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Omniya Abdel-Barr : Gardienne du patrimoine

Lamiaa Alsadaty , Mercredi, 24 janvier 2024

Chercheure invitée au musée Victoria and Albert de Londres, Omniya Abdel-Barr travaille aussi pour la Fondation égyptienne de la sauvegarde du patrimoine. Elle y dirige actuellement un projet de documentation et de restauration des minbars mamelouks au Caire.

Omniya Abdel-Barr : Gardienne du patrimoine

Initiée à l’architecture et à l’Histoire dès son plus jeune âge, Omniya Abdel-Barr était inconsciemment projetée dans le questionnement et l’envie de comprendre ce qui l’entoure. « J’ai grandi dans une famille où l’on apprécie beaucoup l’Histoire. Enfant, mes parents m’emmenaient visiter des musées et des sites archéologiques. On se baladait à Ghouriya. Nous allions à Khan Al-Khalili pour m’acheter des boucles d’oreilles. Et à un très jeune âge, mon oncle m’avait offert une collection de livres de Georgie Zidan. Ceux-ci racontaient la vie de plusieurs personnalités historiques telles Ibn Toulone, Chagaret Al-Dorr et d’autres ».

Ces premières visites, ainsi que cette collection d’ouvrages, ont suscité son intérêt pour l’Histoire. Depuis, la petite fille qu’elle était n’a cessé de dévorer tout livre qui porte sur le passé de l’Egypte. « J’ai été impressionnée par la taille des anciens temples de la Haute-Egypte et j’aimais particulièrement le minaret en spirale de la mosquée Ibn Toulone au Caire », souligne-t-elle. Et d’ajouter : « Au début, je voulais devenir archéologue, mais j’aimais aussi dessiner. Alors quand est venu le temps de choisir la spécialité, j’ai choisi d’étudier l’architecture à la faculté des beaux-arts ». Ce choix a été fait consciemment par une jeune fille qui avait toujours rêvé de fréquenter les départements artistiques. Et dès l’année préparatoire, elle a découvert sa vraie passion : la vieille ville. « On devait concevoir un projet de documentation sur la mosquée Fakahani, une mosquée fatimide située à Al-Ghouriya, en face de Bab Zoweila et datant du XIIe siècle ».

Et voilà ! Comme ce fut toujours le cas avec Omniya, une simple visite ou une seule phrase pouvait déchaîner en elle plus de réflexions que l’on ne pourrait imaginer. Sa passion pour l’histoire l’a conduite vers la conservation. Après tout, être architecte, selon elle, ne signifie pas seulement créer quelque chose de nouveau, mais aussi comprendre et protéger le patrimoine architectural. « Mon père m’avait dit qu’il ne m’achèterait pas de voiture, mais qu’il serait prêt à m’envoyer, à ses propres frais, à l’étranger pour poursuivre mes études supérieures », raconte-t-elle, toute fière de lui, ingénieur mécanique, et de sa mère, comptable dans une société d’assurance. Pour ces derniers, les études constituent un véritable investissement dédié au profit des enfants.

Omniya s’est inscrite au Centre Raymond Lemaire à Louvain, en Belgique, pour faire un master en conservation des monuments et des sites. Celui-ci vise à former de jeunes professionnels à la préservation et à la restauration du patrimoine culturel bâti (bâtiments, structures et sites), en les introduisant à la fois à la tradition de la discipline et dans de nouvelles méthodes scientifiques. « C’était un programme multidisciplinaire, où il n’y avait pas que des archéologues, mais aussi des ingénieurs, des anthropologues, etc. Le fait de travailler sur la Belgique m’était assez révélateur, puisque ceci m’a inculqué la notion du patrimoine : ce n’est pas uniquement tout ce qui est ancien, mais il existe également d’autres patrimoines : industriel, moderne, etc. Bref, tout ce qui raconte une partie de l’histoire du pays ».

Ainsi a-t-elle découvert le grand écart entre la notion apprise du patrimoine et sa perception dans le réel égyptien. En effet, elle conçoit le patrimoine comme étant le reflet du passé, mais surtout celui du présent, comme un outil de questionnement sur ce qu’on estime important de transmettre aux générations futures. Or, le patrimoine dans le réel égyptien ne correspond qu’aux constructions anciennes ou exceptionnelles.

