Avec des larmes de tristesse mêlées d’ululements et de youyous, une mère palestinienne fait ses adieux à son fils martyr, implorant le Bon Dieu de les réunir au paradis. Une autre, accroupie sur le sol de la morgue sanglotant, serre étroitement le corps de son enfant dans un linceul blanc contre sa poitrine. Une troisième pleure son mari mort et serre dans ses bras ses paires de chaussures, comme signe d’amour ...
Les images parlent. L’ampleur et l’horreur de ces scènes, l’étendue de la calamité infligée méthodiquement à toute une population, ciblant notamment les femmes et les enfants, aux yeux du monde entier, ne cessent de circuler sur les écrans et les réseaux sociaux. Marquant au fer chaud les consciences, mais aussi suscitant l’étonnement, voire le respect et l’admiration à l’égard de la femme palestinienne.
Il semble que la femme palestinienne soit un roc sourd face à l’agression, avec sa patience, sa résilience et son courage. Car malgré l’horreur de la guerre, la femme palestinienne continue de résister. « Gaza est devenue un cimetière pour nos enfants. Qu’ont fait ces enfants innocents ? Mais que dire ! C’est le comportement de criminels et de terroristes », lance Aya Al-Attawena surnommée Oum Ammar, une femme gazaouie de 45 ans, dont la vie a été brisée par la mort de ses enfants au cours de cette guerre. Contactée via WhatsApp, elle raconte que l’immeuble où elle habitait, à Khan Younès, a été la cible d’une frappe. Le missile a emporté ses trois enfants et dix autres membres de sa famille. « Mon coeur est mort avec mes enfants ce soir-là. Tous mes enfants ont été tués, Ammar 7ans, Nasser 9 ans et Majid 12 ans. Il ne me reste rien. J’aurais dû mourir avec eux ». Oum Ammar laisse exploser sa rage. « On cherche à faire croire que nous nous réjouissons de la mort de nos enfants. C’est faux ! Mais notre ennemi ne doit pas croire que nous sommes tristes ou que nous perdons le moral ».
(Photo : AP)
De la douleur, mais de la dignité
Entre douleur et fierté, Khadija Ayad, 38 ans, est aux prises à des sentiments complexes : ceux d’une mère qui a perdu ses deux fils dans la guerre en cours et une femme inquiète pour son mari et ses trois frères en prison. Elle voulait donc éviter à ses enfants l’incarcération dans une geôle israélienne. Chaque jour, elle leur disait d’aller en classe et de revenir directement. Khadija pensait ainsi les protéger. Il n’en fut rien. « La mort est inévitable et le prix de la liberté est cher. Le martyre de mes enfants apportera, inchallah, non seulement la victoire, mais aussi une grande récompense dans l’au-delà », lâche-t-elle avec un coeur croyant et une âme satisfaite.
Oum Ammar et Khadija ne sont pas des cas isolés. La terreur, la douleur et la souffrance persistent jour et nuit. Des conditions que beaucoup de femmes dans le monde ne pourraient pas endurer. En effet, les femmes palestiniennes vivent dans une conjoncture extrêmement difficile, angoissante, marquée par les agressions israéliennes sanglantes, en plus du maintien du blocus illégal contre la bande de Gaza depuis 16 longues années.
Mais le courage extrême de ces épouses et mères de martyrs nous pousse à nous poser un tas de questions : Comment font-elles pour avoir autant de force, autant de foi ? Comment supportent-elles la douleur de la séparation avec autant d’abnégation ?
Contactée via WhatsApp, Khawla Al-Khaldy, journaliste à la télévision palestinienne, résume la situation par l’implication, très ancienne, des femmes palestiniennes dans la résistance à l’occupation. Puisqu’elles sont confrontées, dès leur jeune âge, à toutes formes d’oppression de la part du régime sioniste : emprisonnement, destruction des maisons, confiscation des terres. Elles sont même parfois privées du droit d’enterrer leurs morts. « La mère palestinienne porte son fils deux fois, une fois dans son utérus et une autre fois dans le cercueil », dit-elle, en affirmant que les médias tendancieux, au service de la seule propagande sioniste, ne parlent pas de la souffrance des mères palestiniennes sous l’occupation israélienne et les montrent souvent, au contraire, comme des femmes sans coeur qui envoient leurs enfants dans les rues et les encouragent à lancer des pierres, à se faire tuer, pour ensuite célébrer leur mort.
Une mère palestinienne en train de donner un bain à ses deux enfants au milieu des débris.
