La visite, les 9 et 10 février, du président russe Vladimir Poutine en Egypte était riche en annonces, en significations et en messages. Ainsi, il a été annoncé lors de la visite que la première centrale nucléaire égyptienne, un projet longtemps reporté, verra le jour avec le savoir-faire et l’expertise de la Russie. Selon Poutine, Moscou aiderait l’Egypte, non seulement dans la construction de la centrale, mais aussi à développer une industrie nucléaire. De son côté, le président Abdel-Fattah Al-Sissi a annoncé la création d’une zone industrielle russe, dans le cadre du projet de développement de la zone du Canal de Suez, ainsi que l’adhésion de l’Egypte à la zone de libre-échange de l’Union économique eurasienne, qui regroupe la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan et l’Arménie. Outre la coopération militaire, en chantier depuis plusieurs mois, des accords économiques ont été également conclus dans des domaines aussi divers que l’investissement, l’énergie, le transport et l’automobile. L’Egypte a, pour sa part, annoncé des mesures pour mieux attirer les touristes russes, qui forment aujourd’hui le contingent le plus important des touristes en Egypte. Ils étaient 3 millions sur un total de 10 millions de touristes à avoir visité l’Egypte en 2014.
Ces annonces importantes sont intimement liées aux significations et au symbolique de la visite, la première de Poutine en Egypte depuis une décennie (la dernière remonte à 2005, sous l’ancien président Hosni Moubarak). La visite en elle-même n’est que le point culminant d’un changement opéré par les diplomaties égyptienne et russe, après la destitution du président Mohamad Morsi, en juillet 2013. L’acte premier a été signé par l’Egypte post-Frères musulmans. Al-Sissi s’est ainsi rendu en Russie à deux reprises en 2014, la première en février, alors qu’il était ministre de la Défense dans le gouvernement intérimaire, et la seconde en août, après son élection, fin mai. Cette volonté de rapprochement avec Moscou s’expliquait principalement par la tension entre Le Caire et Washington, à la suite de la destitution de Morsi. Signe de cette tension, les Etats-Unis ont notamment suspendu une partie de leur aide militaire et économique annuelle à l’Egypte et gelé la livraison de matériels militaires. Certes, Washington s’est ravisé et a repris, sous conditions, son assistance, dans le but de préserver ses intérêts dans la région, mais la tension reste bien présente, traduisant des divergences importantes sur les développements politiques en Egypte. En tout cas, Le Caire estimait qu’il ne pouvait plus compter, comme auparavant, sur le soutien des Etats-Unis, ni de rester indéfiniment tributaire du bon vouloir de la Maison Blanche. D’où sa recherche d’alternatives. Le Caire est toutefois loin de vouloir rompre avec les Etats-Unis. Sa quête d’alternatives, qui lui ouvre de nouveaux horizons, est principalement destinée à pousser Washington à de meilleures dispositions. Par sa démarche, l’Egypte veut montrer aux Américains que, face à leurs pressions, elle peut « voir » ailleurs. La conclusion, le 16 février, d’un important marché d’armes de 5,7 milliards de dollars avec la France— même si cette dernière appartient au camp occidental— s’inscrit dans le même ordre d’idées. Cependant, la Russie était, sous cet angle, un premier choix, étant donné la rivalité qui existe entre elle et les Etats-Unis. Une rivalité qui s’est muée en animosité à la suite des sanctions occidentales imposées à Moscou, en raison de la crise en Ukraine. La Russie était donc plus que disposée à se rapprocher de l’Egypte, comme elle l’avait déjà fait récemment avec la Chine et l’Inde, en vue de contrer les pressions occidentales. Son rapprochement avec l’Egypte lui permettra également d’étendre son influence, au détriment de celle des Etats-Unis, dans un Moyen-Orient qui était encore dernièrement presqu’une chasse-gardée américaine.
Lien court: