Il est présent à la 55e édition de la Foire internationale du livre, en cours jusqu’au 6 février, avec deux nouvelles oeuvres : le roman Al-Machaa Al-Azim (le grand marcheur, aux éditions Al-Shorouk) et le conte pour enfants Endama Ekhtafa Al-Dehk Men Al-Alam (quand le rire disparaît du monde, aux éditions Marah). Bien qu’appartenant à deux genres différents, ils ont en commun une imagination de feu qui déborde de questionnements ; c’est ce qui caractérise de coutume les écrits d’Ahmad El-Fakharany qui a brillé au cours des dix dernières années.
L’auteur alexandrin de 43 ans a été nominé pour le prestigieux prix littéraire du roman arabe, le Booker 2023. Il a été également lauréat du prix culturel Sawiris, catégorie Jeunes écrivains, en 2020. Et il est suivi par plus de 17 000 personnes sur sa page Facebook et le site X.
Pharmacien de formation, il a travaillé en tant que journaliste culturel, a tenu un blog durant la première moitié des années 2000, tout en gardant un oeil sur la littérature, sa véritable vocation. Dans ses paroles, il faut toujours savoir distinguer le vrai du faux, vu son esprit blagueur et sa finesse d’esprit. D’ailleurs, ses billets sur les réseaux sociaux en témoignent. Ils font autant rire que pleurer, tellement cyniques et allant droit au but, et le côté « réalisme magique » qui marque ses oeuvres nous laisse souvent très perplexes.
« Je ne m’acharne pas afin d’accuser le milieu culturel de piratage, fausseté ou autres ; de toute façon, j’en fais partie. Ce qui me préoccupe, c’est de tomber sur des histoires vraies qui me servent d’intrigues. Je laisse à mes personnages de l’espace pour se lancer dans l’aventure, défier les obstacles à leur façon et éveiller les consciences avec leurs multiples interrogations », souligne Ahmad El-Fakharany.
Dans son nouveau roman, Al-Machaa Al-Azim, il s’agit de l’histoire d’un écrivain, Mohamed Al-Aewar, qui aspire à la gloire mais a recours à des manières détournées afin de s’intégrer dans le monde littéraire. La fiction mêle drame humain et suspense, en soulevant des questions sur l’authenticité et la fausseté, le plagiat et l’inspiration créatrice, la pérennité de l’écrit, etc. « La question du vrai et du faux persiste dans mes oeuvres, inspirées pour beaucoup de mon expérience de vie. Le personnage principal de mon dernier roman ressent un vide en lui, ce qui l’incite à emprunter les désirs des autres et à copier leurs idées. Pour réussir tout en restant vrai, il nous faut du courage et de l’honnêteté », insiste-t-il. Et d’ajouter : « Je préfère que mes oeuvres soient publiées en dehors de la Foire du livre, car la cohue me gêne. Je m’y sens perdu et très confus. Je ne suis pas du tout expert en marketing et je préfère plutôt donner au lecteur la chance de prendre son temps pour lire mon oeuvre. Pourtant, je reconnais que la Foire du livre compte parmi les grands événements culturels de l’année et que les oeuvres qui y sont accueillies trouvent de bons échos, de quoi nous motiver à créer davantage. Et ce, malgré la hausse des prix qui menace l’industrie du livre en Egypte. Ce n’est pas juste de dire que les petites gens ne lisent pas, il faut se rendre à la Foire pour comprendre que ce n’est pas du tout vrai ».
El-Fakharany est de nature timide, mais il très communicatif sur les réseaux sociaux. En janvier 2014, il a collaboré à la fondation d’un premier site égyptien réservé aux articles d’opinion, versant dans le culturel et le sociopolitique, Qol (dis), mais cette expérience n’a duré qu’un an, à cause de contraintes liées au financement et au statut des sites indépendants. Il décide alors d’abandonner le journalisme et de se consacrer entièrement à la littérature, après d’autres essais à droite et à gauche. En gros, il a travaillé de manière intensive dans la presse, entre 2007 et 2015, notamment dans des médias indépendants tels Al-Badil, Al-Shorouk, Al-Masry Al-Youm, Al-Manassa, Mada Masr, et ce, sans omettre son expérience dans l’hebdomadaire Akhbar Al-Adab, dirigé par l’écrivain Gamal Al-Ghitani.
