Avec l’avènement du Ramadan en Egypte, tous les regards se tournent vers les différentes mosquées où s’activent les cérémonies de lecture collective du Saint Coran. Une destination spirituelle qui bat tous les records d’affluence durant ce mois sacré. La scène se déroule dans une mosquée située au quartier de Sayéda Zeinab, au Caire. A l’intérieur, une douce odeur d’encens remplit l’air, créant une atmosphère spirituelle paisible et sereine, alors que les derniers fidèles se pressent pour assister à la maqraä, un cercle d’apprentissage du Coran. Un groupe d’une dizaine d’hommes, tous âges confondus, occupe déjà le lieu après la prière de l’aube. Assis en cercle et tenant chacun un moshaf à la main, ils psalmodient ensemble les versets. Puis, chacun, à tour de rôle, commence à réciter à haute voix certains versets du Coran, tout en respectant les règles de tajwid (science de l’orthoépie).
Engouement des femmes pour l’apprentissage du Coran.
« Chaque fois que des gens se réunissent dans une maison d’Allah pour lire et étudier ensemble le livre d’Allah, la quiétude leur est procurée, les anges viennent les encadrer, la miséricorde leur est accordée, et Allah les mentionne devant Son entourage », répète Hicham Mostafa le hadith du prophète Mohamad (paix et salut sur lui). Cet ingénieur de 48 ans tient à ne pas rater d’assister à la maqraä non seulement au mois du Ramadan, mais aussi durant toute l’année. Et ce, pour réciter le Coran, et surtout pour apaiser son coeur. « C’est un autre monde qui s’est ouvert à moi ! Le Coran est le seul moyen de surmonter notre peur et anxiété, le remède à tous nos maux intérieurs, une protection contre le malheur, l’égarement et les tentations pendant les périodes de troubles », explique-t-il. Idem pour Alaa Zidane, un dentiste dont la vie a changé après avoir suivi des cours de récitation du Coran. Selon ce quinquagénaire qui assiste à la séance d’articulation (makhraj), la mémorisation du Coran est un processus qui requiert dévouement, cohérence et établissement d’une habitude quotidienne pour mémoriser le Coran. « La voix entraînée, sûre et le rythme régulier de la récitation du Coran de mon cheikh font découvrir à mon corps et à mon âme une sensation inégalable. Une sorte de transport en dehors du temps et de l’espace », lance-t-il.
Les maqraäs jouent un rôle important dans l’ancrage du référent religieux. (Photo : Hachem Aboul-Amayem)
Une psalmodie rythmée d’intenses moments d’émotions qui ont apaisé et créé une sensation de bien-être chez Hassan Saleh, ingénieur de 29 ans qui dit ne pas se contenter uniquement du Ramadan pour pratiquer sa religion, à l’instar de son ami Hamza Khaled. Répétition, mémorisation, psalmodies occupent l’essentiel de leurs matinées, depuis 4h du matin, pour la première prière, jusqu’à 8h. Un exercice qui demande discipline, dévotion et concentration. Tous deux sont toutefois unanimes sur une chose : c’est uniquement pendant le Ramadan qu’ils ont de pareilles occasions de se rapprocher de leur Seigneur par la psalmodie coranique et les rituels du zikr et de panégyriques.
De l’assiduité
Autre scène, autre image. Situé dans la province de Belbeis dépendant du gouvernorat de Charqiya, le village Anchas Al-Raml est réputé pour l’apprentissage du Coran. Chaque foyer compte deux ou trois hafazas (récitateurs du Coran). Le jeune garçon au visage rayonnant et au sourire candide est sous les feux de la rampe. Il s’appelle Abdallah Ammar et est devenu une véritable star. Pourquoi pas ? Puisque ce jeune de 14 ans est un récitateur plurilingue du Coran, il a réussi à mémoriser le Coran en arabe, anglais et français en seulement trois mois. Abdallah est malvoyant, mais cela ne l’a pas empêché d’exceller dans la mémorisation du Coran avec même les chiffres des versets, des parties et des pages et aussi avec les différentes récitations, ainsi que de remporter le premier prix dans le Concours mondial du Coran en 2018. « Le kottab a joué un rôle crucial dans la réussite de mon fils. Cette école coranique traditionnelle enseigne aux enfants la mémorisation du Coran avec des méthodes éprouvées depuis des siècles. Les enseignants répètent les versets avec les enfants jusqu’à ce qu’ils les apprennent parfaitement, puis ils passent aux versets suivants. Cette méthode de mémorisation par répétition et apprentissage par coeur est très efficace pour les enfants », souligne son père, un enseignant de langue anglaise.
