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Edmond Gharib : « Les Etats-Unis ne veulent pas l’arrêt de la guerre à Gaza »

Osman Fekri , Mercredi, 06 décembre 2023

Edmond Gharib, professeur de relations internationales à l’Université George Washington, explique la position des Etats-Unis sur la guerre à Gaza et l’impact de celle-ci sur les chances de réélection de Joe Biden en 2024.

Edmond Gharib

Al-Ahram Hebdo : Pourquoi Israël a-t-il accepté la trêve humanitaire ?

Edmond Gharib : La trêve conclue grâce aux efforts égypto-qataris a permis la libération d’un certain nombre de prisonniers palestiniens, dans le cadre de l’accord d’échange, et l’augmentation du nombre de camions d’aide humanitaire et de carburant qui sont entrés à Gaza. Il s’agit de signes très positifs et d’un développement important. Quant à la raison pour laquelle Israël a accepté l’entrée en vigueur de la trêve humanitaire et le cessez-le-feu, c’est sans aucun doute à cause de l’échec de la solution militaire et l’incapacité de parvenir à des solutions sur le terrain par le biais d’opérations militaires. Egalement, Israël a subi de lourdes pertes en plus de la pression des familles des Israéliens détenus par le Hamas et des manifestations qui ont eu lieu à Tel-Aviv. Ajoutons aussi la forte opposition qui a eu lieu pendant les dernières semaines contre Netanyahu et son gouvernement, les pressions extérieures et les manifestations massives dans diverses capitales du monde contre la barbarie israélienne, le génocide et le meurtre de civils et d’enfants. C’est ce qui a motivé l’acceptation de la trêve par Netanyahu.

— Est-il vrai que le président américain, Joe Biden, a fait pression sur Netanyahu pour qu’il accepte la trêve humanitaire ?

— En effet, plusieurs sources américaines ont confirmé que le président Joe Biden avait joué un rôle majeur dans la conclusion de la trêve liée à la libération de 50 otages israéliens détenus par le Hamas, dont 3 Américains. Quand les négociations s’étaient arrêtées le 12 novembre en raison de l’assaut israélien contre l’hôpital Al-Shifa, Biden a vite fait d’intervenir et a envoyé son assistant pour les affaires du Moyen-Orient, Brett McGurk, au Caire et à Doha pour examiner les détails de l’accord qu’Israël avait conclu avec le Hamas et que celui-ci a annulé à cause de l’assaut contre l’hôpital qui a été condamné par le monde entier. La popularité du président Biden avait reculé à moins de 40 %, ce qui constitue un indice négatif avant la saison des élections. 70 % des Américains ont assuré qu’ils refusaient le soutien de Biden à Israël dans la guerre contre Gaza et 24 membres au Congrès ont réclamé un cessez-le-feu à Gaza.

— Pensez-vous que l’opinion publique internationale contre la guerre à Gaza puisse exercer des pressions en direction d’une solution politique ?

— En plus des manifestations énormes dans plusieurs capitales occidentales, Israël, les Etats-Unis et l’Europe ont été largement critiqués au niveau mondial, comme il s’est passé à travers les dernières déclarations des BRICS et celles du premier ministre espagnol qui a reconnu le droit des Palestiniens à avoir un Etat indépendant, ainsi que l’intention de l’Espagne de reconnaître immédiatement cet Etat. Il en est de même pour la Belgique. Pour sa part, la Chine a réclamé qu’un cessez-le-feu immédiat soit déclaré et que n’importe quel soutien à Israël ou son approvisionnement en armes soit stoppé, en plus de la nécessité de revenir à la solution politique de la cause palestinienne par l’annonce de l’instauration d’un Etat palestinien sur les territoires qu’Israël a occupés en 1967. Quant au pape François, il a décrit la guerre contre Gaza de terrorisme. La trêve humanitaire est donc une première étape qui constitue un résultat indirect des pressions internationales sur Israël pour stopper son attaque barbare contre les Palestiniens.

— Comment évaluez-vous la position américaine officielle et populaire envers la guerre israélienne contre Gaza ?

— Il est évident que nous commençons à toucher un changement notable dans la position de l’Administration américaine envers la guerre féroce menée par Israël contre les civils de Gaza. A la suite du vote au Congrès américain pour une loi qui permet d’octroyer à Israël plus d’armes et d’aides, des manifestations énormes se sont déroulées à Washington et dans un nombre de villes américaines, réclamant « la liberté des Palestiniens » et « Sauver Gaza ». Biden a également commencé à réclamer la protection des civils à Gaza.

— Pourquoi le président Biden n’a-t-il donc pas essayé de mettre fin à cette guerre ?

