« Est-ce vrai que vous allez nous inviter à prendre des repas chauds sans verser un seul sou ? Est-il possible qu’un restaurant offre de la nourriture gratuitement ? ». Ces questions reviennent comme un leitmotiv sur les lèvres des bénéficiaires dès qu’ils sont invités pour la première fois à manger chez Fratello (fraternité). Ce restaurant, ouvert il y a deux mois, a pris la place d’un ancien établissement au quartier de Maadi. Il accueille deux types de clientèle : les clients payants et les bénéficiaires de repas gratuits. Fratello a été créé par la fondation Al-Ekhwa Al-Insaniya (la Fraternité humaine). Il a mis en place un moyen novateur pour nourrir les personnes défavorisées en leur offrant des repas gratuits tout en leur permettant de découvrir et de profiter d’une ambiance qu’ils n’avaient jamais connue auparavant. Il vise à leur offrir la possibilité de diversifier leur alimentation et à leur servir des protéines animales lors de chaque visite. « Nous souhaitons promouvoir des valeurs positives telles que la fraternité, la solidarité et surtout la dignité et l’égalité entre les êtres humains. Ici, aucune distinction n’est faite entre ceux qui ont de l’argent et ceux qui n’en ont pas. Le bénéficiaire d’un repas gratuit détient une carte prépayée qu’il présente au serveur à la fin du repas », explique Milad Lahzi, secrétaire général de la fondation de la Fraternité humaine.
La carte de bonté
Environ 700 familles possèdent une « carte de bonté ». Chaque carte répertorie le nom du chef de famille et le nombre d’enfants. Ces informations s’affichent à l’écran de l’ordinateur lorsque le serveur scanne la carte. « Par ailleurs, la fondation accepte également les dons par carte bancaire et le donateur est libre de choisir le nombre de repas à payer en utilisant une ou plusieurs cartes. Cette action se réalise via la ligne verte de la fondation 17099 ou le compte bancaire 2419 », ajoute Lahzi. En plus, le conseil d’administration est en contact permanent avec des hommes d’affaires qui contribuent au remboursement des coûts engendrés par les repas gratuits offerts par le restaurant afin de constituer des réserves alimentaires. De même, le client régulier peut contribuer indirectement aux repas des bénéficiaires et au bon fonctionnement du restaurant.
« Les clients réguliers ont bien entendu un plus large éventail de choix sur le menu, tels que des côtelettes d’agneau grillées, un cordon bleu de veau ou d’autres plats plus coûteux. Les économies réalisées sur le montant de leur facture permettent de couvrir les frais des repas offerts gratuitement aux bénéficiaires », affirme Lahzi. Par ailleurs, un protocole de coopération a été signé entre la fondation et le ministère de la Solidarité sociale qui contribue à hauteur de 20 % du coût de chaque repas estimé à 135 L.E. Sept plats variés sont proposés, équilibrés et composés de protéines animales, de légumes ou de féculents, accompagnés de salade, d’eau, de jus ou d’une boisson gazeuse selon le choix du bénéficiaire.
(Photo : Mohamad Maher)
En réaction à la hausse des prix alimentaires
Ce restaurant a vu le jour en réponse à la crise économique mondiale qui a entraîné une forte augmentation des prix des denrées alimentaires. A titre d’exemple, le kilo de viande de boeuf sur le marché est estimé entre 400 et 500 L.E. Le kilo de poulet blanc vaut 115 L.E., tandis que celui du poulet de ferme atteint 145 L.E. Des enquêtes sociales ont été menées par la fondation afin d’identifier les familles éligibles à une carte prépayée et pouvant bénéficier d’au moins deux repas par mois dans le restaurant. Toutefois, certains critères doivent être remplis. Le revenu mensuel d’une famille de six membres ne doit pas dépasser les 5 000 L.E., les enfants doivent être scolarisés et la famille doit vivre dans un logement modeste.
