Al-Ahram Hebdo : Pourquoi avez-vous accepté de rejoindre le Dialogue national ?
Ahmed Galal: Politiquement parlant, le Dialogue national est le plus important événement en Egypte. Pendant longtemps, il n’y avait aucun dialogue entre les différents courants. Or, la meilleure méthode de régler des différends dans une société, c’est le dialogue. Je n’avais qu’à répondre à l’invitation présidentielle, même si les résultats ne sont pas garantis. Ma seule condition pour participer était que les discussions soient sérieuses. Si j’avais le choix, j’aurais demandé que le dialogue porte uniquement sur le volet politique, loin de l’économique et du social, parce que le premier est la clé des deux autres. Mais j’ai respecté l’effort déployé par le comité de préparation pendant trois ou quatre mois et le choix des volets. Pour le volet économique, ils avaient choisi huit sujets. Je leur ai proposé que le rapport final ou les recommandations soient regroupés en trois volets: le premier est comment sortir de la situation critique actuelle, c’est-à-dire comment réaliser une croissance saine, mais aussi soutenue et inclusive. Le deuxième concerne la justice sociale et l’égalité des chances. Le troisième est le volet institutionnel, qui traite des institutions chargées de la prise de décision, car nous avons un problème par exemple dans le secteur de l’électricité ou celui des télécommunications, où il y a un conflit d’intérêt résultant du fait que le fournisseur du service est aussi le régulateur.
— Comment le choix des participants a-t-il été réalisé ? Et comment garantir l’efficacité du dialogue ?
— En ce qui concerne le choix des membres de chaque sous-comité, j’ai proposé que les 30 participants de chaque sous-comité soient partagés comme suit: 10 participants pour représenter le groupe des « pour », 10 pour les « contre » et 10 experts. Chaque groupe nomme une seule personne pour présenter ses idées. Alors que les experts sont nommés par consensus. Le « courant civil » (regroupant les opposants) avait déjà choisi ses membres avant que je ne rejoigne le dialogue.
Je répète toujours un proverbe américain qui dit que mieux vaut offrir une réponse imparfaite à une question correcte que de répondre parfaitement à une question incorrecte. Donc, j’ai passé un bon moment avec mes collègues les secrétaires des sous-comités pour mettre les bonnes questions. Ma mission, comme je la comprends, est de faciliter le dialogue entre les différentes parties et les aider à formuler les questions correctes.
— Comment voyez-vous la conjoncture économique actuelle ?
— La situation actuelle résulte des politiques internes et non seulement des facteurs extérieurs. Vrai, la conjoncture externe affecte l’économie, mais il faut porter une attention aux politiques d’allocation des ressources et aux politiques budgétaires. Ces politiques peuvent mener à un meilleur équilibre budgétaire et à une croissance relativement élevée moyennant une redistribution juste. Les facteurs exogènes, comme la hausse des taux d’intérêt aux Etats-Unis ou encore la guerre en Ukraine, sont des circonstances auxquelles font face tous les pays en développement. La question est comment réaliser une percée dans nos trois grands dossiers. L’économie est-elle capable d’absorber les chocs avec le minimum d’impacts négatifs ? C’est donc en fin de compte une question de politique interne. Sur le plan de la politique monétaire, nous avons beaucoup d’objectifs et il est très difficile de les réaliser tous. Sur le plan des politiques budgétaires, l’objectif ne doit pas être l’équilibre budgétaire, mais plutôt la réanimation de l’économie, ainsi que la redistribution des ressources. En ce qui concerne la structure de l’économie et la productivité, prenons l’industrie comme exemple, nous avons un système qui favorise les secteurs des constructions et du logement au détriment du secteur industriel. Les exemptions fiscales ne doivent pas être distribuées gratuitement et ne doivent pas être universelles (offertes à tous les secteurs). Prenons l’exemple des tarifs douaniers, ceux-ci sont conçus de manière à protéger les petites industries d’assemblage, mais sans les inciter à grandir. L’industrie automobile est un exemple clair. Nous avons des tarifs élevés sur certains véhicules, qui protègent le marché contre la concurrence étrangère et qui font que le prix local d’un véhicule est élevé. L’industrie dans ce secteur vise le marché local uniquement et dégage de grands profits à partir d’un chiffre d’affaires très limité. C’est très différent du modèle marocain où les politiques industrielles encouragent désormais l’industrie destinée à l’exportation et les encouragent ainsi à grandir.
Sur le plan de l’égalité des chances, il ne faut pas se limiter à Takafol et Karama. Ce sont des programmes très réussis, mais il faut savoir que le concept de la justice sociale va bien au-delà des aides en espèces aux plus démunis. Quand le gouvernement opte pour la participation du secteur privé dans le secteur de la santé ou de l’éducation, cela signifie que l’éducation de qualité ne sera offerte qu’à ceux qui peuvent payer, et non pas à toute la population.
— Quelle est l’économie de demain que vous rêvez de créer à travers ce dialogue ?
— Je ne veux pas anticiper les résultats du dialogue ou imposer ma vision. Ma mission est d’aider tout le monde à déplacer l’économie du point A vers le point B à travers un changement sur trois niveaux: un plus grand gâteau, un climat institutionnel plus transparent, plus efficace et sans conflit d’intérêt, et enfin, la justice sociale et l’égalité des chances.
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