— L’Administration de Biden est confrontée à de fortes pressions de la part des démocrates progressistes, des responsables arabes et même de certains diplomates américains pour aider à mettre fin à la guerre entre Israël et le Hamas. Mais, la Maison Blanche ne veut pas nécessairement arrêter les combats, du moins pas maintenant, et même si elle le veut, Israël ne l’écoutera probablement pas. L’objectif de l’Administration actuelle dans ce nouveau conflit est de montrer clairement que les Etats-Unis soutiennent fermement Israël.

— Pensez-vous que l’Administration américaine veuille qu’Israël élimine complètement le Hamas ?

— Certes, les Etats-Unis sont unanimes avec l’objectif israélien d’éliminer le Hamas. Lorsqu’un journaliste de CBS News a demandé à Joe Biden s’il pensait que le Hamas devrait être complètement éliminé, il a répondu : « Oui, je le pense ». Le Hamas est un allié de l’Iran, le principal adversaire des Etats-Unis, donc son démantèlement affaiblirait Téhéran. Le Hamas est également considéré comme une force déstabilisatrice dans une région qui reste critique pour les intérêts économiques et sécuritaires des Etats-Unis. En plus, le Hamas ne reconnaît pas le droit d’Israël à exister, ce qui en fait un obstacle majeur pour la solution à deux Etats.

— Quel est votre commentaire sur le détournement d’un navire israélien en mer Rouge par les Houthis au Yémen ?

— Cet acte représente une évolution importante dans le contexte de la guerre actuelle. Ce détournement est un indicateur sur ce qui pourrait se passer en cas de conflits liés aux intérêts iraniens. Il s’agit d’une menace pour la sécurité de la navigation internationale à travers le détroit de Bab El-Mandeb vers l’océan Indien ou vers le Canal de Suez. C’est une menace non seulement pour les navires israéliens, mais aussi pour toute la région, les pays arabes du Golfe, l’Egypte et la Jordanie.

— Cette guerre marquera-t-elle un nouvel engagement de la politique américaine au Moyen-Orient après des années de retrait des affaires de la région ?

— Cette guerre d’Israël a certes accru la pression sur les Etats-Unis pour qu’ils se réengagent au Moyen-Orient. Dans un article rédigé par Biden dans le Washington Post, il a décrit les éléments de la politique à venir de Washington au Moyen-Orient. Il a noté que les Etats-Unis ne reculeraient pas face à Poutine et au Hamas, que l’Autorité palestinienne devrait en fin de compte gouverner la Cisjordanie et la bande de Gaza qui devraient être réunies sous une structure de gouvernance unique, rejetant l’idée de déplacer de force les civils de la bande de Gaza.

— Quel est l’impact de la guerre de Gaza sur l’élection présidentielle américaine ?

— La politique américaine et les campagnes électorales pour la présidentielle sont largement affectées par ce qui se passe au Moyen-Orient et la guerre barbare que mène Israël contre Gaza, ainsi que par la guerre de la Russie contre l’Ukraine. La guerre d’Israël contre Gaza et la mort de plus de 14 000 civils, dont 4 000 enfants, a des effets négatifs sur les chances du candidat Joe Biden à la prochaine élection présidentielle de 2024. Par exemple, l’Etat du Michigan, l’un des Etats pivots des élections et qui comprend l’une des plus grandes communautés musulmanes des Etats-Unis, a voté massivement pour Biden en 2020 après que Donald Trump avait proposé en 2016 d’interdire à tous les musulmans d’entrer aux Etats-Unis. Mais les Américains sont maintenant mécontents de la manière dont Biden soutient Netanyahu. Dans un autre Etat comme Detroit, l’humeur générale a changé contre Biden en faveur de Trump, à moins que la position de Biden envers Israël ne change et qu’il ne manifeste un plus grand intérêt pour les civils palestiniens. Un sondage mené par Gallup après le « Déluge d’Al-Aqsa » et la guerre de Gaza a révélé que pour la première fois, les démocrates ont ressenti plus de sympathie pour les Palestiniens que pour les Israéliens. Nous ne devons pas oublier que des manifestations pro-palestiniennes ont ébranlé les campus universitaires aux Etats-Unis, alors que le nombre des incidents antisémites a aussi augmenté. Comment donc ces jeunes vont-ils voter l’année prochaine alors que Biden semble représenter pour eux un sionisme démodé et maudit ? D’autre part, bien avant l’invasion russe de l’Ukraine, les Américains étaient fatigués des guerres sans fin. Bien qu’il n’y ait pas de soldats américains impliqués dans le conflit, les milliards de dollars versés par les contribuables sont engloutis par le soutien à la contre-offensive ukrainienne, qui semble s’être arrêtée. Bref, tout cela est dans l’intérêt de Donald Trump.

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