Désormais, plus besoin de se réunir. La gameaya, ce système informel d’épargne rotatif, très pratiqué en Egypte, a été numérisé afin qu’il s’intègre davantage dans notre monde moderne dépendant d’Internet. Autrement dit, pendant longtemps, les Egyptiens se retrouvaient entre eux pour cotiser périodiquement une somme donnée, et ils récupéraient à tour de rôle le montant total réuni. Aujourd’hui, le principe n’a pas changé. Sauf qu’il se fait via une application. D’où ce que l’on appelle aujourd’hui la « digital gameaya » ou « e-gameaya ». Nagui Mostafa, 28 ans, est informaticien. Il s’est lancé dans l’aventure de la gameaya en ligne dans le but d’épargner de l’argent pour son mariage. « C’était une vraie bouée de sauvetage. De plus, naviguer dans une application avec des inconnus est plus facile et plus sûr que la pratique traditionnelle en face à face », lance-t-il, tout en ajoutant que parmi les avantages de la gameaya en ligne, on peut recevoir son argent sur son compte bancaire, sans retard, et sans avoir besoin de courir après les gens.
« La plateforme simplifie le fonctionnement, elle met tout le monde en relation, collecte chaque mois l’argent sans avoir ni à faire de relance, ni à le redistribuer », explique Ahmad Mahmoud, directeur d’El-Gameya qu’il a fondée fin 2019. Il poursuit qu’avec ses 30 000 utilisateurs, dont 30 % en Haute-Egypte, parmi la population agricole et défavorisée, l’application séduit surtout des personnes qui ont des difficultés financières, qui veulent se marier ou payer des frais scolaires ou universitaires. Pour Rania Gamal, professeure, ce qui lui importe le plus c’est la confidentialité et la sécurité. « Pas besoin de se déplacer avec l’argent qui tente les voleurs, vu que les sommes sont envoyées à la plateforme par paiement mobile et chaque participant est averti par SMS de qui a cotisé et qui doit encore le faire », explique-t-elle. A l’opposé, Saber Abdallah, fonctionnaire, est complètement ignorant de ces types d’apps et n’aime pas cette e-gameaya : « Dans les gameayas traditionnelles, tout est basé sur la confiance. Je connais les gens et si l’un d’eux ne paie pas, je vais voir son frère ou sa mère et c’est lui qui paie à sa place », confie-t-il.
Ahmad Wadi, créateur d’une autre application appelée MoneyFellows, estime que les transactions en ligne sont faciles. Une seule condition pré-requise : fournir une photo de la pièce d’identité. Et, les moyens de paiement sont variés : virements, dépôts d’espèces et paiements électroniques, très populaires en Egypte. Téléchargée plus de 1,6 million de fois, l’application MoneyFellows compte environ 173 000 utilisateurs, liés à l’entreprise par contrat, qui épargnent chaque mois de 500 L.E. à des dizaines de milliers de L.E.
L’équipe de Hassala a remporté le premier prix du Mobile App Launchpad Program (MAL), à savoir 20 000 dollars.
Il est à noter que la Banque Centrale d’Egypte collabore avec les deux start-up, dont l’aînée, MoneyFellows, qui a levé 4 millions de dollars d’investissement en 2020. Car elles ont instauré une grille d’évaluation pertinente où les utilisateurs obtiennent des crédits plus élevés s’ils peuvent fournir plus de preuves de leur capacité à payer des fonds.
Un business florissant
Or, si certaines personnes ont utilisé les statuts de leur application WhatsApp pour faire des gameayas, d’autres y ont eu recours pour faire des affaires et écouler leurs biens. On dirait un véritable étalage où sont exposés marchandises et produits. Une commande et la livraison est faite avec célérité. Tel est le cas de Samar Osmane, qui gère sa boutique virtuelle depuis plus de trois ans. « C’est une activité rentable. Il suffit d’avoir un téléphone Android, une connexion Internet, l’application WhatsApp, un fournisseur, et le tour est joué », confie Samar qui affirme que les premières clientes étaient des proches, amies et contacts de son répertoire. L’efficacité du service et l’attractivité des produits proposés créent une émulation autour de l’activité, puis les premiers clients recommandent les produits à d’autres.
L’accès aux pharmaciens et aux médicaments a été facilité grâce à Chefaa.
Même son de cloche pour Jasmine Yasser, qui a créé une application appelée Vatrina. Tout a commencé lorsque cette étudiante de l’Université britannique a décidé avec ses collègues, face à la croissance du e-commerce au détriment des achats dans les magasins physiques, de saisir cette opportunité pour encourager les gens, via Internet, à réduire les déchets liés à l’industrie de la mode prêt-à-porter et en faire une autre, plus durable. « Notre étude de marché a montré que le secteur de la mode prêt-à-porter (les créations de vêtements qui passent rapidement du défilé aux magasins pour répondre aux nouvelles tendances) est l’un des plus nocifs à l’environnement dans le monde. Il produit 10 % des émissions mondiales de carbone et pollue les océans avec les microplastiques. Il est aussi le deuxième consommateur d’eau sur la planète », explique Yasser, cofondatrice de l’application Vatrina, tout en ajoutant que cette dernière propose trois options durables : la refonte des vêtements des clients, la vente de vêtements d’occasion et les dons. D’autant plus qu’environ 90 % des Egyptiens donneraient ou jetteraient leurs vieux vêtements, mais ne sont pas au courant des options durables pour revendre leurs vêtements ou les repenser pour un style de vie plus long.
