L’Egypte mène au Sinaï la plus vigoureuse campagne anti-terroriste, jamais entreprise dans le pays. L’attentat du 24 octobre dernier, qui a coûté la vie à 31 militaires, a été le déclencheur de cette large offensive aux moyens musclés, dont la création d’une zone tampon de 500 mètres de largeur, le long des 14 km de frontière avec la bande de Gaza.
Le but étant de mieux contrôler cette zone frontalière, lieu de contrebande en tous genres, notamment le commerce illicite d’armes et le déplacement de terroristes. La sophistication de l’attentat du 25 octobre a convaincu les autorités égyptiennes de l’existence d’une aide étrangère aux groupes djihadistes opérant dans le Sinaï, via la bande de Gaza. Bien qu’aucune organisation terroriste n’a été officiellement montrée du doigt, l’« Etat islamique » a été souvent cité pour avoir pris des contacts et tenté d’apporter une assistance, dans la préparation d’attentats, au groupe terroriste Ansar Beit Al-Maqdess, le plus dangereux en Egypte aujourd’hui. La région frontalière avec la bande de Gaza a, donc, été en ligne de mire des autorités égyptiennes depuis déjà plusieurs mois. D’où l’idée d’une zone tampon au nord-est de Sinaï, dont l’établissement nécessite la démolition de 802 maisons et le déplacement de 1 156 familles.
Selon des sources de sécurité, l’opération de rasage de cette région a fait découvrir jusqu’ici 117 tunnels de contrebande. Sans parler des centaines d’autres qui avaient été détruits par l’armée ces derniers mois. Les mesures militaires et sécuritaires sont, certes, nécessaires pour juguler la vague terroriste dans la péninsule du Sinaï. Mais une solution à long terme doit s’attaquer également aux sources multiformes, économiques et sociales, du mal. La première réside dans le retard économique de la péninsule qui, malgré des promesses gouvernementales répétées, souffre d’un déficit de développement économique. Le Sinaï a été souvent l’objet de l’attention des gouvernements dès lors que des actes terroristes y sont perpétrés. Cette attention se traduit souvent par l’annonce d’allocations financières destinées à créer des projets de développement et des emplois pour résorber le taux important de chômage. Mais ces projets sont rarement menés à leur terme ou tombent souvent aux oubliettes, une fois la sécurité rétablie. En attendant une nouvelle explosion.
L’un des obstacles à l’éradication du terrorisme au Sinaï se trouve dans le commerce illicite des produits, dont les armes, via les tunnels avec la bande de Gaza. Or, cette activité illégale représente une source de « gagne-pain » importante pour plusieurs membres des tribus bédouines, à un moment où le taux de pauvreté atteint 45 % au Sinaï, selon les chiffres de 2013 du Fonds social pour le développement. Dans ces conditions, une lutte sécuritaire contre le terrorisme ne peut être efficace que si elle s’accompagne d’un plan de développement économique bien précis, et selon un calendrier bien établi, qui compense les pertes financières occasionnées par la destruction des tunnels de contrebande. La négligence gouvernementale touche aussi, et surtout les infrastructures et les services de base, telles la santé et l’éducation, pourtant nécessaires pour mieux lier les bédouins à leur patrie et renforcer leur sentiment de citoyenneté.
La vision presque exclusivement sécuritaire dans le traitement des affaires du Sinaï et le sentiment d’être des laissés-pour-compte de plusieurs jeunes bédouins poussent certains d’entre eux à épouser l’extrémisme religieux et l’usage de la violence contre l’Etat et ses représentants. Aidé par une géographie escarpée et un voisinage – la bande de Gaza – favorable à l’expansion de l’extrémisme et du terrorisme, le militantisme islamiste au Sinaï serait difficile à mater sans un plan global, s’inscrivant dans la durée, qui prend en considération aussi bien les aspects sécuritaires qu’économiques et sociaux de la situation particulière de la péninsule.
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