elle en affirmant, cependant, des points de divergence. « Il n’avait jamais vendu ses peintures. Il les offrait en cadeaux à des rois, ou à des établissements. Et ce, malgré son statut de peintre confirmé : l’encyclopédie russe l’a classé neuvième parmi les artistes impressionnistes réalistes du monde arabe. En outre, il a été surnommé le Cézanne arabe. Aujourd’hui, je vends ses oeuvres, ainsi que les miennes ».

Farida vient d’exposer dans sa galerie une cinquantaine de nouvelles oeuvres sous le titre Histoires de Farida. Elle y expose trois styles différents : un style mêlant le folklore à la caricature où elle esquisse, entre autres, le vendeur ambulant de glace, le joueur de pianola, des peintures figuratives abstraites et des peintures impressionnistes suivant les traces de son père. « En devenant peintre professionnelle, j’ai redécouvert mon père en tant que peintre. Il est décédé au début des années 1980. Donc, je n’ai pas eu la chance d’apprendre beaucoup de lui, mais il est mon inspiration parce qu’il était un artiste unique, un impressionniste de génie ».

Qu’est-ce qui fait qu’un artiste passe d’un style à l’autre ? « Je m’ennuie si je continue à faire la même chose. J’aime essayer autant de styles que de techniques. A chaque fois, j’apprends quelque chose de nouveau. Lorsque j’ai décidé de peindre un paysage nubien, pour être exact, je me suis rendue à la Nubie, dans le sud de l’Egypte. J’ai pris beaucoup de photos. A mon retour, j’ai commencé à mettre en place toutes les couleurs que je veux utiliser dans ma peinture. Celles-là ne doivent pas nécessairement correspondre à celles des photos que j’ai prises et je n’ai pas forcément besoin d’inclure tous les éléments que j’ai vus dans la réalité. Tout dépend de mon humeur ».

Parfois, elle laisse sa toile quelques jours avant de voir ce que cela va donner. « Peut-être une personne, un portrait ou même un vase de fleurs et c’est comme ça que je commence. Je ne planifie rien. Je fais ce que j’aime et ressens », conclut-elle.

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