La guerre en Ukraine est entrée ce 24 février dans sa 3e année. Sans répit. Les soldats des deux côtés sont à bout de souffle. Le conflit le plus sanglant en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale présente un bilan de pertes humaines très lourd pour les deux belligérants, qui refusent, en dépit de cela, de se mettre à la table des négociations et de trouver un chemin pour la paix. En attendant, les campagnes de mobilisation se poursuivent des deux côtés, alors que se durcissent les mesures contre ceux qui refusent d’aller au front.
Sur le terrain, la situation se complique de plus en plus pour le régime ukrainien, notamment après le retrait d’Avdiivka. Un redéploiement « pour occuper des positions plus avantageuses », comme l’explique Kiev. Un euphémisme. La ville d’Avdiivka a longtemps représenté la capacité ukrainienne à arrêter la progression de l’offensive russe. Mais comme l’explique le chef d’état-major ukrainien, les soldats ukrainiens étaient en position très difficile.
Ce retrait symbole arrive quelques semaines après que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a donné l’ordre à ses troupes d’avancer 500 mètres par jour. Certains analystes font le parallèle avec les dernières heures de la Deuxième Guerre mondiale, quand on donnait des ordres d’offensive, alors qu’on savait qu’on n’avait ni les capacités ni les moyens de les exécuter sur le terrain.
Aujourd’hui, après deux ans de guerre en Ukraine, les pertes humaines restent un secret militaire bien gardé des deux côtés. Et ce, dans un contexte où un retour à la guerre conventionnelle classique de forte densité avec des tranchées et de recours intensifié à l’artillerie a surpris beaucoup d’experts militaires. En effet, ce conflit, le plus sanglant en Europe depuis la Deuxième Guerre mondiale, est resté une guerre classique.
De la guerre éclair à la guerre d’usure
En deux ans de conflit, « l’opération spéciale » russe s’est transformée de guerre éclair en une guerre d’usure. Le ministère français des Armées, selon les rapports et les études de ses experts, a résumé l’évolution du conflit selon les sept principaux champs d’affrontements militaires. Ce travail a constaté les évolutions et a évalué les détails sur les sept champs et milieux classiques : les milieux terrestre, aérien, maritime, informationnel, le cyber, l’espace et le milieu des champs électromagnétiques, et chaque domaine a vu une évolution considérable selon le contexte de cette guerre. En général, ce qu’on peut noter de nouveau dans cette guerre est le recours massif aux drones, soit d’observation civile ou militaire, ou aux drones kamikazes, capables de porter des charges explosives, rapides et aptes à voler assez bas, ce qui rend difficile le fait de les intercepter ou de les détruire. Et cela est une arme employée par les deux belligérants, avec une maîtrise en évolution du côté ukrainien.
Si le bricolage ukrainien des drones et des nouvelles technologies a permis de frapper le centre du commandement maritime russe à la mer Noire et a obligé la flotte russe de se replier plus à l’est, cette guerre n’a pas été loin de l’usage des technologies de pointe et des moyens assez spéciaux et sophistiqués pour réaliser quelques opérations. On découvre aussi, au cours de ce conflit, la guerre au fond des mers, notamment avec le sabotage du gazoduc Nord Stream en septembre 2022, et également, en octobre 2023, les attaques contre un gazoduc et contre un câble sous-marin entre la Finlande et l’Estonie.
Malheureusement, l’essentiel de cette guerre est resté terrestre, terre-à-terre et sur le front. Avec un retour à la guerre des tranchées, aux terrains minés, aux embuscades et à l’artillerie massive à forte intensité, puisqu’aucun des belligérants ne possède la supériorité aérienne qui puisse lui donner la liberté de manoeuvre sur la ligne de front, expliquent les experts. Ce qui, malheureusement, alourdit le bilan des pertes humaines. La guerre éclair s’est transformée en guerre d’usure, avec des soldats fatigués.