Le kottab était le seul lieu d’éducation jusqu’en 1923, lorsque l’enseignement scolaire a fait ses débuts en Egypte. (Photo : Hachem Aboul-Amayem)
L’Egypte a, depuis les premiers siècles de l’hégire, vivement encouragé la mémorisation et la récitation du Saint Coran. En effet, les cercles d’apprentissage du Coran sont une tradition ancrée dans la culture religieuse égyptienne. L’origine de ces cercles d’étude remonte aux premiers jours de l’islam. Le prophète Mohamad (paix et salut sur lui) se réunissait souvent avec ses disciples pour lire et discuter des enseignements du Coran. Cette pratique s’est poursuivie tout au long de l’histoire islamique et a été adoptée par les musulmans en Egypte. Au Xe siècle, Al-Chaféï, un érudit renommé, a souligné l’importance de la lecture et de la compréhension du Coran. Ses enseignements ont contribué à populariser la pratique des cercles de lecture collectifs en Egypte. Ces cercles d’étude sont également connus sous le nom de « maqraä », « école coranique ou kottab », assurant aux enfants, dès l’âge de 5 ans, une formation fondée sur la mémorisation des sourates du Coran. C’était le seul lieu pour l’éducation jusqu’en 1923, époque où les écoles ont ouvert leurs portes. Les kottabs datent de l’époque omeyyade. Leur nombre s’est multiplié en 1890 pour atteindre le chiffre de 9 000, avec 180 000 élèves qui devaient apprendre le Coran, la langue arabe et les règles élémentaires de mathématiques.
La récitation coranique, un art et une discipline de fer. (Photo : Hachem Aboul-Amayem)
Du kottab à l’apprentissage en ligne
Avec les années et l’introduction des nouvelles écoles modernes, les kottabs ont commencé à perdre de leur éclat. Pourtant, le Coran a été toujours présent et occupait une place importante dans la vie des Egyptiens.
Au fil des ans, le nombre de ces cercles a augmenté, en particulier au cours du XXe siècle. Ils ont une place particulière dans la vie des communautés musulmanes égyptiennes et sont souvent animés par des imams ou des enseignants religieux. D’après le cheikh Mohamad Hachad, président du syndicat des Récitateurs, il existe aujourd’hui 2 720 maqraäs, réparties dans les grandes mosquées. « Aujourd’hui, ces cercles de lecture collectifs ont connu un développement remarquable, passant de simples réunions d’étude à des maqraäs spécialisées dans l’étude du Coran. Ils se concentrent sur la lecture et l’interprétation du Coran, ainsi que sur l’étude de la jurisprudence islamique, de la théologie et de la biographie du prophète Mohamad », dit-il, tout en ajoutant que le ministère des Waqfs vise à faire revivre l’esprit de l’école coranique égyptienne, en augmentant le nombre des maqraäs au sein des différentes mosquées et en les évoluant, afin de s’adapter aux exigences du monde contemporain. Un avis partagé par Ali Ramez, cheikh de la maqraä, qui appelle au retour des kottabs. « Ces maqraäs sont un moyen de transmettre la culture et les traditions islamiques aux jeunes générations. Il faut donc encourager les jeunes à rejoindre ces cercles dès leur plus jeune âge pour apprendre le Coran et les valeurs de leur religion », affirme-t-il.
L’Egypte compte 2 720 maqraäs, réparties dans les grandes mosquées du pays.
Aujourd’hui, avec l’avènement d’Internet et des technologies numériques et suite à la pandémie de Covid-19, des maqraäs en ligne ont fait leur apparition, permettant à des milliers d’étudiants dans le monde entier d’apprendre le Coran à leur propre rythme et de suivre les cours où qu’ils se trouvent. La séance ne diffère pas de la maqraä traditionnelle, elle commence par la récitation d’une courte prière et la sélection d’un passage du Coran à lire. Chaque participant lit à tour de rôle à haute voix, puis partage ses réflexions et ses interprétations sur la section lue. Pourtant, une solution idéale pour ceux qui cherchent à apprendre le Coran tout en jonglant avec un emploi du temps chargé, sans avoir à se soucier des contraintes de temps et d’horaire. Tel est le cas de Fatima, diplômée de la faculté des lettres, elle a rejoint des maqraäs en ligne et a réussi en trois ans à achever sa formation de la lecture du Coran. « J’ai commencé par apprendre les bases de la lecture du Coran qui consiste à prononcer correctement tout en appliquant avec perfection les règles du tajwid (réciter correctement les mots et versets du Coran par l’embellissement de la lecture, l’accentuation et la modulation de la voix), puis j’ai progressé vers des chapitres plus avancés. Au fil du temps, j’ai été en mesure de réciter les versets du Coran avec précision et de comprendre leur signification », souligne Fatima, qui a obtenu une igaza (assentiment) et sanad (confiance absolue) pour devenir récitatrice du Coran.
Cependant, certains soutiennent que les maqraäs en ligne ne peuvent pas remplacer l’expérience de se rassembler physiquement avec d’autres étudiants pour discuter et étudier ensemble. « Les cercles physiques offrent un environnement plus immersif et une expérience plus sociale, où les participants peuvent interagir en personne et tisser des liens plus forts », dit Adel Abdel-Rahmane, fonctionnaire qui joint une maqraä traditionnelle depuis cinq ans.
En fin de compte, qu’ils soient organisés en ligne ou physiquement, les cercles d’apprentissage du Coran continuent de jouer un rôle important dans la vie spirituelle et communautaire des musulmans en Egypte et dans le monde entier. Ils permettent aux gens de se connecter avec la tradition du Coran, de développer leur compréhension des enseignements de l’islam et de renforcer leur foi et leur connexion avec Dieu.
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