D’ailleurs, ce n’est pas le seul écart. « Sauvegarder le patrimoine, pour les responsables, c’est nettoyer, mettre une nouvelle couche de peintures fraîches sur les bâtiments, ainsi que retracer l’asphalte et les pavés sur les routes. Or, la notion est beaucoup plus vaste que cela. Il faut absolument prendre en considération l’environnement, la population, le tissu urbain, l’économie et la circulation », explique-t-elle, avant de poursuivre sur un ton amer : « Le Caire est une ville de grande valeur. Pourtant, on reste toujours incapable de tirer profit de ce qu’on a. Nous avons des chefs-d’oeuvre de l’architecture médiévale et de la culture arabe. Si on évoque seulement la fin du XIXe et le début du XXe siècle avec toutes les histoires autour, on aura mille et une pièces à mettre en avant pour un tourisme culturel de premier rang. Malheureusement, quand on parle de tourisme culturel, on se limite à un seul volet : le bâtiment. Et on oublie qu’un monument ne peut fonctionner tant que l’environnement autour n’est pas adapté pour faciliter l’accès, la qualité de l’air, etc. ».

Omniya Abdel-Barr affirme ne pas être très enthousiaste quant à la construction dans la vieille ville où il s’agit de créer « un faux-vieux » c’est-à-dire dessiner des motifs qui sont anciens aujourd’hui, sans respecter le rythme, la qualité du dessin ou les proportions, au niveau d’un même bâtiment ou de son rapport à l’espace.

Sa présence quasi quotidienne dans la cité médiévale, depuis son master, l’a dotée d’une expérience enrichissante. Omniya a commencé, depuis, à visiter d’autres monuments mamelouks et à voir la ville différemment, à sentir sa force : simple, mais très complexe, forte et équilibrée mais très dynamique et subtile. Aujourd’hui, elle essaie d’agir à n’importe quel titre afin de sauvegarder le patrimoine architectural du Caire.

A la suite de la Révolution du 25 Janvier 2011, le pillage a touché plusieurs sites égyptiens, coptes, islamiques et contemporains. En 2012, Omniya s’est mise à documenter les éléments architecturaux manquants des monuments historiques du Caire, tels que des lustres de mosquées, des fragments de bois des portes et des minbars, des carreaux de céramique ou des plaques de bronze … Elle a parcouru les catalogues et quand elle remarquait quelque chose de suspect, elle menait sa recherche.

« Il est important de fournir des informations et des images précises pour pouvoir arrêter une vente. Par conséquent, documenter notre patrimoine avec des dessins précis et des photographies en haute résolution s’avère nécessaire ». La ville médiévale du Caire avec son tissu urbain multicouche et ses monuments est, selon elle, aussi importante que les pyramides de Guiza. Sa singularité et son identité distinctive découlent des projets de construction ambitieux entrepris par les Mamelouks.

« J’ai remarqué sept fragments d’un minbar mamelouk dans une maison de vente aux enchères à Paris. J’ai écrit à la maison de vente aux enchères et l’ai prévenue que ces fragments provenaient d’un minbar pillé en 2008. La maison m’a répondu qu’ils avaient été acquis en 2011 auprès de Bonhams (l’une des dix principales maisons mondiales de vente aux enchères). J’ai donc contacté le ministère des Antiquités, qui a informé le ministère des Affaires étrangères. L’ambassadeur égyptien à Paris a demandé à la maison de vente de retirer les fragments de la vente », indique-t-elle fièrement.

En outre, Omniya a eu la chance d’être invitée à rejoindre l’équipe de la Fondation égyptienne pour la sauvegarde du patrimoine afin de concevoir un projet visant à restaurer la maison d’Al-Razzaz, l’une des rares maisons à cour qui ont survécu au Caire historique et qui remonte à la fin de la période mamelouke. Elle vient également de rédiger un chapitre dans un ouvrage collectif intitulé Al-Qahera Al-Moarakha (chronique de la ville du Caire) où elle a mis en lumière le développement de la ville du Caire à travers les projets de construction, entrepris par les Mamelouks.

A Londres, elle est chercheure invitée au Victoria and Albert Museum (V&A) où elle élabore plusieurs recherches dont, entre autres, celles sur les collections égyptiennes au département d’architecture, d’art, de photographie et de design. Elle envisage également de créer un catalogage complet permettant à cette importante collection d’être consultable en ligne et référencée avec d’autres collections au V&A.

Un pied au Caire et un autre à Londres, la chercheure dynamique et enthousiaste se montre reconnaissante envers son époux qui est toujours à ses côtés, et qui l’incite davantage à poursuivre sa carrière, qui est aussi sa vraie passion.

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