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Des toiles qui parlent à haute voix

May Sélim, Samedi, 04 novembre 2023

Une exposition collective regroupant trente plasticiens du monde arabe se tient à la Citadelle du Caire sous le titre « Dialogue arabe ». Les travaux des artistes sont fortement influencés par les questions de l’identité et de la guerre. Décryptage.

Des toiles qui parlent à haute voix
OEuvres de l’Iraqien Mohamed Obaïdi.

A l’entrée de la Citadelle se trouve le bâtiment de Dar Al-Darb (maison de la frappe de la monnaie, construite par Mohamad Ali pacha en 1812), qui accueille l’exposition Dialogue arabe. Dans la cour, deux femmes arlequines nous regardent. Elles sont présentes sur une grande toile noire. On a l’impression qu’elles prennent vie et nous proposent de venir jouer avec elles, avec les petites pièces de papier colorées. Il s’agit de l’oeuvre de la Koweïtienne Ghadah Al-Kandari, une peinture-installation, aux couleurs criardes. De petits bouts de papier forment un grand triangle sur le parterre devant la toile, donnant un effet de contraste avec les costumes des clowns en noir et blanc. « J’aime jouer avec les couleurs et les morceaux de papier. J’aime le personnage du clown, notamment le contraste entre sa tenue et les couleurs criardes de mes petits ballons. Le plus important pour moi, c’est le rapport de confidence entre ces deux femmes. En fait, je suis très attachée à ma soeur et à ma fille. Les deux sont mes confidentes, mes meilleures amies. J’aime raconter les rapports humains dans mes oeuvres, en les plaçant dans le cadre de la vie quotidienne », souligne Ghadah Al-Kandari.


Hend Adnan, Une femme en quête de liberté.​


Ibrahim Al-Dessouki s’inspire de la fresque du temple de Dendarah.​

Les deux femmes arlequines aux visages colorés sont comme leur peintre, sérieuses, avec des coeurs enfantins et inoffensifs ; elles veulent toujours jouer. Pourquoi alors ne pas jouer avec elles ?

Cet esprit enfantin domine aussi les trois tableaux de l’Egyptien Ibrahim Al-Dessouki, intitulés Al-Soboue (le septième jour, fête célébrant la première semaine d’un nouveau-né). Ils montrent sept femmes sensuelles, en blanc, inspirées de la fresque du temple de Dendarah, à savoir les sept Hathor (déesse de l’amour et de la maternité en Egypte Ancienne). Ce sont les sept philanthropes qui sont capables de déterminer le sort du nouveau-né. Les femmes en blanc se préparent à faire la fête, avec des visages calmes et des corps généreux en mouvement. Le temps est à la danse et à la sensualité féminine.


Me & You de l’Algérien Hamza Banoua.


Les soeurs arlequines de Ghadah Al-Kandari.​

Sa femme, Hend Adnan, également peintre, participe à l’exposition avec une série de trois tableaux : Rêve I, Rêve II et Rêve III. Elle met en avant la même femme en rouge, dans des postures différentes, aspirant à la liberté. Pendant le rêve, le corps est allongé, enveloppé d’un foulard rouge, les jambes sont pliées. Le rouge sang, couleur rebelle et assez puissante, va de pair avec l’état de cette femme prête à s’émanciper.

La femme est aussi la principale protagoniste des oeuvres de Essam Maarouf, de Souad Abdel-Rassoul et du Soudanais Salah Al-Murr.


Les Pyramides de Mohamed Abla.

Le premier trouve en le visage de la femme une source d’inspiration permanente et se plaît à peindre le monde à travers elle. Ses visages de femmes ressemblent à des muses sacrées avec un halo magique sur leur tête. Ce sont des déesses mythiques et sensuelles, qui baignent pour autant dans la spiritualité. Têtes inclinées ou dressées, peintes de profil ou de face, elles sont pensives, fragiles et mystérieuses.

Dans La Survie de Souad Abdel-Rassoul, les corps des femmes brunes occupent essentiellement la toile, laissant à la marge quelques personnages masculins, posés sur un tronc d’arbre, au milieu de la mer. Ils cherchent à survivre avant tout, alors que les femmes dominent.

Le Jour du mariage de Salah Al-Murr oppose une mariée en blanc assise sur une chaise et un homme de petite taille. La femme ôte son voile de mariée et fait face aux défis et aux responsabilités qu’elle doit assumer. Le jour du mariage ne semble pas très prometteur.


Serwan Baran opte pour la satire politique.

