Jeudi, 14 novembre 2024
Al-Ahram Hebdo > Economie >

Une arme à double tranchant

Amani Gamal El Din , Mercredi, 20 juillet 2022

Pour la première fois, le dollar atteint une parité avec l’euro. Un développement qui aura des répercussions sur le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, dont l’Egypte.

Une arme à double tranchant
La dépréciation de l’euro face au dollar exercera des pressions sur les économies de la région. (Photo : Reuters)

Dans la journée du 12 juillet 2022, les tribunes économiques des journaux, les bulletins d’informations, les sites Web spécialisés jusqu’aux médias sociaux ont titré en gros l’information sur la parité du dollar avec l’euro, pour la première fois depuis la circulation de la monnaie de la zone euro il y a 20 ans. La monnaie européenne, qui s’est dépréciée de 14% depuis le début de l’année, s’est échangée à un dollar en raison des perspectives moroses de croissance de l’Europe, avec la possibilité d’un arrêt des approvisionnements de gaz russe. Depuis, cette parité est toujours en place. La Commission européenne, qui est l’arme exécutive de l’Union européenne, a revu à la baisse les perspectives de croissance de la zone euro en 2022 à 2,7% contre 4 % prévus en février dernier. Selon le quotidien Le Monde, les marchés s’inquiètent d’une crise énergétique majeure sur le vieux continent. « Cette situation accentue les craintes de récession en Europe, car le gaz acheminé par la Russie à l’Europe constitue 40 % de ses besoins », a écrit le journal.

« La chute de l’euro face au dollar n’a rien de surprenant ; elle était graduelle depuis le début de la guerre de la Russie. L’euro, qui valait un dollar et 15 centimes, a perdu 14% de sa valeur. Il est le reflet d’une crise mondiale complexe », explique Hussein Suleiman, macro-analyste au Centre des Etudes Politiques et Stratégiques (CEPS) d’Al-Ahram. Mohamed Shadi, macro-économiste au Centre égyptien de la pensée et des études stratégiques, a, quant à lui, expliqué que le dollar a atteint samedi 16 juillet son plus haut niveau, soit 107 selon l’indice US dollar index. Cet indice mesure la valeur du dollar en fonction d’un panier de 6 devises, parmi lesquelles l’euro, le yen, le dollar canadien, la livre sterling, la krona suédoise et le franc suisse. Selon les analystes de cet indice, il est prévu que la valeur du dollar connaitra une hausse jusqu’à 108 dans les jours qui viennent.

Récession en Egypte

Une autre raison essentielle est l’inflation mondiale galopante et l’hésitation de la Banque Centrale européenne à revoir à la hausse les taux d’intérêt directeurs, contredisant ainsi la politique monétaire des Etats-Unis qui les a augmentés 3 fois dans la première moitié de 2022, deux autres hausses sont prévues pendant la deuxième moitié de l’année. « L’inflation mondiale galopante devrait générer des répercussions négatives et provoquer une récession jamais vue en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale. Ceci s’est déjà fait sentir sur l’économie de l’Allemagne, qui est la locomotive du développement européen. D’autant qu’elle dépend plus que les autres Etats de l’énergie russe », relève Hussein. Selon la Commission européenne, l’on s’attend à ce que l’inflation de la zone euro atteigne 7,6% en 2022, alors que les estimations de mai prévoyaient 6,1 %.

La troisième raison qui explique la baisse de l’euro face au billet vert est la hausse des cours mondiaux de l’énergie. « Tout ceci entraînera plus de dépréciation de l’euro, sauf si le rythme des exportations européennes moins chères s’accentue vers les différentes régions du monde. D’autant que la zone euro est la deuxième région au monde au niveau des exportations après la Chine et le troisième importateur mondial après la Chine et les Etats-Unis », note Fawaz Al-Alamy, expert en commerce dans une intervention à la chaîne Al-Arabiya.

L’impact sur la région

La parité euro-dollar, ou bien sa dépréciation face au dollar, est une arme à double tranchant. Comme l’explique Mohamed Shadi: « Avec chaque hausse des taux d’intérêt par le Fédéral américain, la valeur du dollar augmente parce que les investissements étrangers directs ainsi que les détenteurs des titres publics se retirent du monde et s’orientent vers les Etats-Unis (hot money) ». Selon Shadi, la Banque Centrale européenne doit considérer une hausse des taux d’intérêt, d’autant que le Fédéral compte augmenter de 100 points, fin juillet. Sinon, la zone euro, surtout l’Italie et la Grèce, sera confrontée à deux mauvais scénarios: une crise immobilière à l’instar de la crise financière des Subprimes de 2008, et les dettes souveraines deviendront très coûteuses. « Il y aura certes des pressions sur la livre égyptienne. Mais la force du dollar augmentera, par exemple, les revenus du Canal de Suez. Les achats d’actifs égyptiens se multiplieront parce que leur valeur diminuera et les investissements étrangers directs afflueront », déclare-t-il.

Suleiman apporte un avis plus conservateur, selon lequel l’Egypte et les pays du Sud de la Méditerranée et de l’Afrique du Nord ressentiront des impacts, parce que l’Union européenne est leur premier partenaire commercial, et les relations économiques et commerciales avec elle dépassent de loin les autres partenaires comme les Etats-Unis, la Chine ou encore le commerce intra-africain. L’expert explique à Al-Ahram Hebdo que le recul du pouvoir d’achat de l’euro, dû à sa dépréciation face au dollar en plus de la récession qui continuera jusqu’en 2023 accompagnée du ralentissement de la croissance économique de la zone euro, entraînera une régression de la demande européenne de tous les produits et services en provenance de ces régions. « L’Egypte peut connaître un recul rapide non seulement du tourisme européen, mais également de la demandes européenne sur les produits en provenance de l’Egypte, parmi lesquels les produits alimentaires, certains entrants de production ainsi que le textile et le prêt-à-porter. Ceci s’applique aussi à la Tunisie, à l’Algérie et au Maroc, et ne fera qu’accentuer l’inflation dans les mois qui viennent. On verra un manque de certains produits comme les produits pharmaceutiques et alimentaires. Bref, le poids de l’Union européenne comme partenaire commercial sera négativement influencé », conclut Hussein.

Lien court:

 

En Kiosque
Abonnez-vous
Journal papier / édition numérique