Le congrès américain vient d’alléger sa position sur l’octroi de l’aide militaire et économique annuelle à l’Egypte, d’une valeur de 1,5 milliard de dollars. La nouvelle loi sur les dépenses, bien qu’elle énumère une longue liste de conditions, autorise à nouveau le Département d’Etat de décider d’une dérogation s’il juge que l’octroi de l’aide servira les intérêts des Etats-Unis. Cette nouvelle position constitue un retour à l’ancienne formule, plus souple, qui permettait à l’Administration américaine de passer outre les conditions imposées par le Congrès au déboursement de l’assistance. Cette même formule avait permis à l’ancienne secrétaire d’Etat, Hillary Clinton, de décider de la reprise de l’aide militaire et économique à l’Egypte, en 2012.
L’assouplissement de la position du Congrès a été rendu possible grâce aux pressions et au lobbying exercés par l’Egypte et ses alliés arabes, notamment l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis et la Jordanie, qui faisaient valoir la guerre que mène l’Egypte contre le terrorisme dans le pays et, plus généralement, dans le monde arabe. Selon des sources proches du dossier au Congrès, le puissant lobby pro-israélien, AIPAC, avait également poussé les députés et sénateurs américains dans le sens d’une plus large souplesse dans l’octroi de l’aide, étant donné l’action du Caire contre les islamistes au Sinaï et les tunnels de contrebande avec la bande de Gaza.
Il n’en demeure pas moins que la loi cite une longue liste de conditions liées au déboursement de la première tranche, d’une valeur de 726 millions de dollars, de l’aide militaire et économique. Elle réclame que le secrétaire d’Etat, John Kerry, atteste devant le Congrès que l’Egypte a tenu des élections législatives libres et honnêtes, applique des réformes garantissant la liberté d’expression, d’association et de rassemblement pacifique, sans interférence dans le fonctionnement des organisations de la société civile et des médias. Elle lui demande également de certifier que les autorités égyptiennes prennent des mesures consistantes pour la protection des droits des femmes et des minorités religieuses, respectent les droits des détenus, mènent des enquêtes crédibles sur l’usage excessif de la force par les forces de sécurité ... Toutes ces conditions peuvent être toutefois abandonnées si le secrétaire d’Etat juge que « l’intérêt national » des Etats-Unis l’exige. La loi exempte aussi de ces conditions l’aide américaine destinée à combattre le terrorisme, à assurer la sécurité des frontières et les projets de développement économique au Sinaï. Cette disposition, qui existait déjà dans la loi précédente, a permis au secrétaire d’Etat de débloquer 575 millions de dollars à l’Egypte en juin dernier.
L’Egypte demeure d’une importance stratégique pour les Etats-Unis. Qu’il s’agisse du maintien de la paix avec Israël, de la lutte contre le terrorisme dans le monde arabe ou du Canal de Suez, nécessaire pour les intérêts militaires américains au Moyen-Orient. Cependant, l’Administration Obama est tiraillée entre deux camps, celui partisan du réalisme politique, dont le secrétaire d’Etat, qui plaide pour une poursuite de l’assistance américaine, afin de protéger les intérêts américains, et celui, plus idéaliste, qui veut conditionner cette aide à une série de conditions liées à la promotion de la démocratie et des droits de l’homme. Ce tiraillement produit une ambivalence dans la politique américaine envers l’Egypte et des signaux qui semblent contradictoires. L’un des derniers exemples est celui de l’envoi au Caire, début novembre, de la plus importante délégation économique et commerciale, composée de 70 hauts responsables de firmes américaines, afin d’examiner les opportunités d’investissement dans l’économie égyptienne, en mauvaise posture depuis le soulèvement populaire contre Moubarak. Cette visite est intervenue alors que l’Administration Obama continue de geler une partie importante de l’assistance à l’Egypte. Cet exemple montre que Washington, tout en maintenant ses pressions sur l’Egypte via le gel d’une partie de son aide, cherche à maintenir son allié stratégique, car il est d’une importance capitale pour ses intérêts.
Les rapports égypto-américains traversent une période de turbulences depuis la chute de Moubarak, en raison de l’ampleur des changements intervenus en Egypte. Une situation face à laquelle les Etats-Unis n’ont pas encore su trouver le bon équilibre .
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