Dans un hôtel 4 étoiles à Guiza, une pancarte accrochée à l’entrée d’une des salles indique que le Conseil national des personnes souffrant d’un handicap organise des séances de formation en langue des signes pour le corps médical de l’Organisme général de la protection sanitaire. Une vingtaine de personnes sont présentes. Elles sont venues d’Ismaïliya pour suivre un stage de 5 jours d’initiation à la langue des signes. En général, le nombre des participants ne doit pas dépasser les 25 pour que l’interprète enseignant puisse observer leurs gestes en apprenant avec les doigts les formes des lettres de l’alphabet. « Je dois souvent corriger les gestes de la main et des doigts pour quelques lettres de l’alphabet arabe. N’étant pas habitués à utiliser la langue des signes, les apprenants font des erreurs car chaque lettre de l’alphabet est représentée par un geste spécifique des mains et des doigts », explique Faïrouz Al-Gohari, formatrice et interprète en langue des signes auprès du Conseil national des personnes souffrant d’un handicap. Le cours d’apprentissage, qui dure entre 4 et 5 heures, est chargé d’éléments de terminologie relatifs à l’initiation de la langue des signes, rendant service non seulement aux personnes atteintes de surdité, mais aussi aux gens normaux. Le Conseil national des personnes souffrant d’un handicap essaye de former un certain nombre d’employés travaillant dans les différents ministères pour être en mesure d’aider les malentendants.
« Il est important d’apprendre les bases de la langue des signes et les gestes adéquats pour arriver à comprendre ce dont le patient souffre et pouvoir lui prescrire le traitement qui lui convient », explique Samia, médecin urgentiste dans un hôpital public, prête à assimiler encore plus de phrases en langue des signes. « Nous avons appris les signes essentiels qui nous permettent de communiquer avec les patients malentendants qui se présentent sans accompagnateur, ce qui nous permet de mieux les comprendre », dit-elle.
Plus d’autonomie
C’est depuis 2012 que la langue des signes est utilisée dans les instances gouvernementales. « J’ai intenté un procès contre le ministère de la Justice pour demander que les malentendants soient plus autonomes et plus responsables de leur choix pour éviter d’être manipulés par d’autres personnes. Nous avons fini par ne plus dépendre de l’aide de l’assistant juridique qui, en fait, ne connaît rien en langue des signes et se considère parfois comme le tuteur de la personne atteinte de surdité, ce qui entraîne des erreurs dans les procédures entamées ou à suivre pour régler son problème auprès des institutions et organismes concernés », explique Nadia Al-Cherbini, avocate et présidente de l’Association égyptienne des droits des sourds et des interprètes. Cette loi a mis fin à la mission de l’assistant juridique qui a été orienté pour devenir interprète en langue des signes en suivant une formation dans l’une des associations de la société civile. Et c’est à la personne sourde de choisir l’interprète qui lui convient pour mieux communiquer avec les autres ou se faire comprendre.
D’ailleurs, le Conseil national des personnes souffrant d’un handicap a déjà formé des fonctionnaires dépendant des ministères de la Santé, de la Justice, ainsi que les employés des bureaux d’enregistrement des biens, les procureurs et d’autres personnes travaillant au sein du ministère de la Culture. L’objectif est que les malentendants soient plus autonomes en se rendant dans les institutions gouvernementales, comme être capables de faire des procédures adéquates liées par exemple aux opérations bancaires, et ce, pour garantir la confidentialité.
« De cette manière, les malentendants commencent petit à petit à sortir de leur ghetto. Ils ont la possibilité aujourd’hui de communiquer avec des autres, ce qui leur facilite la vie. La langue des signes doit être généralisée et enseignée dans les écoles comme matière obligatoire pour obtenir son certificat de fin d’études », propose Mohamad Rachad, 38 ans, interprète en langue des signes arabe et international. Son père et sa mère sont sourds et le seul moyen de communiquer avec eux c’est la langue des signes. « J’ai commencé mon apprentissage à l’âge de 10 ans dans une association caritative. Je recevais des appels téléphoniques que j’interprétais en langue des signes aux responsables. Me rendant compte de l’importance du rôle joué avec mes parents, j’ai même appris la langue des signes anglais. Ce qui m’a permis plus tard de travailler comme guide touristique en accompagnant des touristes atteints de surdité en visite en Egypte », s’exprime Rachad. Le cas de Rachad n’est pas unique. La plupart des professionnels en langue des signes sont issus d’une famille constituée d’un ou de deux parents sourds, ou d’un frère ou d’une soeur ayant un handicap auditif.