La Russie, comme l’Ukraine, n’a pas hésité à utiliser ou réutiliser des matériels datant de l’Union soviétique. L’est de l’Ukraine est miné par exemple par des mines datant même de la Deuxième Guerre mondiale, selon des experts. Le recours du président russe, Vladimir Poutine, à se ravitailler par son allié nord-coréen à la hauteur d’un million d’obus donne une indication sur l’intensité des frappes et la consommation des obus dans cette guerre, de même, l’effort médiatique et informationnel ukrainien va dans ce sens de motivation des alliés à s’occuper du ravitaillement de son armée avec plus ou moins de succès, avec les pays nordiques, l’Allemagne, l’Europe, le Japon, les Etats-Unis et le reste des alliés.
Kiev tributaire de l’aide occidentale
Ainsi, cette guerre impose son rythme, ce qui rend compréhensible l’insistance du président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à solliciter ses alliés à sortir leurs portefeuilles. Le coût de la guerre devient trop lourd. Pour autant, Washington tergiverse sur l’octroi de davantage d’aides, alors que les Européens mettent le paquet. Cette semaine encore, le jour du deuxième anniversaire de la guerre, Zelensky a exhorté ses alliés occidentaux à livrer l’aide militaire « à temps » lors d’une réunion virtuelle du G7. « Vous savez très bien ce dont nous avons besoin pour protéger notre ciel, pour renforcer notre armée terrestre, ce dont nous avons besoin pour soutenir et continuer nos réussites en mer, et vous savez parfaitement bien que nous avons besoin de cela à temps, et nous comptons sur vous », a déclaré le dirigeant ukrainien, qui réclame notamment des munitions dont ses soldats manquent, et davantage de système de défense aérienne face à une armée russe à l’offensive.
En effet, la semaine dernière, le président russe, Vladimir Poutine, a revendiqué un nouveau succès militaire avec la prise d’une tête de pont bâtie à grand-peine par l’Ukraine dans le sud, quelques jours après la fuite chaotique des forces ukrainiennes d’Avdiivka. La Russie arrive ainsi à pousser son adversaire à la défensive. « Nous vaincrons », a pourtant proclamé Zelensky le jour du 2e anniversaire du déclenchement de la guerre. Quant à la Russie, elle se voit déjà victorieuse. Dans une longue vidéo, largement relayée par les médias officiels, le ministre russe de la Défense, Sergueï Choïgou, et Vladimir Poutine se sont félicités de la chute non seulement d’Avdiivka, près de Donetsk, mais aussi de la reconquête de la tête de pont ukrainienne sur la rive gauche du Dniepr.
Chamboulement mondial
Pour autant, l’historien Emmanuel Todd, qui prédit dans son dernier livre la défaite de l’Occident, comme il a déjà prédit la fin de l’URSS en 1976, ne pense pas que les Russes veuillent s’aventurer au-delà de leur zone d’influence linguistique et culturelle en Ukraine. Et le monde s’inquiète de plus en plus, avec notamment le déclenchement, entretemps, de la guerre à Gaza. Cette dernière guerre sanglante, également déclenchée depuis quelques mois, alerte le monde sur la capacité des instances internationales à gérer et régler les conflits. Le sentiment d’inégalité frappe le Sud global, si on peut se permettre l’appellation. Précisément en ce qui concerne les sanctions économiques et politiques contre la Russie et le président Vladimir Poutine et l’impunité face à Israël.
Deux ans durant, la guerre en Ukraine n’a pas manqué de laisser ses traces sur la géopolitique mondiale. D’abord, avec un impact économique sur le reste du monde, notamment en ce qui concerne les pays importateurs des céréales et produits agricoles russes et ukrainiens, mais aussi sur le marché de l’énergie. Ensuite, en creusant davantage le fossé entre les puissances de ce monde.
Or, même si la Russie se tient debout économiquement, et cela rend les russes fiers, la Suède et la Finlande ont rejoint l’OTAN. Même si Kiev résiste et est fière de le faire, 15 millions de matières grises ukrainiennes ont quitté le pays depuis le début du conflit, presqu’un quart de la population. Aujourd’hui, cette guerre a montré ses limites et impose un retour aux négociations de paix si les dirigeants des deux belligérants souhaitent le bien pour leurs citoyens. Et pourtant, en dépit de toutes les évidences qui rendent la poursuite de la guerre inutile, aucun des belligérants ne manifeste une volonté réelle de se mettre sur la table des négociations.
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