L’esprit humain est un muscle. Comme tout muscle, il a besoin d’être exercé pour se renforcer. La pensée critique est l’un des exercices les plus puissants que nous puissions faire pour développer notre esprit. Et dans un monde saturé d’informations et de titres accrocheurs, la pensée critique est un outil des plus forts. Elle permet de distinguer le vrai du faux, l’important de l’insignifiant, le fait de la fantaisie, non pas en consommant passivement, mais en analysant et en évaluant activement les informations que nous rencontrons.
Ce n’est pas une invention récente, c’est une compétence aiguisée au fil des siècles. Dans l’ancienne agora d’Athènes, Socrate, le taon de la philosophie, questionnait sans relâche ses concitoyens, les obligeant à examiner leurs croyances profondément ancrées. Sa poursuite acharnée de la vérité a jeté les bases de la pensée critique, un héritage perpétué par des penseurs comme René Descartes, qui a plaidé pour le doute systématique.
La bonne nouvelle est que la pensée critique n’est pas un don réservé à quelques privilégiés. C’est une compétence que tout le monde peut développer. Le but n’est pas d’être un nouveau Socrate, la vie nous lance sans cesse des défis, et la pensée critique équipe l’individu pour prendre des décisions éclairées, qu’elles soient grandes ou petites. Du choix d’une carrière à la navigation dans un dilemme personnel, aux idées qu’on adopte et même aux achats qu’on fait, la pensée critique nous permet de peser le pour et le contre, d’analyser les risques et les avantages potentiels, et de considérer de différents points de vue avant d’agir.
La première étape commence par démasquer les préjugés, parce que nous avons tous des préjugés, façonnés par notre éducation, nos expériences et nos cercles sociaux. Imaginez que vous regardez à travers une paire de lunettes de soleil, vous ne vous rendrez peut-être pas compte que le monde est légèrement teinté tant que vous ne les aurez pas enlevées. La pensée critique nous aide à enlever ces lunettes et à voir le monde avec plus de clarté, soit reconnaître ces préjugés et s’efforcer de minimiser leur influence.
Halte aux raccourcis !
L’esprit a parfois une manière étrange de fonctionner, il prend des raccourcis. Généralisation, suppression et distorsion, ce sont ses raccourcis préférés.
Si vous avez eu une mauvaise expérience avec un chien agressif, vous pourriez généraliser en pensant que tous les chiens sont dangereux, c’est la généralisation qui consiste à tirer des conclusions générales à partir d’un nombre limité d’expériences ou d’observations. C’est en effet une manière pour notre cerveau de simplifier et de catégoriser le monde qui nous entoure.
La suppression se produit lorsque notre cerveau filtre ou ignore certaines informations pour se concentrer sur ce qui est considéré comme important ou pertinent. C’est un mécanisme de défense qui nous aide à gérer la quantité écrasante d’informations que nous recevons constamment. C’est automatique, en lisant un article long et détaillé, par exemple, vous pourriez supprimer les détails moins pertinents pour vous concentrer sur les points principaux.
Mais lorsque vous êtes amoureux, que vous interprétez les actions de votre partenaire de manière positive, même si elles sont ambiguës ou contradictoires, c’est la distorsion. Elle implique une interprétation déformée ou exagérée de l’information, sous l’influence de nos croyances, de nos expériences passées ou de nos émotions. Identifiez alors trois raccourcis.
Une autre étape, aussi importante dans la pensée critique et autant simple, est d’évaluer les preuves. La pensée critique se nourrit de preuves, soit évaluer la crédibilité des sources, la force des preuves présentées et le fil logique du raisonnement utilisé pour relier les affirmations aux preuves. C’est un peu à l’image d’un détective qui examine les indices et reconstitue une image. Ceci va de pair avec la connaissance du contexte, car l’information n’existe pas dans le vide.
Une pensée critique tient compte du contexte dans lequel l’information est présentée. Qui est la source ? Quel est son agenda ? Quels facteurs historiques, culturels ou autres peuvent influencer le message ? La compréhension du contexte permet d’interpréter l’information avec plus de nuance. Il s’agit ensuite de formuler des contre-arguments, c’est-à-dire d’anticiper les points de vue opposés et développer des réponses. Et enfin si possible, envisager des solutions alternatives et explorer de différentes approches au-delà des idées ou des arguments initiaux présentés.