Dans le même contexte, la fondation s’appuie sur les données enregistrées par le ministère de la Solidarité sociale pour faire profiter les familles résidant aux alentours du quartier de Maadi comme Bassatine, Asmarat et Saqr Qoreich. « Nous visons à couvrir 5 000 familles par an, soit un total de 30 000 personnes. Pendant le Ramadan, ce chiffre atteindra 2 500 ménages. Comme le restaurant ne peut servir que 400 repas par jour à la fois aux clients et aux bénéficiaires, nous avons prévu d’autres endroits pour accueillir ces derniers. Sept centres de jeunesse ont été mis à notre disposition par le ministère de la Jeunesse et du Sport pour augmenter le nombre de bénéficiaires durant ce mois sacré », souligne Gamal Zékri, chef du comité responsable du restaurant.
Les serveurs reçoivent une formation adéquate et sont chargés d’accueillir tout le monde avec gentillesse et courtoisie. Parfois, les bénéficiaires ne savent ni lire ni écrire. Dans ce cas, les serveurs leur expliquent avec bienveillance le contenu des plats et leur permettent de faire leur choix. « La carte indique le nombre d’enfants. Un repas à emporter est prévu pour la personne absente », explique Hazem, un serveur dont le sourire reflète une bienveillance exceptionnelle.
La fondation prend également en compte les besoins des bénéficiaires qui ont des difficultés de déplacement, tels que les personnes handicapées et âgées, ainsi que les étudiants qui ne peuvent profiter de sorties. C’est pourquoi les repas à emporter peuvent représenter jusqu’à 40 % des services. « C’est la première fois que je mange dans un restaurant. Les portions sont largement suffisantes. Tout est frais et chaud. Les repas sont préparés spécialement pour nous, ce ne sont pas des restes comme nous en avons l’habitude », explique Om Rima, couturière. Divorcée, avec 4 filles à charge et une mère handicapée, elle reçoit une pension du programme d’aide gouvernemental « Takafol wa Karama » (solidarité et dignité) s’élevant à 400 L.E. par mois. Om Rima se souvient des initiatives qui, pendant le Ramadan, consistaient à leur proposer des restes de repas. En se rendant à ce restaurant, elle se sent égale à tous les autres. Même si elle bénéficie de repas de charité, elle ne se sent pas diminuée. Offrir aux personnes défavorisées la possibilité de venir dans un restaurant comme tout le monde leur permet de renforcer leur estime de soi. « Avant, lors des sorties en famille, nous nous contentions de foul ou de kochari (plats populaires peu chers). Consommer ces petits plats délicieux dans un vrai restaurant n’était pas dans mes moyens », raconte Ali, un agent de sécurité dans une entreprise.
La carte prépayée est valable pour 2 visites mensuelles pour chaque famille. (Photo : Mohamad Maher)
La fondation de la Fraternité humaine a été créée en 2022 et figure parmi les 34 000 associations non gouvernementales existantes en Egypte, mais c’est la première fois qu’une initiative met en place une forme de justice sociale entre riches et pauvres dans un même lieu. « La Fraternité contribue à combler les fossés et réduire les inégalités existantes. Ce restaurant met en oeuvre une politique de responsabilité sociale en soutenant le droit des pauvres à accéder à une alimentation adéquate et nutritive. Il s’agit d’un devoir que les fondations et ceux qui disposent de moyens financiers doivent assumer », affirme Nevin El-Kabbaj, ministre de la Solidarité sociale.
Selon Gamal Zékri, la fondation de la Fraternité humaine organise des sessions d’information dans les entreprises, les universités et les établissements scolaires pour sensibiliser les individus aux nouvelles formes de soutien aux personnes défavorisées dans la société. « Nous souhaitons que les clients de Fratello soient conscients de l’importance de leur rôle et ne sous-estiment pas l’opportunité de se retrouver aux côtés des bénéficiaires et de partager un repas dans un même endroit », déclare-t-il. Waël, directeur dans une société pétrolière, est l’un des clients qui préfèrent déjeuner chez Fratello avant de retourner au travail. « La présence de bénéficiaires autour de moi, et dans le même restaurant où je me rends chaque jour, m’encourage à faire des dons de bienfaisance pour aider ceux qui en ont besoin, après l’enquête sociale menée par la fondation », dit-il, traduisant l’idée de base de Fratello : assurer l’égalité, la fraternité et l’humanité autour d’une même table, en application du proverbe égyptien : « Manger du pain et du sel », symbolisant la bonne compagnie.
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