Les 12 harpistes égyptiennes formant l’ensemble ont pris place sur scène, le 22 septembre dernier, au petit théâtre à l’Opéra du Caire. Solistes confirmées, jeunes étudiantes du Conservatoire ou musiciennes fraîchement diplômées, elles ont joué en duo, en trio, etc. en fonction des oeuvres sélectionnées.
C’est la harpiste chevronnée Manal Mohieddine qui détenait le milieu de la scène, suivie de part et d’autre de ses consoeurs Mona Wassef et Amira Hamed. Les morceaux joués embrassaient la musique classique, le chant arabe, le jazz, des oeuvres espagnoles telle Espana Caní, du tango à la valse, des génériques de films connus, etc. Ainsi, on passait de Sayed Darwich à Vivaldi ou à la musique du film Sound of Music d’une minute à l’autre, et l’instrument de l’Egypte ancienne se prêtait à tous les styles.
« A partir de l’Egypte, la harpe s’est répandue ensuite en Mésopotamie en Iraq, en Asie de l’Est, en Europe, précisément en France, en 1811 … Avec les multiples changements survenus sur la harpe, au cours de l’histoire, et son évolution en sept octaves, nous ne devons jamais oublier ou ignorer l’identité de cet instrument d’origine égyptienne. Il était sacré dans le temps ! Car utilisé par les prêtresses et les prêtres, afin de communiquer avec les dieux. Les nombreuses reproductions de musiciennes harpistes sont très variées : peintures des tombes thébaines, stèles et statues de musiciens, objets de la vie quotidienne », explique la harpiste Mona Wassef, professeure au Conservatoire du Caire et fondatrice en 2013 de la troupe Gawla Maa Al-Harpe (tournée avec la harpe).
Wassef a d’abord participé avec l’ensemble féminin Banat Al-Nil (les filles du Nil), créé par son aînée Manal Mohieddine en 2003. Cette dernière a ensuite lancé l’Ensemble égyptien de la harpe vers 2016, et aujourd’hui, le nombre de ses musiciennes ne cesse de s’accroître. « La harpe et le harpiste forment un couple inséparable ! », répète d’ailleurs souvent Manal Mohieddine. Celle-ci a contribué sans doute à l’effervescence de la harpe en Egypte.
« La section consacrée à la harpe au Conservatoire du Caire a été fondée par la professeure Nahed Zikri, à son retour d’Italie, vers la fin des années 1960. Moi-même j’ai été surtout influencée par une autre grande professeure qui est Samira Michel. J’essaye à mon tour de varier les tons en mêlant les airs celtiques à d’autres plus contemporains ou en jouant parfois de la musique zen ou thérapeutique », précise Mona Wassef qui amène les auditeurs dans des univers inattendus. Elle multiplie aussi les concerts dans des salles d’expositions, des maisons de retraite, au sein des écoles … Elle a récemment accompagné la soprano Amira Sélim dans sa nouvelle chanson Merut Ek (ton amour), interprétée en hiéroglyphique.
En Egypte, un instrument féminin
L’Ensemble égyptien de la harpe peut d’ailleurs rivaliser avec d’autres formations similaires connues à l’échelle internationale, telles The Texas Men’s Harp Ensemble, le Los Angeles Harp Ensemble …
Ces troupes regroupent des hommes et des femmes, mais en Egypte, la harpe est essentiellement jouée par des femmes. « Pourquoi imagine-t-on plutôt une femme derrière une harpe ? Pourquoi entend-on souvent que c’est un instrument pour les filles ? Peut-être à cause de la forme épurée de cet instrument aux sonorités scintillantes et cristallines, aux connotations féeriques et émotionnelles, oniriques et fantastiques. La harpe est l’instrument romantique par excellence. Au XVIIIe siècle, elle était considérée comme un véritable instrument de salon, joué et popularisé par Marie-Antoinette, laquelle a apporté sa harpe en France et, très vite, elle est devenue l’instrument de salon à la mode, joué par les femmes. C’est probablement ce qui a donné lieu à ce cliché romantique, mettant en avant l’image de la femme derrière une harpe », souligne Amira Hamed, membre de l’Ensemble égyptien, qui enseigne la harpe au Conservatoire du Caire. Et d’ajouter : « Même s’il est considéré en Egypte comme un instrument féminin, ce serait une erreur de penser ainsi. Prenons l’exemple de grands harpistes, tels le Français Xavier Maistre et le Russe Alexander Boldachev ».
Cet instrument, qui fait en moyenne 1 m 80, avec ses 40 à 47 cordes, donnant un ambitus de plus de six octaves, est un véritable géant dur pour un enfant de 10 ans cherchant à devenir un futur harpiste. « Peut-être c’est ce qui inquiète les parents. Comment donc encourager son enfant à en faire carrière ? Les parents nous demandent souvent si cet instrument a un avenir prometteur sur le marché du travail. Donc, il faut de la persévérance et de l’assiduité pour faire son métier et sa passion. En outre, le prix de la harpe est assez élevé, il table autour de 20 000 dollars. Autrefois, les professeurs de harpe au Conservatoire du Caire ne disposaient que de deux harpes ; on craignait atrocement les dégâts ! C’est peut-être aussi la raison pour laquelle le Conservatoire préférait les étudiantes, car les filles sont plus douces que les garçons. D’où le manque de harpistes hommes en Egypte », précise Amira Hamed, qui tente de développer sa puissance musculaire au niveau de la main et des pieds.
Evolution technique
Les musiciennes de l’Ensemble cherchent à atteindre un public plus large et être plus présentes sur la scène artistique, en multipliant les concerts. « C’est notre manière de faire sortir la harpe de son cadre élitiste. La harpe ne se meurt pas, elle évolue en même temps que l’écriture musicale et varie suivant les régions. N’oublions pas qu’à travers le temps, la forme et le nombre des cordes pincées de la harpe égyptienne ont évolué, d’une forme d’arquée sans caisse de résonance à une harpe angulaire formée de deux parties : une caisse de résonance et un joug de fixation, pour jouer des demi-tons. Des demi-tons, mais aussi des quarts de ton récemment ajoutés à la harpe. Nous créons également de nouveaux morceaux musicaux paraphrasés. Voici un nouveau défi que nous avons réussi à relever », poursuit Amira Hamed, qui a joué, durant le dernier concert à l’Opéra, un morceau de maqam Hijaz, qu’elle a elle-même composé pour la harpe.
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