Al-Ahram Hebdo : Au cours des dernières années, le statut de la femme s’est nettement amélioré en Egypte. Comment voyez-vous aujourd’hui le statut de la femme rurale ?
Makka Abdel Mawla : Je crois que le statut de la femme rurale s’est beaucoup amélioré. Aujourd’hui, même dans les campagnes, les femmes sont de plus en plus indépendantes. Autrefois, les femmes n’avaient même pas accès aux papiers d’identité. Aujourd’hui, de par mon expérience en tant que guide rurale, je peux vous dire que les choses ont changé. Les femmes se rendent dans les administrations gouvernementales pour faire leurs papiers d’identité. Je les renseigne et je les guide si par exemple elles veulent faire des certificats de naissance pour leurs enfants ou autres. Un énorme travail de sensibilisation a été accompli à ce niveau.
Le niveau éducatif a aussi beaucoup changé. Autrefois, très peu de familles acceptaient de scolariser leurs filles. Mais aujourd’hui, beaucoup de femmes de la Haute-Egypte possèdent des diplômes universitaires, même si elles se marient un peu plus tôt que leurs homologues masculins dans d’autres régions d’Egypte. Nous avons ici à Assiout des femmes médecins et ingénieures.
— Justement, l’âge du mariage est un grand problème pour les filles dans certaines zones rurales. Beaucoup se marient extrêmement jeunes. Qu’est-ce qui a été fait à ce niveau ?
— Cette situation commence peu à peu à changer. Autrefois, on mariait les filles dont le physique donnait l’apparence d’un âge mûr par rapport à leur âge réel et on ne prenait pas leur avis. L’intérêt accordé à l’éducation a permis d’atténuer ce phénomène. Et puis, aujourd’hui, il y a une loi qui interdit le mariage précoce (sous 18 ans). Aujourd’hui, 20 ans est l’âge minimum du mariage, il y a même des filles qui dépassent les 25 ans sans mariage, et cela ne pose aucun problème.
— Mais ne trouvez-vous pas que le poids des traditions continue à peser dans les régions rurales ?
— C’est vrai, mais un énorme travail de sensibilisation a été fait en faveur de l’autonomisation de la femme rurale et a eu un impact sur les gens. Certaines restrictions qu’on avait auparavant n’ont plus de place aujourd’hui. Prenons l’exemple des jeunes fiancées, elles n’avaient pas droit de bouger de chez elles. Aujourd’hui, elles prennent leur temps pour faire la connaissance de leurs futurs maris sans être importunées par leurs familles.
— Beaucoup de femmes ont des difficultés à faire valoir leurs droits à l’héritage dans certaines régions …
— Je peux vous dire qu’aujourd’hui, la plupart des femmes obtiennent leurs droits. Il existe bien entendu des cas où le frère, par exemple, interdit de donner l’argent de l’héritage à sa soeur sous prétexte que son époux est étranger à la famille. Dans ce genre de cas, la femme doit intenter un procès devant le tribunal pour accéder à son droit en matière d’héritage. Et personne ne peut l’arrêter.
— Quel a été le problème le plus grave auquel vous avez été confrontée durant votre travail de pionnière rurale ?
— Une des habitantes voulait partir au pèlerinage et elle n’avait pas de carte d’identité, et ses enfants n’avaient ni son certificat de mariage, ni son acte de naissance. Elle était sans papiers. Son mariage avec son cousin n’était pas enregistré officiellement à l’Etat civil, c’était un mariage coutumier un peu comme à l’époque du prophète lorsqu’il suffisait de deux témoins pour déclarer qu’un tel et une telle sont mariés et bien entendu le Ishhar, c’est-à-dire l’annonce du mariage devant la famille, les proches et les connaissances. Etant donné que beaucoup de femmes sont mariées de manière coutumière, elles ne possèdent pas d’actes de mariage et leurs enfants n’ont pas d’actes de naissance, on utilise la dentition pour déterminer l’âge des enfants avant de leur faire des cartes d’identité. J’ai donc fait une demande pour son fils aîné pour qu’il obtienne un acte de naissance. Ensuite, je l’ai signalée à l’Etat civil comme « enregistrement tardif ». Après de longues procédures, j’ai réussi à lui faire un acte de mariage. Depuis les années 2000, je travaille dans les campagnes lancées par l’Etat et le Conseil national de la femme pour délivrer des cartes d’identité aux femmes. C’est le point de départ pour qu’elles obtiennent leurs droits dans les pensions de retraites et les allocations sociales.
