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Rasha Adly : Rectifier les idées reçues et les préjugés est mon devoir envers les lecteurs

Rania Hassanein , Mercredi, 06 décembre 2023

Lauréate en octobre dernier du prix littéraire Katara, récompensant le meilleur roman arabe de l’année, Rasha Adly revient sur sa carrière d’écrivaine qu’elle a commencée en 2010. Depuis, elle n’a de cesse de publier des ouvrages inspirés de faits historiques.

Rasha Adly

Al-Ahram Hebdo : Le prix Katara, accordé annuellement par le Qatar, a récompensé cette année votre roman Anta Tochreq Anta Todië (tu brilles, tu illumines). Vous l’avez reçu en ex æquo avec l’auteur égyptien Achraf Al-Achmawi. Comment ceci peut-il influencer votre carrière ?

Rasha Adly : C’est l’un des prix littéraires les plus importants dans le monde arabe. Il est décerné par l’Organisation arabe pour l’éducation, la culture et les sciences (ALECSO), travaillant sous l’égide de la Ligue arabe. 393 romans ont participé à ce concours, et moi, j’ai reçu le prix dans la catégorie Romans publiés. Il vient assurer que je suis sur la bonne route, depuis mes débuts en 2010, avec Sakhab Al-Samt (le bruit du silence).

— Que représentent pour vous les Portraits du Fayoum ? Et pourquoi avez-vous choisi d’axer votre roman primé sur ce thème ?

— Je suis très attachée à cette oeuvre qui a nécessité un énorme travail de documentation. Les Portraits du Fayoum, dont le nombre s’élève à environ 1 000 peintures funéraires remontant à l’Egypte romaine, ont été exécutés à partir du Ier siècle. Ils se trouvent pour la plupart enterrés dans des tombes historiques aux alentours de la ville de Fayoum, mais un bon nombre d’entre eux sont disséminés dans les musées internationaux. Ce sont les plus belles peintures funéraires de la préhistoire, dessinées avec des critères et normes assez modernes comme si elles venaient d’être réalisées à notre époque. En tant que spécialiste de l’histoire de l’art, je ne pouvais ignorer l’existence d’un tel trésor sur nos terres. Fayoum mérite d’être parmi les plus importants sites touristiques au monde.

— Est-ce que votre roman Shaghaf (passion), qui a figuré sur la longue liste du Booker arabe en 2018, vous propulse au-devant de la scène ?

— Oui, tout à fait, cela a attiré l’attention vers mon oeuvre, puis ce roman a été suivi d’un autre intitulé Akher Ayam Al-Pacha (les derniers jours du pacha) qui a figuré lui aussi sur la même liste en 2020. Par conséquent, j’ai commencé à être reconnue sur la scène littéraire arabe. Je vis en Turquie depuis plus de 4 ans, donc loin des cercles littéraires du Caire.

J’aime le calme, la contemplation, et je vis en retrait des milieux culturels, consacrant mon temps à l’écriture et à la lecture. J’ai pris la décision de partir après avoir perdu mon mari, Khaled. Je voulais m’évader et poursuivre des études en arts en Turquie, tout en accompagnant mes fils qui ont choisi de poursuivre leurs études universitaires là-bas.

— Votre roman Qitar Al-Layl Ila Tel-Abib (train de nuit pour Tel-Aviv), publié il y a deux ans, doit être lu et relu à l’ombre des derniers événements de Gaza. Car vous y évoquez la genèse du sionisme et la situation des juifs d’Egypte après la guerre de Palestine en 1948 …

— L’idée du livre a été favorisée par la lecture d’un ouvrage bien documenté sur la Guéniza du Caire (ndlr : dépôt d’archives sacrées de la synagogue Ben Ezra du quartier Fostat), publié par le Centre national de la traduction. L’ouvrage traite des 200 000 manuscrits en hébreu, datant de 870 à 1880 qui renferment plein d’informations sociales, politiques, culturels, bref sur tous les détails de la vie quotidienne. En me penchant sur ces documents, j’ai constaté que si avant l’année 1948, les juifs coexistaient en leur majorité au sein de la nation égyptienne, les lois datant de l’époque du roi Fouad, du roi Farouk et du président Abdel-Nasser limitaient les chances de leur embauche dans des sociétés égyptiennes, notamment après la nationalisation. Les restrictions qu’on leur imposait les ont poussés à quitter le pays.

