La guerre Russie-Ukraine a laissé ses traces sur l’économie de l’Afrique qui dépend fortement des deux pays impliqués dans le conflit pour les produits agricoles comme pour de nombreuses autres matières premières. Dès le début de la guerre, les cours de pétrole ont atteint leur plus haut niveau depuis dix ans, à plus de 100 dollars le baril, alors que les prix des denrées alimentaires ont monté en flèche. Les prix n’avaient jamais été aussi hauts d’après l’indice de l’Organisation des Nations-Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO). Au Malawi, par exemple, les prix du pain et de l’huile de cuisson ont augmenté d’environ 50%. Le Kenya, troisième économie d’Afrique subsaharienne, importe habituellement un cinquième de ses céréales de Russie et 10% d’Ukraine, selon les chiffres officiels. Les huiles de tournesol représentent 35 % des biens alimentaires importés en Afrique. « La guerre en Ukraine signifie la faim en Afrique », a déploré la directrice générale du FMI, Kristalina Georgieva.
La flambée récente des prix des denrées alimentaires en raison de la guerre aggravera l’insécurité alimentaire déjà présente en Afrique de l’Ouest et dans le Sahel. La situation est, aujourd’hui, telle que l’Onu redoute « un ouragan de famines » dans les pays africains qui importaient plus de la moitié de leur blé d’Ukraine ou de Russie. « La situation de la sécurité alimentaire, 100 jours après l’invasion russe en Ukraine, est préoccupante notamment dans la région de la Corne de l’Afrique, qui souffre de la plus longue sécheresse depuis quatre décennies. C’est la flambée des prix plutôt qu’une pénurie réelle des produits de première nécessité qui devrait se manifester en premier », souligne Mostafa Badra, professeur de finances et d’investissement à l’Université du Caire. Et d’ajouter: « Les pays africains sont inquiets de cette guerre qui ne les concerne pas et trouvent que c’est injuste de payer un prix aussi élevé. Ils sont toujours les victimes chaque fois qu’une guerre éclate ici ou là dans le monde. Cette inquiétude est surtout pour la sécurité alimentaire, puisque l’Ukraine et la Russie sont les principaux fournisseurs de blé et de céréales pour l’Afrique ».
Outre le secteur alimentaire, la dépendance vis-à-vis de la Russie et de l’Ukraine est encore similaire pour les combustibles minéraux, les produits chimiques, le soufre, les engrais essentiels à la production agricole ou encore les matériaux en fer, acier ou cuivre dont le continent a besoin pour ses infrastructures. La Banque Africaine de Développement (BAD), qui vient de publier ses Perspectives économiques pour l’Afrique en 2022, dresse un tableau sombre et prévoit le pire. « Les perturbations économiques résultant de la guerre russo-ukrainienne pourraient plonger 1,8 million de personnes sur le continent africain dans l’extrême pauvreté en 2022. Ce nombre pourrait augmenter de 2,1 millions supplémentaires en 2023 », prévoit le rapport publié en marge des assemblées générales de l’institution panafricaine qui se sont tenues du 23 au 27 mai à Accra, au Ghana, avec comme thème « Favoriser la résilience climatique et une transition énergétique juste pour l’Afrique ».
La publication des Perspectives économiques en Afrique 2022 intervient dans un contexte de deux crises mondiales majeures: la pandémie persistante de Covid-19 et le conflit russo-ukrainien. Ce dernier a éclaté alors que l’économie africaine était sur la voie de la reprise après l’impact dévastateur de la pandémie, et il menace de faire reculer les perspectives économiques prometteuses du continent. « La croissance du PIB réel de l’Afrique devrait ralentir à 4,1% en 2022, contre 6,9% en 2021, en grande partie en raison des effets néfastes de la pandémie persistante de Covid-19 et du déclenchement du conflit russo-ukrainien », indique le document.
Recul des trajectoires de croissance
Les perturbations dans les secteurs de l’agriculture, des engrais et de l’énergie, à la suite du conflit russo-ukrainien et des sanctions correspondantes sur le commerce avec la Russie, ont fait pencher la balance des risques pesant sur les perspectives économiques de l’Afrique vers le bas.
Le secteur des services, en particulier le tourisme, a montré une forte reprise post-pandémique et devrait rester dynamique à moyen terme, soutenue par l’industrie (en particulier dans les mines) et par la flambée des prix des métaux. Le faible déploiement de la vaccination contre le Covid-19 en Afrique, les vulnérabilités persistantes de la dette souveraine, les niveaux d’endettement élevés et les préoccupations climatiques et environnementales restent les principales menaces pour les trajectoires de croissance à moyen et long terme. « Les populations vulnérables, en particulier dans les zones urbaines, porteront le plus lourd fardeau de la hausse des prix des denrées alimentaires et de l’énergie, et en l’absence de mesures pour amortir l’impact, cela pourrait attiser les tensions sociales à travers le continent. Une réponse politique anticyclique urgente, telle que des subventions pour atténuer l’impact des coûts alimentaires et énergétiques plus élevés, est donc nécessaire », recommande le rapport.
C’est pour cette raison que Macky Sall, président du Sénégal et de l’Union Africaine (UA), s’est rendu, officiellement, en Russie le 3 juin pour contribuer à l’accalmie dans la guerre en Ukraine et à la libération des stocks de céréales et de fertilisants dont le blocage affecte particulièrement les pays africains. « Je suis venu vous voir pour vous demander de prendre conscience que nos pays africains sont des victimes de cette crise au plan économique », a-t-il déclaré au début de sa rencontre avec le président russe, Vladimir Poutine, à Sotchi, au sud de la Russie.
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