« Quand je serai grande, je serai mère au foyer ». Tout simplement ! Tel était le rêve de Nardine Adel, qui a toujours voulu être épouse et mère. A peine 29 ans, la jeune femme, ingénieure titulaire d’un master, est déjà à la tête d’une famille composée d’une fille de 5 ans, d’un garçon de 3 ans et d’une petite de 3 mois. « Je ne regrette rien. J’ai travaillé pendant un an dans une entreprise privée mais j’ai compris que ce n’était pas mon monde. J’ai trouvé mon épanouissement dans ce que j’aime appeler un vrai métier, car ce qui compte le plus pour moi, c’est la famille et la sérénité », lance-telle. Idem pour Rania Hani, 35 ans, qui n’était pas destinée à être mère au foyer. Elle a tranché entre son travail dans une banque et sa vie de famille. « Le travail ne m’a jamais manqué. Je désirais passer plus de temps avec mes filles, me consacrer à leur éducation et leur instruction. J’en avais marre de courir partout comme une folle : se lever, manger à toute vitesse, amener les enfants à l’école ou à la garderie, aller au boulot, récupérer les enfants, faire les courses, préparer le repas … Un rythme d’enfer. Mon esprit avait besoin de calme et de recul, mon corps de repos et de détente ».
Quant à Dina Hani, 32 ans, il lui arrive de regretter parfois son choix et ce sacrifice qu’elle a fait pour sa famille. Talons hauts, téléphone vissé à la main, agenda surchargé, elle s’épanouissait dans son métier de speakerine, jusqu’au jour où elle est devenue maman. C’est alors que toute sa vie a changé. « Etre mère au foyer, ce n’est pas de tout repos ! Ma journée, c’est du non-stop. Il n’y a pas de journée off, pas de déjeuner sans enfants, pas de moments de calme. Aujourd’hui, difficile pour moi de me trouver un moment pour me faire belle et continuer à me sentir femme », raconte-t-elle, tout en affirmant que la surcharge de travail n’est pas l’apanage des femmes actives et que les femmes au foyer peuvent être aussi débordées et se sentir au bord du burn out. Pour ne pas vivre en décalage ou se couper de tout réseau, Dina a recours au monde du réseau. « Sur le forum, j’échange mes secrets de la vie domestique, de la cuisine à la lessive, à planifier les tâches ménagères, à faire du fitness, je retouche des photos, j’alimente mon blog ! », déclare-t-elle.
Des cas très divers
En effet, le terme femme au foyer revêt aujourd’hui un sens différent. Il y a à peine 50 ans, la norme pour les femmes était de rester à la maison afin de s’occuper de leurs enfants, ainsi que de toute la logistique domestique (cuisine, ménage, courses, etc.). De nos jours, il s’agit plutôt d’un choix. Elles sont appelées « les nouvelles femmes au foyer ». Mais à la différence de leurs grands-mères, ces nouvelles mères au foyer sont diplômées et certaines ont même fait des études supérieures. Ces dernières ont tourné le dos au marché du travail, définitivement ou provisoirement, et ont adopté un mode de vie qui s’inscrit dans le « prendre soin » plutôt que dans la soumission au conjoint. Autrement dit, mère au foyer diplômée et entrepreneuse, femmes au foyer seulement pour un temps, dans la réalité, le phénomène est aujourd’hui plus diffus et disparate qu’on l’imagine, avec des cas très diversifiés.
Cependant, avec tout le chemin parcouru historiquement dans l’émancipation des femmes, des féministes pourraient croire que choisir délibérément de demeurer mère au foyer en 2023 est un retour à de vieilles idéologies. « Les femmes se sont battues pour avoir le droit de travailler, alors vouloir s’arrêter de travailler c’est un peu faire marche arrière et renoncer à un droit durement acquis », confirme May Mandour, une activiste. D’autres estiment que ce choix à contre-courant, parfois perçu comme un recul, n’est pas compatible avec les concepts de liberté et d’égalité homme-femme.
