Après 10 ans de débats, le gouvernement de Mostafa Madbouly a décidé finalement de prélever un impôt sur les gains en capital investis dans les titres financiers cotés en Bourse, à partir de 2025. « Etant donné que la charte exécutive de la loi n° 30 de l’année 2023, relative à la mise en vigueur de l’impôt sur les gains en capital, n’a pas été annoncée, la collecte de l’impôt sera reportée à l’année fiscale prochaine, mars-avril 2025 », a déclaré le conseiller Mohamed Al-Homossani, porte-parole du Conseil des ministres, dans un communiqué publié début mai. Madbouly a assigné la mission de calculer et de collecter le nouvel impôt à l’Autorité des taxes égyptiennes et à Misr Clearing Company qui doivent coordonner leurs efforts pour établir les procédures de sa mise en application.
La décision gouvernementale d’imposer cet impôt, qui avait suscité pendant des années une large opposition de la part des investisseurs en Bourse, répond notamment aux recommandations du Fonds monétaire international. Ce dernier a inclus l’impôt sur les gains en capital dans le cadre des nouvelles mesures urgentes à prendre pour augmenter les recettes fiscales et les revenus budgétaires. « Le taux des revenus fiscaux par rapport au PIB devrait augmenter de 12,6 % en 2023-24, à 13 % en 2024-25 et à 14,2 % en 2025-26 », prévoit l’institution internationale dans son rapport sur les première et deuxième revues du programme de crédit pour l’Egypte publié le 26 avril dernier.
L’experte en études de faisabilité Hoda Al-Mallah explique à l’Hebdo l’impact positif de l’application du nouvel impôt sur les finances publiques. Celle-ci se traduira par une augmentation des revenus fiscaux. « Le budget 2024-25 vise à accroître les revenus étatiques de 8,5 %. Or, la plupart de ces revenus proviennent des taxes », explique-t-elle.
Si l’impact de la taxe est positif sur le Trésor de l’Etat, son influence sur la Bourse n’est pas encore claire. L’impôt sera appliqué sur le portefeuille des particuliers et des institutions. Cependant, en attendant la charte exécutive de la loi, on ignore tout de son mécanisme d’application et des méthodes de calcul, souligne Ahmed Bayoumi, analyste financier au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques. « L’application est beaucoup plus importante que l’aspect théorique. L’impôt sera prélevé sur le portefeuille du particulier tout en surveillant les dates d’achat et de vente des titres, ce qui n’est pas facile à calculer. La Bourse égyptienne étant marquée par une grande volatilité ces derniers temps, il est donc difficile de prévoir les recettes des particuliers car elles dépendent de la performance de la Bourse », ajoute-t-il.
Selon Amr Al-Alfy, chef du département des recherches chez Thndr Securities Brokerage, les discussions sur la taxe sur les gains en capital ont commencé en 2014, lorsqu’elle a été appliquée pour la première fois, puis reportée à 2015 jusqu’à aujourd’hui. A chaque fois que le gouvernement décidait de l’appliquer, la situation de la Bourse ne le permettait pas. « La loi a été promulguée à la suite d’un dialogue réunissant toutes les parties concernées : le ministère des Finances, les représentants des banques d’investissement, les analystes boursiers et financiers et les responsables de la législation. Ils ont apporté des amendements et ont convenu du cadre final », a-t-il expliqué.
Alternative
Lorsque le gouvernement a annoncé son intention d’appliquer cet impôt, les investisseurs et les analystes ont exprimé leurs réticences, ce qui s’est répercuté sur l’EGX 30 (voir encadré). « Le moment n’est pas adéquat, d’autant que la Bourse a perdu la semaine dernière 90 milliards de L.E. d’un seul coup. C’est pour cette raison qu’on a reporté l’imposition de l’impôt à mars 2025. Cette décision a sauvé la Bourse, mais le gouvernement doit prendre une décision et examiner de manière plus approfondie l’imposition de ce nouvel impôt en analysant minutieusement son impact », explique Ahmed Abdel-Méguid, expert financier indépendant.
