« Les horreurs actuelles à Gaza ne servent personne et ont un impact à travers le monde. L’assaut mortel contre la dignité humaine des Palestiniens crée une crise de crédibilité pour la communauté internationale. Cela met à l’épreuve les valeurs que nous proclamons universelles. Cela met à l’épreuve le droit international. Cela met à l’épreuve les principes humanitaires fondamentaux. Cela met à l’épreuve notre humanité fondamentale », lançait le secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, lors d’une visite cette semaine au Caire. Guterres, qui dit avoir choisi de suivre le jeûne du Ramadan « par respect pour les croyances du peuple musulman que je visite », a le coeur brisé en sachant que tant de Palestiniens à Gaza ne pourront pas avoir d’iftar approprié, là où la famine monte en flèche semant davantage de vies aux côtés des 32 000 Palestiniens tués par Israël au cours de la guerre qui dure depuis 6 mois. « Il semble que presque les quatre cavaliers de la guerre, de la famine, de la conquête et de la mort galopent à travers Gaza », a-t-il déclaré du côté égyptien de la frontière, non loin de la ville de Rafah, au sud de Gaza, où plus de la moitié de la population totale de Gaza, soit environ 2,1 millions de personnes, se sont réfugiées et où Israël a promis de lancer une attaque terrestre.
« Plus que jamais, il est temps d’un cessez-le-feu humanitaire immédiat », a-t-il déclaré dans un communiqué après sa visite au poste-frontière. « Il est temps de faire taire les armes. Les Palestiniens de Gaza, les enfants, les femmes, les hommes restent plongés dans un cauchemar sans fin », a encore dit Guterres, qui venait de visiter les blessés palestiniens, victimes de l’attaque israélienne, à l’hôpital d’Al-Arich.
Mais ces déclarations lui ont valu une nouvelle colère acharnée d’Israël. Le ministre israélien des Affaires étrangères a ainsi déclaré que les Nations-Unies étaient devenues un « organisme anti-israélien » sous la direction d’Antonio Guterres, dont l’organisation qu’il dirige peine à arracher de veto américain.
Répondant à une question de l’Hebdo lors d’une conférence de presse avec le ministre égyptien des Affaires étrangères, Guterres a affirmé que l’ONU « n’est contre personne. Nous sommes en faveur de principes et de valeurs, ceux de la Charte des Nations-Unies (…), ceux liés au droit à l’autodétermination ».
L’UNRWA en ligne de mire
Ce n’est pas le premier accrochage depuis la guerre en cours, Israël a visé directement Guterres, réclamant sa démission après qu’il avait déclaré que les opérations du Hamas contre Israël le 7 octobre « ne se sont pas produites dans le vide ». Les relations entre Israël et l’ONU, en particulier avec des agences telles que l’UNRWA, ont toujours été tendues, mais certains observateurs estiment qu’elles ont atteint un niveau historiquement bas. Pour certains politiciens israéliens, les Nations-Unies ont une fixation préoccupante sur leur pays, mais ils omettent que c’est l’ONU, en 1947, qui ait adopté la résolution visant à partager ce qui était alors la Palestine en deux Etats. Cette résolution a été la base sur laquelle Israël a été créé l’année suivante.
L’acharnement d’Israël contre l’Agence des Nations-Unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient (UNRWA) n’est pas nouveau. L’agence, créée en 1949 pour soutenir ces réfugiés, ne plaît pas à Israël qui refuse de mettre en oeuvre la résolution 194 de l’ONU réclamant le retour des réfugiés palestiniens. Aujourd’hui, l’UNRWA est l’objet d’une attaque féroce de la part du gouvernement israélien qui l’accuse d’être un bras du Hamas, mais sur le fond, l’agence pour les réfugiés est un rappel que les réfugiés palestiniens existent et ont des droits politiques inaliénables, une vérité que le gouvernement israélien trouve profondément gênante.
Tel-Aviv « veut éradiquer l’UNRWA », des mots de son chef, Philippe Lazzarini, parce qu’elle soutient des millions de réfugiés qui vivent aux portes d’Israël et demandent le droit de retourner, ou, selon les mots du ministre israélien des Affaires étrangères à l’ONU, parce que l’UNRWA « perpétue le problème des réfugiés ».
