La trentaine, toute confiante, la flûtiste Kholoud Shararra joue parmi les autres membres du sextet portant le nom de sa famille. La formation musicale, lancée en 1981 par son grand-père le violoniste Attiya Shararra (1922-2014), regroupe aujourd’hui plusieurs instruments à cordes : contrebasse, violoncelle, violon … joués par son père, Ashraf Shararra, son oncle Hassan, ses cousins Ahmad Hassan et Mohamad Mohie. Ils performent tour à tour avec d’autres musiciens sur le qanoun (cithare sur table), tabla et riq (percussions), etc., favorisant les morceaux composés par le grand-père qui aimait faire des amalgames entre mélodies classique et orientale. Ainsi, le sextet s’est doté, au fil du temps, de son propre répertoire : « Ya Hassan ya Khouli Al-Guéneina ya Hassan. Touha. Layali Al-Mansoura. Layali Al-Qahira. Layali Al-Iskandariya » … La liste est longue.
Sur scène, Kholoud, la petite-fille, se sent comme un poisson dans l’eau. Elle a l’habitude des planches ; de plus, elle est littéralement parmi les siens. Issue d’une famille musicale, son père est l’ex-doyen du Centre national des enfants à l’Académie égyptienne des arts, et sa mère est la pianiste Iman Ismaïl, ex-doyenne de l’Institut supérieur de la musique (le Conservatoire du Caire), alors que ses deux frères aînés sont Mohamad, violoniste, chef d’orchestre et compositeur, qui a eu son doctorat en Allemagne et joue au sein de l’Orchestre symphonique du Suède en Norrköping, et Omar, ex-violoncelliste à l’Orchestre symphonique de l’Opéra du Caire, qui vit actuellement au Qatar et joue à son orchestre national.
De retour du Koweït, où elle vivait avec sa famille, Kholoud a rejoint le Conservatoire du Caire à l’âge de 9 ans. « Je maîtrisais le piano grâce à ma mère, mais ma famille m’a choisi la flûte, jugeant que l’avenir du pianiste est très compliqué. J’ai donc commencé à étudier et à pratiquer cet instrument à 11 ans. Et je m’y suis attachée ». A cet âge, elle a participé à son premier concert, avec sa famille, dans le cadre du sextet, dans la petite salle de l’Opéra du Caire. « Je venais d’acquérir ma flûte deux semaines avant ce concert, mais mon grand-père m’a facilité la tâche, en me transcrivant de façon simplifiée les notes que je devais interpréter en public. J’ai été accompagnée au violon par mon cousin Mohamad Mohie, chose difficile pour un débutant », se souvient-elle. La même année, elle a réussi à jouer en solo avec l’Orchestre symphonique du Caire au Festival de la Citadelle, dans le cadre d’un concert spécial réservé aux enfants de musiciens. Cette fois-ci, c’était sa mère qui l’a accompagnée au piano. « Ces deux événements m’ont donné le feu vert afin de me lancer dans ma carrière professionnelle ». Son grand-père l’a ensuite admise parmi les membres du sextet familial « Soudassy Shararra », alors qu’elle poursuivait ses études au Conservatoire.