Face aux incertitudes concernant son impact sur la Bourse, la plupart des experts préfèrent opter pour une taxe de timbre, qui a généré des recettes satisfaisantes au cours des quatre années durant lesquelles elle a été appliquée. Cette taxe est entrée en vigueur en 2013 et a accumulé des recettes de l’ordre de 350 millions de L.E. la même année, alors que les échanges boursiers n’excédaient pas 500 millions de L.E. Lorsqu’elle a été réappliquée en 2017, 2018 et 2019, elle a généré respectivement 354, 583 et 729 millions de L.E. Selon Ahmed Abdel-Méguid, « la taxe de timbre est imposée sur les opérations de vente à un taux de 0,5/1000. Pour chaque opération de vente d’une valeur de 1 000 L.E., une taxe de 50 piastres est collectée. La taxe est donc prélevée automatiquement sur tout échange boursier. Son mécanisme de collecte est clair », dit-il, ajoutant qu’il est préférable de remplacer l’impôt sur les gains en capital par la taxe de timbre car les recettes sont stables et faciles à calculer. Il note qu’il faut attendre que le système des gains soit mature en Egypte. « Son calcul est très compliqué et incompréhensible. De même, son application pourrait avoir des effets indésirables à long terme, car il n’existe pas dans toutes les Bourses régionales et les investisseurs pourraient se tourner vers d’autres marchés financiers qui n’imposent pas ce type d’impôt », ajoute Abdel-Méguid.
Al-Alfy n’est pas d’accord avec ce point de vue et estime que l’application de l’impôt ne sera pas agressive. En d’autres termes, 10 % seront déduits des rendements boursiers annuels. « Aux Etats-Unis, l’impôt sur les gains consiste à déduire 37 % des rendements annuels des portefeuilles à court terme et 25 % pour les portefeuilles à long terme », explique-t-il. Il considère cependant qu’il est possible, étant donné que le mécanisme d’application n’a pas été encore rendu public, que le gouvernement reporte l’application de la taxe, notamment avec la prochaine émission en Bourse de 10 % de la Nouvelle Capitale administrative. Il n’écarte pas la possibilité que le gouvernement s’engage dans de nouvelles discussions qui aboutiraient à l’application de la taxe de timbre, un procédé plus efficace et plus adéquat.
La volatilité de la Bourse expliquée
Le marché boursier égyptien a connu une période de grande volatilité et d’instabilité ces deux derniers mois, marquée par des baisses successives des indices. Depuis le 6 mars 2024, la tendance générale est à la baisse, avec une certaine résurgence le 2 mai, juste avant les vacances de Pâques. L’indice principal EGX 30 a enregistré une hausse de 3,3 % ce jour-là, clôturant à 26 113 points. Cette hausse ponctuelle peut être attribuée à la décision gouvernementale de reporter à 2025 l’application d’un impôt sur les gains en capital. « En général, lorsqu’il y a des chutes successives, les débuts de mois connaissent une hausse boursière », note à l’Hebdo Amr Al-Alfy, chef du département des recherches chez Thndr Securities Brokerage, ajoutant que les informations circulant la semaine dernière sur l’application de l’impôt sur les gains en capital ont entraîné le recul de l’indice de 6 % dans les sessions du 27 avril au 1er mai. Selon lui, d’autres raisons ont conduit les indices boursiers à la baisse, dont les craintes des investisseurs à cause de l’escalade de la violence au Moyen-Orient et le recul des indices des marchés financiers mondiaux.
La performance volatile de la Bourse égyptienne a dominé les échanges au cours des deux derniers mois. Le 6 mars a été une date charnière dans la performance boursière pendant laquelle les indices boursiers ont connu une chute considérable, notamment l’indice principal EGX 30 qui a baissé à 29 735 points. Cependant, une correction toujours aussi violente a eu lieu le 11 mars lorsque la Bourse a atteint un pic de 15 % pour clôturer à 34 500 points. « Cette volatilité des indices boursiers était due à la double décision de la libéralisation des taux de change et de la hausse des taux d’intérêt de 600 points par la Banque Centrale d’Egypte », a déclaré Adham Gamal El Din, analyste boursier à la banque d’investissement Cairo Financial Holding. Une autre raison a été avancée. Il s’agit des flux de liquidités vers les certificats de dépôt bancaires. Toutes ces perturbations se sont manifestées dans la vente massive des actions des institutions locales à la deuxième moitié du mois de mars et tout au long d’avril. Al-Alfy estime qu’il est difficile avec cette volatilité de faire des prévisions sur la performance future de la Bourse ou bien de conseiller quel type de secteurs est profitable. « Il y a une contradiction : la plupart des entreprises ont émis des bilans financiers positifs. Malgré cela, la Bourse connaît des chutes », conclut-il.
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