Une autre facette que l’on ne voit pas, celle des mères qui encouragent leurs enfants à obtenir une bonne éducation, afin de construire un avenir meilleur, qui font tout pour les protéger des forces d’occupation israéliennes, quitte à les enfermer à la maison pour les empêcher de participer à des manifestations. « Face aux caméras, celles qui ont perdu leurs enfants en martyre paraissent dignes, voire fières. Elles veulent adresser un message à Israël : malgré la souffrance, vous ne nous briserez jamais. Mais derrière la caméra, elles laissent éclater leur douleur et leur colère », souligne Khawla Al-Khaldy. Elle ajoute que la Palestine regorge de femmes engagées, dignes et courageuses qui ont sacrifié leurs fils au djihad pour affronter la tyrannie de l’occupation, de sorte qu’on les nomme aujourd’hui les « Khansä de Palestine ». Et ce, en référence à Al-Khansä Tamadar bint Amro Al-Silmia, une poétesse comptée parmi les amis du prophète Mohamad, qui a perdu quatre de ses fils lors de la bataille de Qadissiya en l’an 16 de l’hégire, 638 de l’ère chrétienne.
Khawla Al-Khaldy cite, à titre d’exemple, Fatima Al-Cheikh Khalil, mère de cinq martyrs et Oum Nidal Farahat, qui était députée au Conseil législatif et a sacrifié trois de ses fils en tant que martyrs, alors que son 4e fils purgeait une peine de 11 ans dans les prisons de l’occupation.
Survivre dans des conditions extrêmes
Or, les femmes palestiniennes ne souffrent pas seulement de la perte de leurs enfants, ou de leurs maris, elles sont elles-mêmes la cible des forces d’occupation. Selon les évaluations relayées par l’ONU, les femmes et les enfants représentent près de 70 % des personnes tuées dans la guerre en cours. « Cela fait deux mères tuées toutes les heures et sept femmes toutes les deux heures », précise Sima Sami Bahous, directrice exécutive d’ONU-Femmes. D’autres sont blessées, incapables de trouver le moindre soutien médical auprès d’un système de santé totalement détruit. Chaque jour depuis le début de la guerre, 180 femmes accouchent sans eau, sans analgésiques, sans anesthésie pour les césariennes, sans électricité pour les incubateurs et sans fournitures médicales.
La mère palestinienne porte son fils deux fois, une fois dans son utérus et l’autre dans le cercueil.
Les Palestiniennes sont également confrontées à de nombreux défis quotidiens : Comment gérer leurs règles, quand il n’y a ni serviettes hygiéniques ni eau ? Où allaiter en toute intimité ? Que faire si le flux de lait s’arrête parce qu’elles n’arrivent pas à manger à leur faim ?
Et ce n’est pas tout. La violence psychologique est omniprésente. A chaque bombardement d’un bâtiment résidentiel, d’un hôpital, d’une école ou d’une installation des Nations-Unies, le message est clair : il n’y a aucun lieu sûr. Et face aux risques omniprésents, les mères se doivent aussi de ne pas transmettre la peur à leurs enfants, alléger leurs angoisses en les portant elles-mêmes. « A Gaza, les femmes sont les dernières à manger et les enfants sont les premiers à mourir », déplore Bahous.
Sur les écrans de télévision, les scènes de désolation ne manquent pas. Sur le trottoir devant sa maison bombardée à Bani Suhail, dans le sud de Gaza, Wafaa Ali, 32 ans, prépare la nourriture pour sa famille. Elle commence sa matinée à ramasser du bois parce qu’il n’y a pas de gaz. Et parfois, elle ne le trouve pas et utilise le nylon pour faire un feu. « Grandir à Gaza nous a rendues fortes, on doit chercher des alternatives pour résoudre les problèmes », lance Wafaa, qui a appris à se débrouiller pour cuire le pain dans un bidon métallique. Ailleurs, une femme donne un bain à ses deux enfants dans une baignoire, au milieu des débris.
Une femme accablée par la douleur du chagrin et la séparation de ses enfants martyrisés lors des raids de l’agression israélienne.
Autant d’exemples qui montrent ces Palestiniennes en première ligne de la lutte pour leur libération, celle de leurs enfants et de leur patrie. Derrière cette action, un engagement, mais aussi une conscience. « 75 % des étudiants universitaires en Palestine sont des femmes et le taux de scolarisation des filles dépasse les 90 %. Et l’on voit le résultat en tant de crises, un courage exceptionnel pour la gestion des foyers, de la crise sanitaire et des pénuries … Le tout, en continuant d’inculquer les principes de solidarité en ces temps durs. Car c’est cette solidarité qui nous permet de tenir dans des conditions impossibles », souligne Khawla Al-Khaldy.
Un héroïsme honoré par la Tunisie qui vient d’installer, devant l’ambassade de Palestine, une sculpture géante d’une femme avec son habit gazaoui enveloppée par le keffieh, ce célèbre turban de la résistance palestinienne. Résumant ainsi la bravoure et le dévouement de la résistante, la femme, la mère, la patrie, qui se dresse avec force et détermination dans un geste d’imploration, et qui, malgré sa souffrance, continue de résister.
Une femme palestinienne pleure son mari mort et serre dans ses bras ses paires de chaussures, en signe d’amour.
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