Jeux de lettres

Les artistes arabes du courant dit Hurufiyyah qui participent à l’exposition ont recours à la calligraphie comme élément graphique, d’où leur appellation. La lettre par sa forme et sa position souvent inversée joue un rôle visuel indéniable dans leurs oeuvres.

L’artiste algérien Hamza Banoua puise dans la calligraphie, jouant avec les variations que suggèrent la lettre Alef et les points sur d’autres lettres. Son oeuvre intitulée Me & You (toi et moi) se compose de deux tableaux. L’un se reflète sur l’autre, comme s’ils étaient séparés par un miroir. Les toi et moi évoquent la relation du couple ou la dualité au sein d’une même personne.

Le Qatari Youssef Ahmed a recours à des techniques mixtes et mise sur la superposition des tissus et de la transcription arabe. Son oeuvre abstraite, ayant une texture spécifique, est recouverte de calligraphie arabe, suggérant le paysage désertique de son pays.

Dans Dialogue de miniatures I et II, le Koweïtien Abdel-Rasoul Salman use des formes des lettres pour les faire dialoguer entre elles. Il joue aussi avec les couleurs d’acrylique, afin d’engendrer un mouvement au sein du tableau. L’ensemble des lettres crée des espaces horizontaux aux couleurs variées. L’artiste y regroupe les éléments de la mère Nature : ciel, mer et terre.


The Wedding Day de Salah Al-Murr.

L’Emirati Abdel Qader Al-Raïs mise sur la force de ses couleurs et ses couches superposées. Artiste pionnier du courant Al-Hurufiyya, il emprunte les points des lettres arabes, dans ses tableaux abstraits, pour accentuer l’effet des couleurs et souligner les traits d’une femme. Ses petits points dispersés, avec de petits losanges, contrastent avec les taches continues de couleurs.

Sur l’un des tableaux, il joue avec les nuances d’un bleu sombre. Sur l’autre, il mise sur l’apparition d’une silhouette féminine sur un fond jaune.

Ville identitaire, ville de guerre

La ville reste un lieu touchant. Elle est toujours gravée dans la mémoire de ses habitants et fait partie de leur identité artistique. C’est le cas chez l’artiste égyptien Mohamed Abla qui peint Le Caire d’aujourd’hui avec ses nouveaux ponts et ses axes routiers dans Les Pyramides et Le Nouveau Caire.


Youssef Abdelké, Un crâne et une plante.

Le Saoudien Nasser Al-Turki a recours à une couleur jaune dorée pour refléter les tons des villes désertiques de la péninsule arabique. Sur un fond de bleu ciel, il peint avec du jaune doré la silhouette d’un couple ou encore un triangle, en référence de l’image de son pays sur la carte.

Mais les villes des autres pays arabes sont marquées par les atrocités de la guerre. La région est une zone de conflit et de colonisation. Sur les toiles, il y a des villes détruites, des martyrs, des victimes, des blessés … Abdul Rahman Katanani présente une oeuvre symbolisant un camp de réfugiés. D’origine palestinienne, Katanani est né et a grandi dans le camp de Sabra au Liban. Il a fait une tente en ayant recours à l’acier coloré des barils de pétrole, au bois et aux cordes. Son tableau de techniques mixtes relate la longue histoire du conflit arabo-israélien.

Le graveur syrien Youssef Abdelké dessine avec du fusain sur papier un crâne à côté d’un masque de clown, en train de tirer la langue. Puis, sur un autre tableau, il dessine une plante avec plein de feuilles.

Malgré la guerre, les victimes et les martyrs syriens, Abdelké garde espoir. La résistance continue, les plantes vont retrouver leur verdure.


Lettres et couleurs superposées par l’Emirati Abdel Qader Al-Raïs.

L’Iraqien Mohamed Obaïdi est marqué par l’histoire de son pays et sa chute entre les mains des Américains en 2003. Deux de ses tableaux en noir et beige montrent des corps humains déchiquetés, dispersés par-ci et par-là, alors que l’oeuvre du Kurde-Iraqien Serwan Baran comporte une grande satire de la situation politique arabe actuelle. L’artiste peint une série de clowns avec des corps à moitié nus qui s’entassent devant les micros des médias. En pleine crise, la scène se répète.

Le Libanais Ayman Baalbaki, dont l’enfance et l’adolescence sont fortement marquées par la guerre civile au Liban, peint une ville en destruction. Sa ville effondrée à cause de la guerre n’est pas sans rappeler Gaza, actuellement sous les obus d’Israël.

Les artistes arabes évoquent à la fois le passé et le présent. L’Histoire se répète.

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