— Vous liez passé et présent ; en même temps, vous rectifiez certaines idées reçues sur l’Histoire et ses personnages, ce fut le cas de Mohamad Ali dans votre roman Akher Ayam Al-Pacha (les derniers jours du pacha). Qu’en dites-vous ?

— Le romancier a un rôle à remplir. Personnellement, je penche pour les romans informatifs, basés sur une documentation solide. Le fait de lier passé et présent donne de la vivacité au récit littéraire, cela m’aide à me projeter dans l’avenir, car l’Histoire se répète toujours. Rectifier les idées reçues et les préjugés est mon devoir envers les lecteurs.

— Comment votre passion pour l’art plastique a-t-elle impacté votre écriture ?

— Depuis l’enfance, j’étais fascinée par la peinture. Ma grand-mère avait loué l’appartement d’une artiste italienne au centre-ville du Caire ; il y avait de superbes peintures accrochées aux murs, signées J.S. J’admirais ces peintures et effectuais des recherches pour découvrir l’identité de l’artiste. Je continue d’ailleurs de le faire jusqu’à présent. Derrière chaque peinture, il y a une histoire, se cache toute une ère, des circonstances sociopolitiques, etc. Ces souvenirs d’enfance m’ont inspiré la rédaction de mon roman Al-Haya Layssate Daëmane Wardiya (la vie n’est pas toujours en rose), publié en 2012. J’ai publié en 2012 un essai, Al-Qahira, Al-Madina wal Zikrayat (Le Caire, la ville et les souvenirs), dont une partie aborde l’Histoire et l’autre l’art. J’y ai traité notamment le règne de Mohamad Ali pacha jusqu’au khédive Ismaïl. Mohamad Ali était très ouvert d’esprit, il a eu recours à des étrangers de toutes les spécialisations artistiques pour reconstruire le pays. Son petit-fils, le khédive Ismaïl, a rêvé lui aussi de transformer l’Egypte, pour en faire le Paris de l’Orient. Mon ouvrage traite des orientalistes qui ont marqué cette époque.

Cette année, j’ai sorti un autre essai intitulé Melä Al-Aïn, Al-Maräa wal Fan Al-Tachkili Abr Al-Ossour (plein la vue, la femme et les beaux-arts à travers les siècles). J’y ai étudié les différentes circonstances sociales, culturelles et politiques, propres à chaque époque, lesquelles ont marqué l’art au féminin.

— Vous avez des projets sur les rails ?

— Oui, bien sûr. Cette fois-ci, je veux adopter un style diffèrent, en abordant la vie et l’oeuvre d’une photographe américaine, dont je ne veux pas dévoiler le nom en ce moment. Elle a vécu dans les années 1950 et était souvent décrite comme une femme mystérieuse. Car elle photographiait souvent les gens dans les rues. Elle a revisité Le Caire en 1967, et c’est à partir de là que je tisse mon histoire.

 Bio Express

Rasha Adly est née en 1976, au Caire. Elle est romancière, chercheure en histoire de l’art, titulaire d’un master en la matière. Elle a travaillé en tant que correspondante de la revue Al-Emirat Al-Saqafiya (la revue culturelle des Emirats) entre 2016 et 2020. Elle possède 10 oeuvres littéraires dont deux ont figuré sur la longue liste du Booker arabe en 2018 et 2020. Son roman Shaghaf (passion) a été traduit vers l’anglais et a reçu le prix Panipal en 2021. Il a figuré également sur la longue liste du prix littéraire international de Dublin en 2022.

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