Ce produit est-il égyptien ? Une question que l’on pose souvent ces jours-ci avant d’acheter afin de s’assurer que le produit est fabriqué localement. Le commerçant donne rapidement la réponse. Un « oui » pour confirmer et surtout par crainte que le client ne laisse la marchandise et ne décide d’aller ailleurs à la recherche d’un produit local. C’est le cas depuis environ un mois, dès le début d’une campagne de boycott des produits étrangers, en signe de solidarité avec le peuple palestinien de Gaza, victime d’une série de bombardements sans précédent par Israël. En réaction, de nombreuses initiatives ont été lancées appelant au boycott de produits de plusieurs pays et de leurs agents ou représentants en Egypte en raison de leur soutien à Israël.
Indépendamment de l’impact de ce boycott des produits importés, tout le monde a été surpris par l’engouement pour les produits fabriqués localement. C’est un enthousiasme collectif pour faire connaître, encourager et commercialiser ces produits. Les réseaux sociaux ont joué un rôle majeur dans l’introduction de ces produits. Une dizaine de pages ont été créées établissant des listes de biens de consommation dans le but de sensibiliser les citoyens à l’achat des produits locaux avec les slogans « Fabriqué fièrement en Egypte », « Achetez les produits égyptiens », « Soutenez l’industrie de votre pays », et bien d’autres, qui portent le même sens. Ces pages, qui font de la publicité gratuite, véhiculent le même message incitant les gens à acheter égyptien.

« J’ai eu l’idée de créer cette page après avoir vu une émission de télévision qui parlait des produits égyptiens. Certains sont connus mais nous les avons oubliés. D’autres sont totalement inconnus. Alors, j’ai eu pensé à créer cette page avec la même idée de servir mon pays, d’autant plus que l’humeur du public est encourageante et les consommateurs sont prêts à changer leurs habitudes en achetant des produits locaux », souligne le fondateur de la page « Fabriqué fièrement … Fabriqué en Egypte ». Celui-ci, qui a requis l’anonymat, travaille dans le domaine de la technologie dans une entreprise multinationale. Il ajoute que, dans les circonstances actuelles, chacun doit contribuer à tous les niveaux à réduire les dépenses en devises étrangères et à encourager l’industrie locale. Chaque entreprise peut afficher ses produits sur cette page gratuitement, à condition qu’ils soient à 100 % égyptiens. « Parfois, poursuit le fondateur, nous ne faisons pas de publicité pour un produit avant que les responsables de la page ne l’aient essayé pour s’assurer qu’il est de bonne qualité ».
Une campagne qui porte ses fruits
De nombreuses pages remplissent le même rôle. Idem pour des émissions de télévision et de radio, ainsi que des journalistes. Selon Amira Ashraf, responsable d’une page en ligne qui compte 9 000 abonnés, les pages des réseaux sociaux attirent des milliers de personnes. Elle estime que la réussite de ces pages dépend de leur capacité à offrir aux petits et grands producteurs la possibilité de présenter leurs produits et de communiquer directement avec les consommateurs pour les convaincre des alternatives locales aux produits importés. « Les réactions sont positives. Les gens sont intéressés et veulent s’informer sur les produits locaux. Certains sont plus enthousiastes que d’autres et fournissent des suggestions pour améliorer la qualité d’un produit. Cela indique à mon avis que nous avons un grand besoin de cette étape qui, j’espère, durera et ne sera pas le résultat d’un enthousiasme passager », dit Amira, qui travaille dans le domaine des ressources humaines.

Les produits locaux ont désormais une place de choix sur les étalages.
La plupart des commentaires faits sur ces plateformes sont similaires et tournent autour des consommateurs qui ne connaissent pas de nombreux produits locaux ou qui veulent les acheter mais ne les trouvent pas facilement. « Nous avons l’habitude d’acheter ce que nous trouvons devant nous. C’est-à-dire souvent des produits importés », explique Heba Wahba, une employée, qui a questionné le directeur d’un magasin sur la raison du manque d’une boisson de soda égyptienne sur son étalage. Il lui a expliqué que les quantités qu’il reçoit ne suffisent pas car il y a une très forte demande de ce produit.
La campagne d’acheter égyptien semble avoir porté ses fruits. Il suffit de faire un tour rapide des magasins pour s’en apercevoir. Les vitrines, qui étaient autrefois remplies de produits importés de marques célèbres, accordent désormais une place de choix aux produits locaux. Ceux-ci, précédemment exposés avec négligence, ont pris la place des produits importés qui ont presque disparu des étalages. Autre indication de la nouvelle tendance : une célèbre chaîne de supermarchés au Caire offre une grande remise sur des produits de marques étrangères, en particulier des boissons. D’autres magasins d’alimentation de renom, ainsi que des boutiques et des kiosques ont fait de même. L’engouement pour les produits égyptiens ne se limite pas aux denrées alimentaires, mais s’étend aux vêtements, aux produits de nettoyage et bien d’autres.
Un changement apprécié
Pour le sociologue Osama Farouk, professeur à l’Université de Suez, la préférence que les Egyptiens accordaient aux produits fabriqués à l’étranger prouvait le complexe connu sous le nom de « khawaga » ou étranger. Il ajoute que ce complexe favorisait en particulier tout ce qui était occidental. « Il s’agit de l’une des plus grandes crises dont souffre la société et qui apparaît à plusieurs niveaux, ce qui reflète un manque de confiance en soi et une dépendance des autres. On choisit les articles importés qu’on préfère à ceux qui sont d’origine locale. On paie plus cher simplement parce qu’ils sont fabriqués à l’étranger ».

Tout le monde a été surpris par la demande inattendue sur les produits locaux.
Quant aux entreprises égyptiennes, leur situation a complètement changé du jour au lendemain, et tout le monde s’attend à une augmentation de la production et un développement des méthodes de commercialisation. Certaines entreprises ont déjà fait une percée en profits, à l’image de la société de production de soda « Spiro Spathis ». Cette compagnie, qui date des années 1920, a fait parler d’elle ces derniers jours sur les réseaux sociaux, car la demande sur ses produits a dépassé ses capacités de production, selon Youssef Talaat, directeur de commerce de l’entreprise. Il affirme qu’il s’attend à ce que les ventes des produits de « Spiro Spathis » se poursuivent au cours des trois mois prochains, après leur augmentation de 350 %. L’entreprise produit actuellement 150 000 paquets par jour, ce qui est sa capacité maximale. « Pour répondre à la demande record sur nos produits, nous devons maintenant travailler 24h sur 24 avec 3 équipes tout au long de la journée au lieu d’une seule équipe intermittente dans le passé », explique-t-il, soulignant que le réseau de distribution s’est étendu à environ 25 gouvernorats contre 18 il y a 3 semaines.
C’est le même cas de plusieurs autres entreprises, dont l’une qui fabrique des biscuits. Selon son responsable de la distribution, les ventes ont augmenté de 20 %. En conséquence, l’usine est à la recherche de nouveaux points de vente dans tous les gouvernorats de l’Egypte.
Ashraf Khairy, un responsable de la division de la publicité à la Fédération des industries, estime que l’impact de cette campagne en faveur des produits égyptiens ne peut être mesuré qu’après 3 mois. Khairy ajoute qu’au niveau de la publicité, aucun accord n’a été conclu avec les entreprises égyptiennes qui ont fait leur apparition de manière intensive sur les réseaux sociaux. Il estime que cet état est normal dans la mesure où la période actuelle ne montre pas encore clairement la direction que prendront les événements. Pour lui, le temps aura le dernier mot sur l’impact réel de la campagne de boycott.
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