« De quel derby vous parlez ? Celui qui se joue sans public ! Regardez la différence de qualité entre les joueurs aussi. Al-Hilal et Al-Nassr est le plus grand match de la région. J’aime beaucoup le football égyptien, mais avec tout mon respect, c’est un championnat qui n’est suivi qu’en Egypte. Je ne parle pas ici de la valeur historique, je parle du présent, et il faut vivre avec cette nouvelle réalité ». Ces propos du commentateur saoudien Walid Al-Farrag sur le grand derby cairote entre Ahli et Zamalek et le football égyptien en général, sur la chaîne MBC, ont déclenché une avalanche de réactions et enflammé les réseaux sociaux.
Le président de la Ligue du championnat national, Ahmad Diab, a immédiatement réagi en disant que le derby cairote est « le plus grand du Moyen-Orient et d’Afrique peu importe ce qu’on dit ». D’anciens joueurs se sont aussi engagés dans ce qui est devenu « une guerre des mots » entre deux camps. Le premier pense que le championnat égyptien est « le meilleur de la région », et le second estime, au contraire, qu’une réforme totale de ce championnat est nécessaire « pour rattraper le retard ».
Le football égyptien a accumulé plus de détresses que de glamours ces dernières années. C’est vrai qu’il y a du suspens, de belles idées techniques et des nouveautés tactiques, mais le spectacle est plutôt absent vu le manque d’audience et de tempo.
Des stades vides
Depuis la catastrophe du stade de Port-Saïd qui a fait 74 morts en 2012, les gradins sont déserts. Aujourd’hui, seulement 6 000 supporters sont autorisés pour les matchs du championnat. Résultat : des matchs sans ferveur. « Je veux une réponse à ma question, où sont nos supporters ? Pourquoi joue-t-on sans notre public ? Quand on va au Maroc ou en Tunisie, on joue dans une ambiance folle, et ici, au Caire, on a des stades vides. On est privé d’un grand atout », avait dit l’entraîneur suisse d’Ahli Marcel Koller. En effet, c’est la ferveur du public qui anime les matchs et donne des ailes à certains joueurs.
A son arrivée à la tête de la Ligue du Championnat en 2022, Ahmed Diab a annoncé que ce dossier figurait à la tête de ses priorités, mais ses efforts, semble-t-il, n’ont pas encore abouti.
Il n’y a plus de supporters dans les stades ni, d’ailleurs, devant le petit écran. Le Championnat est de plus en plus basé sur les clubs des grandes compagnies ou ceux d’entités militaires ou de la police qui manquent de base populaire.
Pour la saison 2023-2024, 7 clubs seulement sur 18 avaient des bases populaires, à savoir Ahli, Zamalek, Ismaïli, Masri, Ittihad d’Alexandrie, Smouha et Baladiyet Al-Mahalla. Et pour mettre cette réalité en perspective, 5 gouvernorats seulement sur les 27 que compte l’Egypte sont représentés en première division.
« Le football appartient aux supporters. Les nouveaux clubs qui appartiennent à des entreprises ont énormément affecté le Championnat. Qui s’intéresse à un match entre Ceramica Cléopatra et Pharco ? Les joueurs jouent sans pression et sans motivation. Cette année, deux clubs populaires ont été relégués en D2 et deux autres appartenant à des compagnies ont accédé à la D1. Il faut protéger les clubs populaires, car ils donnent de la valeur à la compétition », affirme Kamel Abou-Ali, président d’Al-Masri.
De la qualité, mais …
Trois clubs égyptiens figurent dans le top 5 des équipes les plus valorisées d’Afrique. A tout seigneur tout honneur. Ahli, le club du siècle, est en tête de la liste avec 33,2 millions d’euros, Pyramids FC se trouve à la troisième place avec 22,13 millions d’euros et Zamalek à la cinquième place avec 19,98 millions d’euros, selon le site Transfermarkt. Mais ce n’est rien comparé aux richissimes clubs saoudiens qui dominent la liste en Asie avec Al-Hilal (161,2 millions d’euros), Al-Nassr (152,98 millions d’euros), Ahli Jeddah (150,23 millions d’euros) et Ittihad Jeddah (119,88 millions d’euros).
Alors que les clubs saoudiens possèdent des Ballons d’or comme Cristiano Ronaldo et Karim Benzema et des champions du monde comme le Français N’Golo Kanté, le championnat égyptien n’a que deux joueurs seulement qui ont participé à la Coupe du monde 2022, à savoir le latéral d’Ahli Ali Maaloul et l’attaquant de Zamalek Seifeddine Jaziri avec la Tunisie.
Manquant de ressources et sortant d’années de crises, les clubs égyptiens ne peuvent pas investir de grosses sommes sur le marché des transferts. Ahli affiche le plus grand transfert du mercato estival jusqu’à présent en se procurant l’international des Pharaons Emam Achour pour la somme de 3 millions d’euros. Achour jouait avec l’équipe danoise du FC Midtjylland.
Avec le grand derby cairote, les duels face à la nouvelle puissance, Pyramids FC, et les sommets historiques face à Ismaïli et Masri, le suspense est là, mais ce n’est pas assez pour franchir les frontières. « C’est vrai qu’il y a du suspens parfois et de la compétitivité dans notre championnat, mais cela ne veut pas dire qu’il y a de la qualité. Les niveaux sont proches, mais les talents et les coups d’éclat se font de plus en plus rares », explique le critique sportif Hassan Al-Mistikawi.
Un autre facteur qui a gravement affecté la qualité du Championnat est la perturbation du calendrier. Les longues trêves suivies d’enchaînements de matchs et les dates irrégulières ont pesé lourd sur le physique des joueurs et sur leur évolution individuelle et collective. « Cette cadence de jeu nuit au football égyptien. Jouer tous les trois jours ne nous donne pas le temps de récupérer, d’appliquer nos méthodes et de nous améliorer. Résultat : des blessures, des joueurs épuisés et un niveau de jeu médiocre », dit l’ancien entraîneur de Zamalek Jesualdo Ferreira.
Le cas d’Ahli
Ahli évolue à un niveau supérieur et s’est forgé une bonne réputation globale ces dernières années. Avec trois titres de champion d’Afrique dans les 4 dernières années et 2 médailles de bronze en 3 participations consécutives en Coupe du monde des clubs, Ahli se trouve dans la cour des grands. Mais on ne peut pas réduire le foot égyptien à la réputation d’un seul club. Zamalek, le deuxième club le plus titré d’Egypte et d’Afrique, est étouffé par la crise financière et privé de transferts. Ismaïli, qui compte 3 titres de champion, a échappé à la relégation de justesse la saison passée et semble loin de revivre ses gloires passées, tandis que les puissances classiques, comme Masri et Ittihad, ne peuvent espérer qu’une place au milieu du classement. Pour les Egyptiens qui aiment le football, c’est vraiment triste de voir les héros du ballon rond s’éclipser de la scène. A quoi ça sert de présenter un spectacle si personne ne s’y intéresse ?
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