Mais l’un des meilleurs outils dans la pensée critique est de comprendre et de combattre « les fallaces logiques » ou les sophismes. Un sophisme est un argument fallacieux qui semble logique en surface, mais qui renferme une erreur de raisonnement. Ces arguments trompeurs sont souvent utilisés pour manipuler l’opinion d’autrui. Il est important de les reconnaître afin d’évaluer l’information de manière critique et de former son propre jugement. L’argument d’autorité ou appel à l’autorité est l’exemple le plus connu. « Cette nouvelle crème antirides doit être efficace, car la célèbre actrice X la recommande à la télévision ». Alors qu’en effet, la célébrité ne garantit pas l’efficacité du médicament. Mais ce fallace consiste à invoquer une source d’autorité pour soutenir son argument, sans pour autant analyser la validité ou la pertinence de cette source.
Le langage peut être une arme et les fallaces logiques sont les arguments chargés attendant d’être utilisés. En reconnaissant ces tactiques, nous pouvons les désarmer et nous engager dans un duel intellectuel.
L’art de l’interrogation n’est pas une simple technique, c’est une manière de vivre, une philosophie qui nous incite à remettre en question le monde.
Les fallaces : Attentionà la manipulation !
1. Appel au peuple (argument ad populum)
Repose sur l’idée que si une chose est populaire ou partagée par la majorité, alors cela doit être vrai ou bon.
« Tout le monde achète ce téléphone portable, donc il doit être le meilleur ». (La popularité d’un produit ne garantit pas sa qualité).
2. Fausse dichotomie (faux dilemme)
Présente deux options extrêmes et prétend qu’il n’y a pas d’autre possibilité. Cela force l’interlocuteur à choisir l’une des deux options, alors qu’il existe probablement des nuances et des solutions intermédiaires.
« Soit vous êtes avec nous, soit vous êtes contre nous ». (Il existe souvent des positions plus nuancées qu’un simple « pour » ou « contre »).
3. Pente glissante (effet domino)
Suggère qu’un petit changement ou une action anodine conduira inévitablement à une série de conséquences négatives catastrophiques.
« Si on autorise l’adoption, la prochaine étape sera la fin des mariages et la destruction de la famille traditionnelle ». (Ce raisonnement exagère les conséquences potentielles d’un changement).
4. Attaque personnelle (ad hominem)
Consiste à discréditer la personne qui avance un argument en l’attaquant personnellement, plutôt que de s’attaquer à la validité de l’argument lui-même.
« Vous ne pouvez pas critiquer la situation économique, vous n’avez même pas fait des études en économie ! ». (La qualification de la personne n’a pas d’importance si son argument est solide).
5. L’homme de paille (straw man)
Consiste à déformer l’argument de l’adversaire pour le rendre plus facile à attaquer. On crée ensuite une caricature de l’argument et on la combat à la place de l’argument réel.
« Vous dites que les animaux ont des droits ? Vous voulez donc que les chats aient le droit de vote ? ». (L’adversaire n’a jamais dit que les animaux devaient avoir le droit de vote).
6. L’appel à l’ignorance (argumentum ad ignorantiam)
Consiste à affirmer qu’une proposition est vraie car elle n’a pas été prouvée fausse, ou vice-versa.
« Il n’y a aucune preuve que les extraterrestres n’existent pas, donc ils doivent exister ». (L’absence de preuve n’est pas une preuve en soi).
Exercices constants
La pensée critique n’est pas une destination finale, c’est un voyage permanent d’apprentissage et de croissance intellectuelle.
Lecture active : Ne vous contentez pas de survoler l’information. Engagez-vous activement avec le texte en remettant en question les hypothèses, en identifiant les préjugés et en évaluant les preuves présentées.
Débat structuré : Participer à des débats structurés vous expose à de différents points de vue et perfectionne vos compétences en matière de pensée critique. Vous apprenez à construire des arguments solides et à identifier les faiblesses des arguments opposés.
Casse-têtes logiques : S’engager dans des casse-têtes logiques et des jeux d’esprit peut renforcer votre capacité à analyser l’information, à identifier des modèles et à tirer des conclusions raisonnables.
Scepticisme sain : Aborder l’information avec un scepticisme sain. Ne prenez pas les choses pour argent comptant ; posez des questions, recherchez des preuves et formez vos propres conclusions.
Apprenez une nouvelle compétence : Le fait de sortir de votre zone de confort et d’apprendre quelque chose de nouveau vous oblige à adopter une approche critique et à examiner des concepts d’un point de vue différent.
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