Cannes,
De notre envoyé spécial
Le festival de Cannes retrouve son calendrier habituel et mise pour sa 75e édition sur un retour à la normale ou presque. Néanmoins, Thierry Frémaux, délégué général du festival, a précisé que « la sélection a été difficile à établir, car le cinéma mondial doit se remettre en place ». A la suite d’une édition 2021 gargantuesque en nombre d’oeuvres présentées — près d’une centaine — 21 films ont été finalement retenus cette année pour intégrer la compétition officielle. Cette 75e édition ne déroge pas à la règle de l’habile mélange entre réalisateurs confirmés et récompensés par le passé à Cannes et nouveaux venus poussant la porte et armés de grandes ambitions.
Dans la première catégorie, on retrouve quatre réalisateurs récipiendaires de la Palme d’or, tels les frères belges Jean-Pierre et Luc Dardenne, Francis Ford Coppola et Michael Haneke. Le nouveau film des frères Dardenne, Tori et Lokita, tourne son regard sur les jeunes adolescents issus d’Afrique et leur intégration dans la société belge. C’est un casting de visage frais, car la majorité des comédiens sont des non-professionnels. Et pour Hirokazu Kore-eda, son nouveau film Broker a été une occasion de tourner en Corée du Sud et de parler des boîtes existantes là-bas, où des parents peuvent déposer leur enfant pour qu’il soit adopté par une famille de substitution. L’auteur japonais n’a de cesse d’analyser les différentes formes de familles, qu’elles soient naturelles ou de circonstance, au sein de problématiques en apparence simples mais terriblement complexes.
Nouveaux espoirs
On retrouve ensuite une catégorie qu’on peut appeler « intermédiaire », faite de cinéastes habitués de l’événement, jamais primés jusqu’ici, mais ils ambitionnent d’être récompensés par la plus haute distinction. Le premier d’entre eux est sans doute Kirill Serebrennikov, enfin débarrassé de son assignation à résidence qui l’avait empêché de venir présenter Leto en 2018 et La Fièvre de Petrov en 2021. Son nouveau projet, La Femme de Tchaïkovski s’intéresse aux amours tumultueux du couple du célèbre compositeur russe Tchaïkovski et Antonina Milioukovas, son épouse. Cette dernière sombre dans la folie après la mort de son mari à la fin du XIXe siècle. Les deux derniers long métrages du natif de Rostov en Russie ont montré tant de qualités formelles et une capacité à rebondir d’un film à l’autre, que ce nouveau long métrage n’en est que plus intrigant.
Yousry Nasrallah
En outre, Kelly Reichardt constitue l’un des talents les plus brillants de sa génération, caché par une exposition médiatique quasiment inexistante. Son film Showing Up succède donc à First Cow, un film sublime qui avait eu toutes les peines à gagner les écrans tricolores après une première diffusion sur une plateforme numérique. Le nouveau film se concentre sur une artiste après son vernissage, ainsi que sur son rapport à l’art et à ses proches, lors d’un moment charnière de sa carrière. Ali Abbasi clôt cette liste de cinéastes. Né en Iran, l’auteur vit depuis de nombreuses années en Suède. Son cinéma de nature composite reflète ses identités multiples et tire autant du côté du thriller que du conte horrifique. Son troisième long métrage Holy Spider, en compétition officielle, aborde l’histoire d’un père de famille qui se lance dans une croisade religieuse personnelle avec pour but d’éradiquer la prostitution de sa ville. Il se lance dans une série de meurtres sanglants qui donne le ton au film. Le réalisateur retourne en Iran, après 40 ans d’absence, situant son histoire à Mashhad, dans le nord du pays.
Un jury assez paritaire
Le comédien français Vincent Lindon dirige cette année le jury de la Compétition officielle. Aucune personnalité française n’avait occupé cette fonction depuis la comédienne Isabelle Huppert en 2009.