La plupart des membres de sa famille tiennent à poursuivre leurs études académiques jusqu’à obtenir leur doctorat en Russie ou en Allemagne. Ainsi, Kholoud est partie parachever ses études en 2013 à l’académie Sibelius en Finlande, préparant son master. Et ce, après avoir été désignée comme assistante au Conservatoire. « L’hiver était dur, j’étais seule dans un pays européen scandinave, mais ce fut une expérience fructueuse. Elle a dépassé toutes mes attentes au niveau musical. J’ai amélioré mon anglais, noué de nouvelles amitiés et acquis une plus grande confiance en moi-même ». Pendant qu’elle passait sa licence au Conservatoire du Caire, sa mère était vice-doyenne de cet institut musical, de quoi lui avoir causé tant de problèmes. Car elle était souvent traitée comme une « étudiante pistonnée ». Et cela la dérangeait et freinait ses ambitions. En 2014, elle a été admise à une deuxième bourse, cette fois-ci pour passer une année à Paris, à l’Ecole Normale de Musique de Paris (ENMP). « C’était une excellente expérience, bien qu’encore plus dure, car j’ignorais la langue du pays. A vrai dire, tout musicien doit passer par Paris pour approfondir ses connaissances. C’est un passage obligé, à mon avis », assure la musicienne qui est la principale flûtiste à l’orchestre de la Bibliothèque d’Alexandrie et professeur de flûte au Conservatoire d’Alexandrie. De plus, elle est flûtiste remplaçante à l’Orchestre symphonique du Caire et flûtiste principale à l’ensemble Soudassy Shararra. Mariée en 2018, elle est aussi la mère d’une fille de deux ans et demi, donc elle tente de s’organiser, afin de tout réussir : son doctorat, ses concerts et ses cours à Alexandrie, ainsi que ses performances au Caire et à l’étranger.
Ses deux parents lui servent toujours d’un exemple à suivre. Diplômés tous deux du Conservatoire, ils se sont mariés et ont voyagé en Allemagne pour décrocher leur doctorat en musique classique. Puis, ils ont joué ensemble, dans de divers concerts, un peu partout. Aujourd’hui, leur fille Kholoud les accompagne, elle aussi, en musique de chambre. Ils croient tellement en son avenir, déploient des efforts pour la soutenir et l’accompagnent pendant ses voyages afin de s’occuper de leur petite-fille, Gamila. Son conjoint, admiratif de sa profession, ne rate aucun de ses concerts.
Influencée surtout par son grand-père, Attiya Shararra, elle connaissait par coeur son livre de violon et joue toutes ses compostions avec la dextérité d’une fée. De quoi lui avoir valu le surnom de « papillon », puisqu’on lui demande, à chaque fois sur scène avec le sextet, de jouer le morceau signé par son aïeul, Raqset Al-Faracha (la danse du papillon), qu’il interprétait lui-même sur son violon.
Ce dernier avait l’habitude de créer des compositions spécifiques pour ses fils et ses petits-fils comme le Concerto de violon, celui de violoncelle, de flûte, outre les concertos d’instruments orientaux. Le grand-père suivait de près les entraînements de sa petite-fille et lui corrigeait jusqu’à ses derniers jours. « Le jour de son décès, il était chez nous, entouré de toute la famille. Il est mort paisiblement, content d’avoir achevé sa mission. Son message était clair : c’est votre tour de poursuivre le chemin et de prendre la relève ». De tendance soufie, l’image du grand-père avec sa longue tunique blanche, son béret et son chapelet, pendant la Hadara et les séances de zikr, ne quitte pas Kholoud. Elle restera à jamais gravée en sa mémoire.
Durant la décennie 2000, le public était moins nombreux aux concerts du sextet, préférant d’autres musiques plus modernes de musique. La troupe familiale a décidé alors de modifier son répertoire, ajoutant les compositions d’autres musiciens, mais aussi des oeuvres revisitées du patrimoine. Ils ont eu recours aussi à des chanteurs de l’Institut de la musique arabe, pour se produire avec eux, et ont occasionnellement introduit quelques instruments électriques. Cependant, Kholoud, responsable du marketing au sein du groupe, continue à avoir des problèmes de financement. « Nous n’avons pas trop de moyens et nous n’avons pas le temps d’avancer à ce niveau », avoue-t-elle.
Les membres du sextet, tous occupés par leurs études et leurs postes académiques, leurs performances en Egypte comme ailleurs, tiennent cependant à se réunir sur scène sous la direction du maestro Hassan Shararra. Ils ont de cinq à six concerts chaque année, et chacun donne le meilleur de luimême. « Notre objectif à tous est d’investir dans nos enfants, pour avoir une troisième génération, et perpétuer notre tradition de famille », conclut la flûtiste, tout sourire.
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