La smartwatch est un excellent outil de suivi sport et santé.
Education, santé et autres
En effet, les plateformes d’applications mobiles connaissent un vrai boom ces dernières années. Aujourd’hui, les apps accompagnent les utilisateurs dans un nombre considérable de tâches diverses et variées, et ce, au quotidien. Tous les domaines de l’activité humaine y ont été influencés, d’une manière ou d’une autre, à tel point que le fait de créer une application pour en faire son business est devenu à la mode. De la santé à la musique, de l’éducation aux jeux mobiles et d’autres dédiées à commander à dîner ou un taxi. Bref, il en existe de toutes sortes et la concurrence est forte.
Selon le dernier rapport de l’agence internationale We Are Social et la plateforme Hootsuite, lancé en juillet 2022, on compte 34 milliards d’applications téléchargées dans le monde. « Avec l’essor des applications mobiles et leurs fonctionnalités toujours plus sophistiquées, il est aujourd’hui plus facile d’être, par exemple, en meilleure santé. Calories consommées et brûlées, pression artérielle, taux de glycémie, nombre de pas réalisés ou de mètres grimpés. Nous pouvons désormais mesurer à peu près tout sur un appareil qui tient dans la main. Obtenir ce que nous voulons d’un simple geste sur un écran est devenu une habitude de plus en plus marquée, et les développeurs d’applications, conscients de cette tendance, font tout pour répondre à la demande et l’alimenter », explique Taha Hussein, sociologue. Celui-ci ne manque pas l’occasion d’apprécier Chefaa, cette application numérique qui permet aux patients d’échanger avec les pharmaciens, de commander des médicaments et de les recevoir à leur porte. « Afin de passer commande, l’utilisateur doit scanner son ordonnance grâce à l’application, sélectionner la pharmacie la plus proche de sa résidence, sélectionner le lieu de livraison et choisir le mode de paiement », affirme Doaa Aref, présidente et directrice générale de la start-up Chefaa, téléchargeable sur App Store et Google Play, qu’elle a fondée en 2017 et qui revendique déjà 75 000 utilisateurs en Egypte.
Une application qui a résolu le problème de Nermine Mostafa, une patiente atteinte de cancer, qui vit seule et qui trouvait de difficultés à se déplacer pour procurer ses médicaments. « Grâce à cette application, je reçois, aujourd’hui, mon traitement mensuel à temps et en toute sécurité », confie-t-elle.
Vatrina est une application qui vise à réduire les déchets liés à l’industrie de la mode prêt-à-porter pour en faire une industrie plus durable.
Bénévolat et philanthropie
Cependant si les apps et la technologie mobile sont devenues le raccourci pour de nombreux domaines tels que l’alimentation, les transports ou la santé, elles ne sont pas encore très utilisées pour suivre les dons. Raison pour laquelle l’application intitulée Hassala (tirelire) a été créée pour aider les gens à faire un don à un projet spécifique au sein d’une ONG plutôt que de faire simplement un don à l’ONG elle-même. Les utilisateurs reçoivent des mises à jour des ONG afin qu’ils puissent voir l’impact de leurs dons.
L’idée est venue au fondateur Cherif Fawzi alors qu’il travaillait pour une ONG qui collectait des fonds pour une fille qui avait eu un accident. Fawzi et son équipe se sont assurés que les donateurs savaient très clairement où allait leur argent et comment il aidait, et ensuite, ils se sont rendu compte à quel point c’était une anomalie de ne pas prêter ce genre d’attention aux détails après que l’argent a été payé. Il est à noter que l’équipe de Hassala a remporté le premier prix du Mobile App Launchpad Program (MAL) à savoir 20 000 dollars, lancé par Google, la plateforme d’apprentissage en ligne Udacity et le ministère égyptien des Télécommunications et de la Technologie de l’information. Et ce, pour avoir utilisé le mobile pour rendre la philanthropie occasionnelle plus transparente.
Et ce n’est pas tout. Parfois les meilleures idées viennent dans les moments difficiles. C’est ce qui s’est passé suite à la pandémie du Covid-19, lorsque le ministère de l’Education et de l’Enseignement technique a lancé la plateforme Madrassetna plus (notre école +) pour numériser le programme éducatif. Et, à cet égard, il ne faut pas oublier l’application éducative Al-Adwaa (lumières), lancée par la maison d’édition Nahdet Misr. Cette boîte pédagogique complète couvre les programmes du ministère égyptien de l’Education, de la 4e à la 12e année. « Depuis plus de 20 ans, la fondation s’est efforcée d’accompagner l’évolution technologique, du lancement des CD en 1998 au lancement d’un site Internet et, plus récemment, au lancement d’une application basée sur la technologie de l’intelligence artificielle », explique Dalia Ibrahim, présidente de la maison d’édition. Selon elle, cette application est basée sur la taxonomie de Bloom (étude-pratique-test-évaluation) conçue pour aider les élèves à étudier leurs leçons de manière simple. « L’apprentissage mixte et la combinaison d’un livre papier et d’une technologie éducative offrent à l’étudiant une expérience d’apprentissage intégrée. En plus, l’idée qui prévaut à l’échelle mondiale est maintenant la multiplicité des sources et des méthodes d’apprentissage, que nous fournissons à travers les services intégrés de la série d’Al-Adwaa. Ce qui nous a également incités à introduire la fonction de code intelligent pour la première fois en Egypte, qui relie le livre imprimé à l’application », conclut Ibrahim.
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