Ainsi, celui qui a remporté le prix de la meilleure interprétation masculine en 2015 remettra la Palme d’or à l’un des 21 films en compétition. « Avec mon jury, nous nous efforcerons de prendre soin au mieux des films de l’avenir, qui portent tous un même espoir secret, de courage, de loyauté et de liberté; dont la mission est d’émouvoir le plus grand nombre de femmes et d’hommes, en leur parlant de leurs blessures et de leurs joies communes. La culture aide l’âme humaine à s’élever et à espérer pour demain », a souligné Vincent Lindon. Ce dernier est entouré de huit jurés, variant entre comédiens et réalisateurs, à savoir : Rebecca Hall, Deepika, Noomi Rapace, Jasmine Trinca, Asghar Farhadi, Ladj Ly, Jeff Nichols et Joachim Trier.
Le jury de la section Un Certain Regard, quant à lui, est présidé par la comédienne italienne Valeria Golino, qui vient ainsi succéder à la cinéaste britannique Andrea Arnold, pour nous faire découvrir tant de nouveaux talents.
Z (comme Z).
Nasrallah, toujours aussi brillant
Le réalisateur égyptien Yousry Nasrallah a été choisi comme président du jury de la compétition des courts métrages. Révélé à la sélection Quinzaine des réalisateurs en 1987 avec Vols d’été, il sera entouré cette année dans sa mission de la comédienne et réalisatrice québécoise Monia Chokri, de la réalisatrice et scénariste belge Laura Wandel, du comédien et réalisateur français Félix Moati, ainsi que du documentariste, journaliste et critique français Jean-Claude Raspiengeas.
Toujours du côté présence égyptienne dans les comités de jury, le critique Ahmad Chawqi, ex-directeur artistique du Festival du Caire, a été choisi par la Fédération internationale des critiques de cinéma (FIPRESCI) afin de présider le jury des critiques membres de la FIPRESCI à cette 75e édition. Lancé dans les années 1920, ce comité est chargé de récompenser le meilleur film dans de nombreux festivals, y compris à Cannes depuis le lancement de celui-ci en 1946.
La guerre en Ukraine s’invite sur la Croisette
Caisse de résonance politique, le festival ne manque pas de faire écho à la guerre en Ukraine. D’une part, par un documentaire de Sergei Loznitsa, The Natural History of Destruction — en séance spéciale — qui évoque les bombardements subis actuellement par ce pays martyr. Et d’autre part, avec la fiction Butterfly Vision de Maksim Nakonechnyi, projetée dans la sélection Un Certain Regard. Le film, traitant du sort du Donbass, donne l’impression, selon Thierry Frémaux, « d’avoir été tourné il y a un mois ». A cet égard, le délégué général a invité le public à revoir The Search (la recherche) de Michel Hazanavicius, qui en 2014 montrait « les exactions de l’armée russe en Tchétchénie ».
Journée spéciale, le 24
Le réalisateur français Michel Hazanavicius sera également présent à cette 75e édition, mais avec un genre fort différent, puisqu’il vient de faire l’ouverture du festival avec son nouveau film Z (comme Z), une comédie qui a pour cadre le tournage d’un film de zombies, programmé hors compétition. Ce film a donné le coup d’envoi à une édition assez cérémoniale pour célébrer les 75 ans du festival. Une journée spéciale est prévue alors le 24 mai, offrant un symposium au cours duquel cinéastes, directeurs de festivals, artistes et professionnels viendront s’exprimer sur le devenir de leur art. Il s’agira de reprendre le questionnement formulé par Wim Wenders en 1982 dans son documentaire Room 666 qui interrogeait ses contemporains Godard, Spielberg, Antonioni, Herzog ... : « Le cinéma est-il un langage en train de se perdre, un art qui va mourir ? ». Pour Thierry Frémaux, non ! Et à ce dernier d’insister : « Le cinéma n’est pas mort, tout s’est renouvelé, tout se renouvelle toujours, et la sélection que nous allons vous présenter va le prouver à nouveau ! ».
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