Aujourd’hui, pour subvenir aux besoins de sa famille, il a renoué avec la presse, en signant des chroniques régulières dans la presse arabe et particulièrement libanaise : Al-Modon, Al-Safir, Hona Sawtak, Al-Akhbar Al-Libnaniya, Daraj et Rassif 22. Il continue aussi d’écrire sur son blog Théâtro Sahebet Al-Saada. Et a récemment collaboré avec le youtubeur et influenceur Ahmed Ghandour, Al-Daheeh, en préparant plusieurs de ses épisodes à succès. « A mes débuts dans le journalisme, j’étais fasciné par l’expérience de l’organe d’opposition Al-Dostour, ayant à sa tête Ibrahim Eissa. Je rêvais du jour où je ferai partie de ce monde, symbolisant pour moi la presse indépendante et libre, adoptant un langage proche des jeunes, en étant assez critique à l’égard du régime au pouvoir », se rappelle El-Fakharany, avant d’évoquer la période de la Révolution du 25 Janvier 2011. « Après l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir, j’étais très frustré. Je me sentais, avec d’autres confrères, responsable d’un tel échec », dit-il, en s’interrogeant sur le rôle des intellectuels et leur place au sein de la société. « Remplissent-ils leur fonction ou tiennent-ils simplement à leur prestige, vivant dans une bulle, séparés des gens ? ». Ce questionnement fait naître le roman Bar Layalina (bar de nos nuits, 2022, éditions Al-Shorouk). Celui-ci lui a valu de figurer sur la liste du Booker arabe 2023. Les événements de ce roman se déroulent entre les années 2000 et 2020. « J’ai donné corps à des personnages bien réels, en chair et en os, que l’on côtoie en société. Et ce, pour aborder le thème du mensonge et des apparences trompeuses qui nous entourent de partout ».
Sa timidité prend du recul lorsqu’il s’agit de dépeindre les tares de la société. « En écrivant, l’auteur se connaît davantage, puis en publiant, il apprend aux autres à mieux se connaître ».
Toujours à la recherche d’alternatives, celui qui est né dans le quartier d’Al-Attarine à Alexandrie a décidé, en 2019, de se diriger encore vers la mer, en s’installant à Dahab, dans le sud du Sinaï. Une station balnéaire réputée pour son style de vie plutôt zen. « Vivre à Dahab était pour moi une période de convalescence. Cela m’a offert l’opportunité de prendre du recul, de repenser ma vie et le bien de ma petite famille, et surtout de concevoir de nouvelles créations littéraires. Proche de l’Alexandrie cosmopolite des années 1960 que je n’ai malheureusement pas connue, la ville de Dahab était un milieu sain pour élever mes deux enfants. Ils ont appris à vivre dans la diversité culturelle, sans jugements préalables. Des bédouins vivant côte à côte avec des Siwis, des Russes, des Anglais … des femmes portant le voile intégral avec d’autres en bikinis … C’était idéal ». Son épouse, la journaliste Sally Ossama, a également changé d’activité et a monté son projet, en créant une maternelle. Il avait déjà publié Biasset Al-Shawam (le nom d’un souk alexandrin, celui des Levantins, aux éditions Al-Eïn, 2019) lequel a remporté le prix Sawiris pour les jeunes écrivains en 2021, ce qui lui a offert une plus grande liberté financière. Ce bonheur a duré 5 ans, avant de devoir se déplacer de nouveau vers Hurghada, où la vie coûte relativement moins cher.
« Enfant, je rêvassais pour transgresser les règles et échapper à la logique, sans tourner le dos au réel. Les contes m’ouvraient les portes de l’initiation. Dans ma chambre, il y avait des jouets, des livres de réflexion assez amusants, voilà tout ce dont j’avais besoin. J’étais de tout temps à la recherche de mondes alternatifs que je créais moi-même », raconte-t-il.
Son idole est sans doute l’écrivain colombien Gabriel García Marquez, mais il y a aussi Naguib Mahfouz. Ce dernier figure d’ailleurs avec trois autres écrivains dans l’un de ses livres, paru en 2021, à savoir Youssef Idriss, Ibrahim Aslan et Mohamad Al-Makhzangui. Le livre est une compilation d’articles, analysant sur un ton personnel les textes de ces grands noms de la littérature égyptienne. « Je me suis inspiré de l’ouvrage A Swim in a Pond in the Rain de George Saunders, portant sur 7 nouvelles russes classiques de Gogol, Tourgueniev, Tchekhov, Tolstoï, etc. ».
Si sa ville natale, Alexandrie, demeure pour lui un lieu de fantasme, Le Caire est celle de la réalité. Il est venu s’y installer en 2006, à l’âge de 24 ans, et ce, après avoir obtenu son diplôme en pharmacologie. « La station Raml, à Alexandrie, et le centre-ville du Caire constituent pour moi de vraies zones de confort », lance El-Fakharany qui a voulu se dissocier de son héritage familial et ne pas faire carrière de pharmacien comme les siens, en fuyant vers la capitale. Aujourd’hui, il continue toujours de fuir, d’une ville à l’autre.
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