Le retour des réfugiés palestiniens « n’arrivera jamais de quelque manière que ce soit », a déclaré le premier ministre Yitzhak Shamir en 1992, répétant plusieurs déclarations similaires faites avant et depuis par les dirigeants du pays.
Plusieurs pays, dont les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, ont suspendu leur financement à l’UNRWA après des allégations israéliennes. D’autres pays comme le Canada, la Suède ou encore l’UE ont décidé de révoquer leurs décisions de couper les fonds et renouer leur financement, faute de preuve israélienne substantielle. « C’est un arrêt pour une période limitée. L’année prochaine, nous avons à nouveau la possibilité d’exercer une pression pour une nouvelle décision », a dit Guterres, en reconnaissant que même si des lacunes existent, « comme dans toute organisation », rien ne justifie la fin de l’agence pilier de l’aide humanitaire aux Palestiniens.
« Parti pris » versus impunité
Au début de la guerre déjà, l’ambassadeur d’Israël auprès de l’ONU, Gilad Erdan, a accusé l’ONU d’être un lieu de « parti pris et d’hypocrisie » sans « morale » pour avoir appelé à un cessez-le-feu à Gaza. Israël se plaint qu’il fasse l’objet du plus grand nombre de résolutions à son encontre. 15 par exemple en 2023. Ces résolutions vont de la condamnation des destructions causées par l’armée israélienne au Liban à la critique des activités d’Israël dans les territoires occupés et de son traitement des réfugiés palestiniens. L’Assemblée générale a adopté, à elle seule, 140 résolutions critiquant Israël entre 2015 et 2022, condamnant la construction de colonies et l’annexion du Golan. En plus, Israël est accusé de « se livrer à des actes génocidaires contre le peuple palestinien à Gaza » devant la Cour internationale de justice de l’ONU. La cour a aussi ouvert une autre série d’audiences historiques sur la légalité de l’occupation israélienne depuis 57 ans des territoires palestiniens, y compris la Cisjordanie et Jérusalem-Est.
Les accusations de partialité semblent d’ailleurs exagérées, d’autant qu’à l’ONU, « Israël bénéficie d’un régime d’impunité malgré ses violations bien documentées du droit international et des droits de l’homme », explique un haut diplomate à l’ONU. Il a déclaré qu’Israël évite toute sanction contraignante du Conseil de sécurité de l’ONU parce qu’il est protégé par les Etats-Unis, membre permanent du conseil et allié indéfectible d’Israël, contrairement à d’autres pays qui font face à des sanctions. Israël ignore systématiquement toutes les résolutions, explique-t-il. « Ce qui est unique, aucun autre pays n’a bénéficié du veto américain ».
Washington, à ce jour, a bloqué tout texte demandant un cessez-le-feu immédiat dans la guerre à Gaza et la politique d’Israël consistait à « déshumaniser les Palestiniens et délégitimer l’ONU et ses institutions ».
Et ce n’est pas qu’à Gaza. Un récent rapport interne, filtré à la presse, révèle que les employés de l’ONU font l’objet d’obstruction et de harcèlement systématique de la part des autorités israéliennes en Cisjordanie. La directrice de la communication de l’UNRWA, Juliette Touma, a déclaré que l’agence prévoyait de remettre les informations contenues dans un rapport de 11 pages, non publié, à des agences à l’intérieur et à l’extérieur de l’ONU spécialisées dans la documentation des violations potentielles des droits de l’homme. Le document indique que plusieurs employés palestiniens de l’UNRWA avaient été détenus par l’armée israélienne et ajoute que les mauvais traitements et les abus qu’ils auraient subis comprenaient des passages à tabac sévères, de la simulation de noyade et des menaces à l’encontre de membres de leur famille.
Les choses ont été pires. En 1948, le médiateur spécial de l’ONU, Folke Bernadotte, a été assassiné par le groupe juif Stern après avoir proposé de réduire la taille d’Israël.
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