Travail à plein temps versus travail dévalorisé
C’est tout simplement par choix que certaines femmes décident de se consacrer entièrement à leurs familles en étant mères au foyer. Un rôle valorisant qui n’a pas de prix ! Il est sans horaires, sans vacances, sans salaire et sans reconnaissance. Malheureusement, être mère au foyer est aujourd’hui souvent mal vu. Taxées de ne pas savoir cumuler vie professionnelle et familiale, d’être oisives, dépendantes de leur mari, ces mères, qui auraient incarné, à l’époque de nos grandmères, la femme parfaite, sont aujourd’hui soumises au jugement d’autrui. « Aujourd’hui, être une maman au foyer est une chance, mais c’est aussi compliqué. On est sans cesse jugées, critiquées par la société qui veut que l’on soit à la fois mère, femme, amante et que l’on travaille en même temps, sans jamais craquer », affirme Donia Abdallah, coach en développement personnel. Selon elle, ce n’est pas facile d’être maman. La femme est sans cesse tiraillée entre sa vie personnelle, professionnelle et le bien-être de sa famille. Quand elle travaille, elle culpabilise de ne pas passer assez de temps avec ses enfants. Quand elle est au foyer, elle culpabilise de ne pas travailler et gagner de l’argent. Quand elle travaille, ses enfants lui manquent. Quand elle est au foyer, ses collègues et la vie professionnelle lui manquent. Quand elle travaille, elle rêve de vacances et de passer un peu plus de temps avec ses enfants. Quand elle est au foyer, elle rêve des vacances et de prendre un peu de temps pour elle-même. L’idéal serait de pouvoir travailler tout en s’occupant de ses enfants, faisant des concessions d’un côté ou de l’autre.
Une expérience ambivalente
La sociologue Amal Radwane pense que l’expérience de mère au foyer est ambigüe et souvent difficile à exprimer clairement face aux préjugés et aux multiples débats se creusant entre les mamans qui se consacrent à leur travail et celles qui font le choix de se consacrer à leurs enfants. L’idée n’est pas de débattre sur le sujet maman active au travail vs maman active au foyer ! « Il arrive de plus en plus que les femmes passent d’un statut à l’autre quand le besoin ou la nécessité se fait sentir. Ainsi, l’expérience de maman au foyer ne peut pas être vécue de la même façon selon chacune. Sans oublier que les tâches non rémunérées ne sont pas valorisées socialement. Une mère qui s’arrête de travailler aujourd’hui est vue comme une femme qui n’arrive pas à tout concilier », soulignet- elle, tout en expliquant cela par le fait que l’émancipation des femmes est récente. Il y a peut-être une angoisse du retour en arrière. D’ailleurs, ce sont souvent les femmes qui ont un regard négatif sur les femmes au foyer.
Taxées d’être trop carriéristes et d’être de mauvaises mères quand elles travaillent, considérées comme des femmes soumises, voire aliénées à leurs enfants quand elles restent au foyer, les mamans ne savent parfois plus sur quel pied danser. Israa, mère, 39 ans, met alors en lumière ses difficultés : fatigue, solitude, charge mentale, son quotidien est surchargé plus qu’il n’y paraît. Un tabou qui perdure et lui fait également porter un fardeau, celui de la culpabilité d’être parfois à bout, alors même qu’elle n’occupe pas d’emploi. Récemment, ce constat a d’ailleurs pu être fait lors du Covid-19, où parents et enfants se sont retrouvés ensemble à cohabiter, et où la gestion quotidienne du foyer et des enfants a pu se faire sentir parfois de manière douloureuse.
Et ce, à l’encontre de Sawsan Nabil, comptable, qui estime qu’il n’y a rien de pire que la dépendance, surtout qu’aujourd’hui, le comportement des hommes a changé et rien n’assure que l’amour durera. L’Egypte se classe, selon l’Onu, au premier rang à travers le monde en matière de divorce. Toutes les deux minutes, un couple se sépare. « L’idéal de l’amour conjugal comporte des risques, surtout pour les femmes. Autrefois, le divorce n’existait pas, mais aujourd’hui, chacun doit se construire sa protection. Et pour être libre, il faut être indépendant économiquement », estime-t-elle. Bref, un choix difficile que doivent faire les femmes. Comme tant d’autres.
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