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Rabeha, une équation gagnant-gagnant

Salma Hussein , Mercredi, 01 mai 2024

Trouver un travail n’est pas toujours facile pour les jeunes femmes en Egypte, notamment en province. Rabeha, un programme parrainé par ONU Femmes, offre des formations qui concilient les besoins des employeurs aux compétences des demandeuses d’emploi. Focus.

Rabeha, une équation gagnant-gagnant
La nouvelle phase de la formation sera en ligne et en personne.

Basseinte vit à Dar Al-Salam, un quartier défavorisé du sud du Caire. Avec sa famille, elle habite un appartement au troisième étage dans un immeuble évidemment sans ascenseur. Une grande incommodité pour la nouvelle graduée sur son fauteuil roulant. Chercher un travail était un autre obstacle qu’elle voulait surmonter quand elle a vu l’annonce d’un programme de formation organisé notamment par deux institutions prestigieuses, ONU Femmes et l’Université américaine du Caire (AUC). C’était en 2021, les cours étaient en ligne. « L’annonce invite les filles qui entament leur carrière, y compris celles souffrant d’un handicap, à postuler à cette formation », raconte-t-elle. D’habitude, Basseinte n’osait pas postuler, de crainte d’être rejetée à cause de son handicap. « Qu’une fille trouve du travail, c’est difficile, qu’une fille handicapée en trouve, c’est impossible », regrette-t-elle. Lors de la formation, elle a acquis des compétences vitales : comment écrire un CV, comment réussir une interview, comment faire de sa page Facebook ou LinkedIn une façade qui reflète ses compétences. Mais avant tout, la formation a aidé Basseinte à déterminer sa vocation. « C’est grâce à cette formation que j’ai réussi mon interview. Je travaille maintenant au service à la clientèle d’une association qui offre des services et des équipements aux handicapés, El-Hassan Foundation, et j’aime ce que je fais ».

L’impact magnifique de cette formation de deux semaines sur la vie de Basseinte n’est pas une exception. A Minya, au sud du pays, les opportunités de travail sont très rares, notamment pour les filles. Cherry Atef, qui travaillait dans un studio de photos, a participé à l’un des cycles de cette formation et en a amplement profité. C’est ainsi qu’elle a réalisé que sa vocation originale est l’enseignement. Elle a réussi l’interview à une école publique primaire où elle travaille toujours comme professeure de mathématiques.

Quant à Mariam, une Cairote qui, deux mois après la formation, a trouvé un télétravail dans une entreprise de formation technologique, elle explique : « C’est surtout le coaching pour réussir les interviews qui m’a aidée. Aujourd’hui, je travaille comme instructeur de coding dans une entreprise de programmation, I-School ».

Plus de 800 bénéficiaires

Les histoires de succès de ce programme sont nombreuses, un programme qui fait partie d’un projet plus vaste, parrainé par ONU Femmes « Rabeha », c’est-à-dire gagnante. Celui-ci comprend aussi un autre programme pour former les femmes entrepreneuses. En effet, le programme Rabeha est conçu depuis 2021 « pour aider les femmes à réaliser leur potentiel et pour promouvoir le développement socio-économique du pays », décrit le site web de ONU Femmes. La formation aide à promouvoir l’égalité de genre à travers l’autonomisation des femmes, en les armant de compétences mais aussi de confiance.

En Egypte, le taux de chômage parmi les femmes est quatre fois plus grand que les hommes. Il s’élève à plus de 20 % selon les chiffres officiels rendus par l’Agence centrale pour la mobilisation publique et les statistiques (CAPMAS). En 2022, les femmes ne faisaient que 17 % de l’ensemble de la population active. Ce sont majoritairement des femmes éduquées qui peinent à trouver du travail. Ce qui donne place à un autre phénomène aussi alarmant, celui des « travailleurs découragés ». Ce sont ceux et celles qui ont perdu l’espoir de trouver un travail et ont entièrement cessé de chercher. Ainsi, sur la dernière décennie, la main-d’oeuvre est majoritairement dominée par les hommes.

Lors de la première phase de la formation, 36 ateliers ont été organisés pour ces participantes en plus de 20 tables rondes les regroupant avec des employeurs. Par ailleurs, elles ont participé à des sessions de consultation de carrière, animées par des ONG spécialisées. « L’enjeu est énorme. Mais nous sommes fiers de participer à la solution, même si c’est à une échelle assez limitée », reconnaît Noha El-Mekkawi, doyenne de l’école des affaires globales et d’administration publique à l’AUC. Entre mai 2021 et décembre 2023, le programme a offert des formations à 872 participantes venant de sept gouvernorats : Le Caire, Guiza, Béheira, Alexandrie, Fayoum, Béni-Soueif et Minya. 217 étaient handicapées. La grande majorité était des universitaires.

