« Raconte ton histoire avant que ton ennemi ne s’en accapare », écrit l’écrivain palestinien Ibrahim Nasrallah. Sans discours politique, sans passer par des médias affichant le parti pris de l’oppresseur, il suffit de raconter les histoires des Palestiniens pour les préserver à jamais. C’est le principe adopté par la plateforme Hekayat Falastineya (http// :www.palestinianstories.com), qui a suivi le modèle des sages palestiniens d’autrefois, qui ont vécu l’expulsion de leur terre en 1948. Ceux-ci se sont attachés aux historiettes léguées par les parents aux enfants, afin de retracer oralement l’histoire du peuple palestinien.
Les histoires des villes, des rituels, des familles, des maisons, des recettes d’huile d’olive … qui s’étendent de Gaza à Jaffa, et d’Acre jusqu’en Galilée. Raconter pour survivre ou vivre pour raconter, n’est-ce pas là un acte de résistance ?
C’est la voie entreprise par Samar Dowidar, écrivaine et chercheuse spécialisée dans l’histoire orale, de mère palestinienne et de père égyptien. A la place des témoignages des grands-mères, qui manquent à chaque fois d’un détail ou d’une partie de l’histoire, étant communiqués de bouche à oreille, elle a décidé de lancer une plateforme pour faire face à la perte de la mémoire. « L’objectif est de se partager les tâches entre les membres du groupe, rassembler les morceaux du puzzle des histoires, celles de tous nos grands-parents, afin de dessiner la grande image d’une mémoire qui lutte contre l’oubli », lit-on en guise d’introduction au projet, à travers un texte illustré par une vidéo, tournée dans l’enceinte du Dôme du Rocher à Jérusalem.
Ni héros, ni assassin
« Je ne suis pas politicienne », affirme Samar Dowidar. Par contre, elle a choisi de plein gré de s’impliquer dans le social, le culturel, l’humain. Elle voulait rassembler les archives du citoyen palestinien ordinaire, « parce que l’image du Palestinien dans les médias est soit le héros, martyr et résistant, soit le terroriste, criminel et assassin ». Elle s’insurge : « Ce sont des images stéréotypées qui n’ont rien à voir avec l’image réelle, celle que j’ai vue de mes propres yeux dans les lettres de mon grand-père maternel, Ali Shaath. J’ai voulu présenter la vraie histoire, celle d’une personne qui a connu réussites et déboires ».
Page d’accueil du site.
Histoires palestiniennes vise à présenter l’aspect personnel des citoyens ordinaires, s’interrogeant sur le fait : comment restituer l’identité à partir des mémoires de particuliers et des biens qu’ils possèdent. Sur la plateforme Palesitinian Stories, on retrouve des archives à la fois très bien documentées, vivantes et touchantes. Des lettres, des photos, l’arbre généalogique des différentes familles, des vidéos et des objets traditionnels propres aux Palestiniens.
Samar Dowidar s’attache à ce patrimoine vivant et concret. Elle donne l’exemple très touchant d’une jeune fille qui a voulu partager l’image de la robe brodée qu’elle a héritée de sa grand-mère et dont le type de broderie appartient à la ville de Jénine. « Ces petits objets disent long sur l’histoire de la broderie de chaque ville palestinienne. Ils contredisent les propos mensongers soutenant que les terrains palestiniens étaient déserts, à l’exception de quelques agriculteurs par-ici, par-là. Bien au contraire, on voit bien qu’une vie sociale très diversifiée a existé depuis la nuit des temps ».
Du privé au public
Le projet vise à installer des archives regroupant toutes les familles palestiniennes, afin de lutter contre la défiguration de la mémoire collective de tout un peuple. Tout a commencé lorsque la mère de Samar lui a offert la boîte aux trésors qui renferme des photos et des lettres échangées entre son grand-père Ali Rashid Shaath, né en 1908, et son épouse. Cela coïncidait avec des interrogations identitaires qui tourmentaient Samar, qui avait entamé plusieurs recherches sur les femmes palestiniennes émigrées, mariées à des Jordaniens, Tunisiens, Egyptiens, une série de papiers qu’elle a intitulée « Raconte ton histoire ». Samar voulait poursuivre la vie palestinienne de tous les jours, avant la Nakba de 1948.
Elle voulait écrire un roman sur cette époque précise et cherchait à nourrir son imagination par les détails de la vie quotidienne : comment ils vivaient, leurs habits, leurs coiffures, leurs moments de détente, leurs chansons, les films, les mariages et nouveau-nés … Elle voulait tout documenter et a donc commencé par sa propre histoire et celle de sa famille. Ce fut alors le début de la plateforme Hekayat Falastineya.
La boîte aux lettres l’a incitée à lire davantage et à découvrir à partir des lettres et des photos échangées entre Ali Shaath et sa femme à quoi ressemblait la vie dans les différentes villes. Les manuscrits reflétaient notamment la vie de la classe moyenne palestinienne de l’époque, qui tenait absolument à l’éducation de ses enfants.
Un passeport palestinien datant de 1944.
Elle a suivi l’itinéraire de Ali Shaath, figure de la résistance palestinienne, qui a travaillé comme professeur dans plusieurs écoles et s’est trouvé contraint de se déplacer de Gaza jusqu’en Galilée, puis à Acre, pour ensuite devenir directeur d’école à Jaffa. Cet itinéraire est raconté par les photos et les lettres, évoquant la vie de tous les jours, ainsi que l’histoire de la patrie.
Il y raconte aussi l’histoire du retour impossible, après avoir atterri à Alexandrie où il a travaillé à la nouvelle branche de la Banque arabo-palestinienne. En 1947, il n’a pas pu rentrer chez lui et est resté bloqué en Egypte.
Les archives qui ont atteint 600 photos et 400 documents ont largement inspiré Samar Dowidar, qui a décidé d’étendre son projet pour englober les histoires d’autres familles.
Ainsi, la plateforme est divisée en deux parties. La première, lancée au début de cette année, comporte lettres, photographies, articles, etc. Il y a aussi des enregistrements sonores, dont des chansons et des témoignages livrés par les habitants de Gaza. Samar Dowidar a mené ce travail colossal avec l’aide de quelques amis chercheurs, d’écrivains, de webdesigners et de vidéastes, tous volontaires.
Pour la section « Archives familiales », le groupe de chercheurs a suivi les nécrologies, rendant hommage à des défunts palestiniens, pour faire une cartographie des familles palestiniennes, se servant également de manuscrits et témoignages vivants. La deuxième partie de la plateforme, encore en construction, doit comprendre des détails sur la diaspora palestinienne, partout dans le monde, et une section consacrée à la troisième génération qui porte la Palestine dans le coeur, sans l’avoir visitée.
Cette jeune génération aura ainsi la possibilité de télécharger leurs manuscrits, lettres et photos de famille à travers la plateforme pour mieux connaître les leurs. En outre, un magasin en ligne lui permettra d’exposer et de vendre des livres, des photographies et des objets qui racontent la Palestine. Le site est actuellement en arabe, mais il sera prochainement en anglais. De quoi permettre à sa fondatrice de s’adresser à tous ses compatriotes, leur demandant d’ouvrir les valises de leurs grands-parents.
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