— Parlez-nous de votre travail. Comment êtes-vous devenue pionnière rurale ?
— J’ai commencé dans les années 1980, j’étais divorcée, responsable d’une fille et je travaillais comme couturière pour gagner ma vie et avoir un revenu permanant. Ce travail a élargi mes cercles de connaissances et j’avais de très bonnes relations avec les familles de mon village et d’autres villages voisins. A cette époque, le président de l’unité des affaires sociales cherchait des femmes à former pour devenir pionnières rurales. Les habitants du village l’ont dirigé vers moi en lui disant que j’étais indépendante, responsable et que j’avais réussi à me procurer un travail sans demander l’aide de personne.
Pour être pionnière rurale, il faut être sociable et avoir une bonne réputation dans son village, car la pionnière rurale est le trait d’union entre les habitants du village et les responsables du ministère de la Solidarité sociale. La pionnière rurale passe des examens de lecture et elle doit avoir une attitude respectable envers les gens et ne pas extérioriser les secrets des foyers. Lorsqu’elle se retrouve au sein d’une famille, la pionnière rurale ne doit pas divulguer les détails de leur vie quotidienne. Elle doit inspirer confiance et être crédible aux yeux des autres.
En plus, la pionnière rurale doit être convaincante. Au début, nous étions une quinzaine de 5 villages différents. Nous avons suivi des stages de formation pendant 3 semaines pour apprendre des notions sur le planning familial, l’importance de l’éducation, la lutte contre l’excision, etc.
A l’époque, les moyens de communication n’étaient pas répandus comme c’est le cas aujourd’hui. On devait nous-mêmes emmener les médecins et les assistantes sociales à la rencontre des habitants du village, mettre sur la table les problèmes et aider les gens à les résoudre. Il faut savoir aussi qu’une pionnière rurale doit rédiger des rapports sur le nombre de foyers qu’elle a visités durant le mois ; elle doit faire le bilan des questions abordées avec les familles et dire si les réactions sont positives ou non. Elle doit rencontrer chaque mois le président de l’unité de solidarité sociale pour parler des besoins des habitants, trouver des solutions et évoquer les moyens de réaliser le développement social.
— Mais comment avez-vous réussi ? N’avez-vous pas rencontré des obstacles au niveau personnel ?
— J’ai quitté l’école assez jeune, mais ma mère avait enraciné en moi l’amour du savoir et de la connaissance, elle me ramenait à la maison toutes sortes de journaux et je lisais beaucoup sur l’actualité et les événements courants. C’était un effort personnel qui a contribué à l’épanouissement de ma personnalité. J’avais la logique nécessaire pour aborder toutes les questions. J’ai proposé de consacrer une partie de ma maison afin de faire un atelier pour l’apprentissage de la couture. A l’époque, l’UNICEF avait financé les machines à coudre. Nous avions une production importante et le projet a bien marché. Je me souviens que nous avons offert, en guise de souvenir, une djellaba au directeur de l’UNICEF. Les présentatrices à la télévision égyptienne Kamilia Al-Chanawani et Salma Al-Chammae nous ont rendu visite et ont parlé de notre travail à l’atelier dans leurs programmes.
Mon travail en tant que pionnière rurale m’a aidée à bien étudier la situation des familles. Par exemple, à la rentrée scolaire, on offre aux familles pauvres les fournitures scolaires : uniformes, cartables, etc. On offre pendant toute l’année des rations alimentaires aux familles qui sont dans le besoin.
— L’Etat déploie des efforts intenses pour réaliser l’inclusion financière dans les zones rurales. Pouvez-vous nous en parler ?
— Effectivement, beaucoup de femmes ont aujourd’hui des cartes bancaires pour percevoir leurs pensions de retraites et aussi la pension Takafol wa Karama (solidarité et dignité). Mais les femmes ne possèdent pas encore de cartes de crédit et de comptes bancaires. Nous essayons, à travers les programmes d’autonomisation des femmes, de leur octroyer une plus grande indépendance financière.
— En tant que pionnière rurale, qu’est-ce que vous souhaitez aujourd’hui pour votre village ?
— Nous aimerions que les responsables et les hommes d’affaires facilitent la construction d’une usine de prêt-à-porter afin de créer des emplois, car beaucoup de familles vivent encore dans la misère, et un certain nombre de ces familles sont gérées par des femmes veuves ou divorcées.
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