Trois ans après le début du programme, les préparatifs battent leur plein pour entamer un nouveau cycle de formation. Le succès chatouille l’appétit. A la phase deux de Rabeha, l’investissement humain en jeu est encore plus grand. Le chiffre ciblé est de plus d’un millier de participantes. La formation prochaine commence au mois de mai. 500 filles ont déjà postulé. Les mêmes critères de sélection s’appliquent. « Il y a celles qui entrent dans la vie active, celles qui reviennent sur le marché du travail. Des universitaires ou des femmes ayant suivi un enseignement technique âgées de 18 à 50 ans », explique Hend, un des principaux organisateurs de la première phase. « Nous avons également mené un partenariat avec l’agence égyptienne de recrutement sur Internet Wuzzuf, où on a invité les participantes à créer leurs propres comptes, à rechercher des emplois et à postuler pour au moins deux jobs », ajoute Hend.

En mars dernier, les partenaires de ce projet se sont réunis à nouveau : ONU Femmes, l’AUC, mais aussi le Conseil national de la femme et Canada Global Fund. Objectif : discuter des atouts et des points faibles de la première phase du programme. « Nous avons appris plein de leçons », souligne Mohamed Menza, directeur de l’éducation exécutive au sein de l’AUC : réunions de brainstorming avec des employeurs du secteur privé pour savoir quels genres de compétences ils peinent à trouver, discussions avec les personnes formées sur les erreurs à éviter lors des interviews et sur leurs problèmes à trouver du travail.

Autre point fort, le dossier des handicapées. L’AUC a eu recours à des institutions comme Masr El-Kheir, Helm, la fondation El-Hassan et l’association Al-Mostaqbal (futur) pour partager l’annonce. ONU Femmes a aussi eu recours à Resolve (résoudre), une ONG spécialisée dans le développement des matériaux de formation, pour participer au programme. « Les formateurs étaient engagés et professionnels. Il y avait une rencontre en tête-à-tête, chacune avec un formateur, pour nous faire découvrir et réaliser le travail qui nous plaît et qui nous convient le plus. C’était crucial pour moi », souligne Rania, du Caire.


Basseinte fait partie de 217 jeunes femmes souffrant d’un handicap à avoir suivi le programme Rabeha et à avoir trouvé l’emploi qui lui convient le mieux.

Rectifier les erreurs de la première phase

En revanche, le programme a fait face à des défis : comment développer des matériaux appropriés à différents types de handicap, ou encore, comment avoir des formateurs qui savent comment présenter ces matériaux aux participantes, d’autant que la formation était majoritairement en ligne. En plus, les participantes à la première phase ont critiqué le fait que lors des sessions en ligne, l’interaction était difficile et elles avaient besoin de plus de feedback sur leur projet de graduation. C’est là la plus grande leçon pour la nouvelle phase : la formation sera hybride, en ligne et en personne. La mobilité des filles est relativement restreinte. Surtout dans les gouvernorats ruraux et au Saïd (le sud du pays). En plus, les participantes se sont plaintes de la faible qualité du réseau d’Internet, notamment dans les villes moins favorisées de l’Egypte. « Pour toutes ces raisons, il vaut mieux que nous allions chez elles », renchérit Menza. Autre souci : pour beaucoup de filles au chômage, et donc sans revenus, Internet serait trop coûteux. « C’est pourquoi des forfaits Internet seront offerts à toutes les nouvelles bénéficiaires », rassure Menza.

Malgré les difficultés, à la fin de la première phase, au moins 4 sur 10 de ces filles ont trouvé du travail. Mais les défis persistent. L’étude d’évaluation du programme souligne que le marché n’offre que des emplois plutôt modestes. Les emplois décents, qui proposent notamment une protection sociale adéquate, restent limités. « Beaucoup d’études ont montré que l’absence de la protection sociale, notamment dans le secteur privé, est la principale raison pour laquelle les filles préfèrent rester à la maison, ou pire, quittent le marché du travail », regrette Noha El-Mekkawi, qui espère que la deuxième phase de Rabeha renfermera des sessions de sensibilisation aux droits de travail décent.

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