La tournure dramatique que prennent les événements au Yémen intervient à un mauvais moment pour son grand voisin, l’Arabie saoudite, qui vient de perdre son roi Abdallah bin Abdel-Aziz. La démission, le 22 janvier, du président yéménite Abd-Rabbo Mansour Hadi et du gouvernement du premier ministre, Khaled Bahah, pose un vrai dilemme à Riyad, qui avait parrainé la transition politique à Sanaa en novembre 2011. L’Arabie saoudite avait alors poussé à la sortie de l’ancien chef d’Etat Ali Abdallah Saleh au profit du vice-président, Hadi. Mais la brutale irruption des rebelles Houthis sur la scène politique et militaire en septembre dernier a complètement bouleversé la donne.
Ces Houthis sont devenus, en l’espace de quelques mois, les vrais maîtres du pays, grâce à des victoires militaires éclairs qui leur ont permis de contrôler la capitale et neuf autres provinces. Appartenant à la secte zaïdite, une branche du chiisme, ils sont proches de l’Iran, la bête noire des Saoudiens dans la région. Bien que les Houthis nient tout soutien de Téhéran, un responsable iranien a souligné à Reuters en septembre dernier, après la prise de Sanaa, que « l’Iran veut une forte présence chiite dans la région. C’est pour cela qu’il s’est ingéré au Yémen ».
Riyad a toujours agi pour contenir l’extension de l’influence de l’Iran chiite dans le monde arabe. Le soutien saoudien à l’opposition syrienne au régime de Bachar Al-Assad s’explique par l’alliance stratégique nouée par ce dernier avec Téhéran. Sous le même angle, l’arrivée en Iraq d’un gouvernement dominé par la majorité chiite, après la chute de Saddam Hussein, était mal perçue par Riyad, qui y a vu la propagation de l’influence iranienne dans le monde arabe et, de surcroît, dans un grand pays voisin. La récente domination des Houthis de la politique yéménite constitue, au même titre, un revers pour Riyad, qui a réagi en coupant, fin 2014, son aide économique vitale de plus de 3 milliards de dollars au Yémen, l’un des pays les plus pauvres du monde arabe. Le taux de pauvreté dans ce pays, à la croissance démographique galopante, a bondi de 42 % en 2009 à 54,5 % en 2012. Les problèmes que pose l’avancée des Houthis au Yémen sont multiples.
Car il ne s’agit pas seulement de l’extension de l’influence iranienne dans la péninsule arabique, aux portes sud de l’Arabie saoudite. Les derniers développements au Yémen peuvent déboucher sur un conflit sectaire entre les chiites zaïdites, qui forment le tiers d’une population de 24,5 millions, et les sunnites salafistes, sous la houlette d’Al-Qaëda dans la Péninsule Arabique (AQPA), la branche la plus active et la plus dangereuse de l’organisation terroriste dans le monde arabe, et dont le fief est la province de Hadramout, à l’est, dans l’ancien Yémen du sud. L’AQPA est hostile à la famille régnante d’Al-Saoud et avait mené une série d’attentats terroristes dans le royaume de 2003 à 2006.
Le conflit entre Houthis et AQPA, qui est déjà en place, a toutes les chances de s’élargir et de s’intensifier. Il pourrait favoriser les velléités indépendantistes du mouvement sécessionniste sudiste. Si l’extension de ce conflit présente des risques d’instabilité politique et sécuritaire réels, il pourrait, en revanche, faire les affaires de Riyad, en affaiblissant les deux parties belligérantes, toutes deux classées organisations terroristes par le gouvernement saoudien. L’intérêt de Riyad serait alors d’éviter tout débordement sur son propre territoire. C’est pour cette raison que le royaume construit à présent une barrière de sécurité le long des 1 700 km de frontière avec le Yémen, à l’instar de celle construite à la frontière avec l’Iraq, pour faire barrage à l’Etat islamique. Mais la construction de cette clôture prendra encore des années. Se sentant cernée par l’extension de l’influence iranienne au nord, en Iraq, et au sud, au Yémen, l’Arabie saoudite devra, sous la forte pression de l’évolution rapide de la situation politique et sécuritaire chez ce dernier, redéfinir sa politique envers son voisin du sud, dans un contexte de succession au pouvoir. Elle devrait tout d’abord chercher à limiter les effets de ce basculement en faveur des chiites yéménites et tenter de reprendre la main dans une situation pour le moins compliquée et explosive .
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