Des difficultés à surmonter
D’après les spécialistes en langue des signes, l’apprentissage dure trois mois et peut atteindre six mois à condition que l’interprète arrive à s’intégrer dans le monde des sourds pour pouvoir comprendre la manière avec laquelle ils communiquent. Car s’exprimer en langue des signes ne signifie pas commencer une phrase avec un sujet, un verbe et un complément ; il faut d’abord apprendre les signes en manipulant les mains et les doigts, et c’est le point central de la conversation. Prenons, par exemple, la phrase : « Nader n’aime pas les bananes ». Sa traduction en langue des signes est : « Nader banane aime non ». « Comme n’importe quelle langue, la langue des signes a besoin de pratique, car il faut mettre en avant des mimiques faciales expressives ou des gestes symboliques qui permettent de comprendre différentes situations ou diverses émotions. L’interprète en langue des signes doit avoir une attitude appropriée à tout cela », précise Faïrouz Al-Gohari.
Pour la personne atteinte de surdité, la langue des signes est son trait d’union avec la vie. Mais les interprètes professionnels ne sont pas nombreux et il n’y a pas d’organisations pouvant leur délivrer des certificats d’accréditation. Les ONG concernées par les affaires des sourds recrutent des interprètes. Les organisations gouvernementales peuvent aussi se faire aider par des enseignants venant des écoles Al-Amal pour les sourds. « La personne atteinte de surdité risque d’être exploitée financièrement par certains professeurs interprètes, car la langue des signes n’est pas encore utilisée dans plusieurs administrations », explique Moustapha Taha, étudiant malentendant qui porte 2 appareils auditifs. En tant que bénévole, il organise des conférences de sensibilisation aux personnes souffrant de handicap auditif.
Et ce qui aggrave la situation, d’après Sami Saïd, fondateur et président de l’association Asdaa pour la promotion des sourds et malentendants à Alexandrie, 90 % des sourds sont analphabètes. « Les sourds sont numériquement moins nombreux. Et s’ils avaient appris à lire et à écrire correctement, ils n’auraient pas besoin de recourir à un interprète. Malheureusement, même certains de ceux qui sont scolarisés sont incapables d’écrire leurs noms », explique Sami.
Nadia Al-Cherbini partage son avis. Elle ajoute que les écoles qui leur sont consacrées ont une mauvaise réputation car l’enseignant incompétent est envoyé dans ces écoles en guise de punition. Résultat : une éducation médiocre qui fait que les malentendants utilisent la communication gestuelle comme moyen de s’exprimer avec ceux qui ont un handicap auditif comme eux.
Abdel-Hamid a 33 ans. Il est sourd et au chômage. Il garde de mauvais souvenirs de l’école. Les enseignants chargés de son éducation n’étaient pas suffisamment compétents. Il n’a donc pas réussi à associer le langage gestuel avec les particularités du système phonétique de la langue arabe. L’association Asdaa propose donc une autre stratégie d’éducation tirée d’un livre en langue arabe pour les sourds, L’Apprentissage visuel par langage visuel. L’ouvrage explique que pour l’arabe, il faut dépendre de la phonétique, et savoir donner le sens à chaque mot. D’ailleurs, les dictionnaires de la langue des signes en arabe ne sont pas identiques. Le dictionnaire égyptien renferme 1 098 signes, le jordanien 450 signes, le libyen 465, le tunisien 216 et celui des Emirats 126. Tandis que les signes qui se trouvent dans le dictionnaire unifié ne dépassent pas les 3 000. « La langue des signes n’est pas suffisante pour que les malentendants puissent avoir une communication fructueuse et efficace avec les autres dans les différents domaines de la vie, alors qu’un enfant normal de six ans connaît entre 1 400 et 8 000 mots de vocabulaire », explique Saïd. Il n’empêche que pour les malentendants comme pour les autres, une bonne éducation est la base de toute promotion sociale.
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