Dans une série de précédents articles, j’avais parlé du projet « Egypte 2020 » qui avait été débattu au Forum sur le Tiers-Monde, sous la supervision du Dr Ismaïl Sabri Abdallah et Dr Ibrahim Issawi. Ce projet a formulé 5 scénarios potentiels pour l’Egypte, chacun d’eux ayant une vision stratégique différente. Ces scénarios ou modèles ne peuvent se concrétiser qu’en présence d’un certain nombre de conditions politiques, économiques et sociales. J’avais dit dans mon analyse que le modèle économique basé sur le néocapitalisme, adopté par l’ancien régime et impliquant une ouverture sur le monde à l’ombre de la mondialisation, a essuyé un échec flagrant. Les partisans de ce modèle sous l’ancien régime prétendaient que le capitalisme transformerait l’Egypte en un « tigre » sur le Nil à l’instar des Tigres asiatiques. Mais l’expérience a échoué. On peut percevoir cet échec dans les clivages sociaux qui ont résulté de cette expérience. Une minorité s’est enrichie et a gagné des fortunes aux dépens des larges couches populaires. Cela à travers la corruption. Résultat : la pauvreté continue à sévir et le fossé ne cesse de s’élargir entre les habitants des zones sauvages et ceux des complexes résidentiels de luxe. Tout cela a conduit au déclenchement de la révolution du 25 janvier, dont les revendications majeures étaient la liberté, la vie décente et la dignité humaine.
Le projet « Egypte 2020 » a évoqué un autre modèle qui mérite qu’on s’y arrête, celui de l’Etat islamique. Après la victoire des Frères musulmans aux législatives et à la présidentielle, on peut se demander : quelles sont les grandes lignes de ce modèle ?
Les experts du projet « Egypte 2020 » avancent que la source d’inspiration de ce modèle se trouve dans le renouvellement du régime et de sa légitimité, ainsi que dans les valeurs qu’il aspire à diffuser dans la société. Le projet est basé sur le célèbre slogan « L’islam est la solution », avec pour référence la sunna du prophète et les pieux prédécesseurs, dans le but de créer de nouveaux modèles sociaux. Ce qui distingue ce modèle c’est son rejet de la civilisation occidentale et l’affirmation de l’identité musulmane. Le scénario « islamique » s’appuie sur une référence religieuse, rejette le pluralisme politique, prône la centralisation et le principe de l’obéissance aveugle aux ordres. Le spirituel est la force motrice de ce scénario, et la justice sociale y est réalisée à travers la zakat et d’autres formes de solidarité sociale. Le modèle rejette surtout l’intégration au sein de la mondialisation. Dans ce modèle, l’Etat a un contrôle total sur l’éducation, bien qu’il ne dispose pas de moyens pour la développer véritablement. Il joue un rôle important dans la recherche scientifique, le développement technologique et le développement durable. Celui-ci reste tributaire en grande partie du secteur privé et des mécanismes du marché avec une certaine dose d’ingérence gouvernementale pour garantir la justice sociale et les besoins élémentaires des individus. Les partisans de ce modèle prétendent être à même de faire face de manière décisive à la corruption. Ils souffrent cependant d’une certaine faiblesse en matière de gestion des affaires sociales. Si nous examinons les grandes lignes de ce modèle à la lumière de l’expérience des Frères musulmans depuis leur arrivée au pouvoir et leur domination des instances législatives et exécutives de même que l’assemblée constituante chargée de rédiger la Constitution, nous trouverons que l’un des aspects supposés de l’Etat islamique à s’être concrétisés dans les faits c’est la référence religieuse de l’Etat. Cela s’est manifesté clairement dans les discussions de l’Assemblée du peuple, surtout en ce qui a trait au prêt de la Banque mondiale, proposé par le gouvernement Ganzouri et rejeté par les députés parce qu’ils considéraient que les intérêts bancaires sont illicites (reba). Contrairement aux suppositions, ce modèle accepte le pluralisme politique. Mais les Frères accepteront-ils l’alternance du pouvoir ? Là est la question. Le principe de l’obéissance qu’ils brandissent s’est manifesté dans leur capacité à mobiliser des dizaines de milliers de leurs adeptes contre les courants libéraux rassemblés sur la place Tahrir même si, parmi eux, il y a des personnes qui refusent ces méthodes antidémocratiques.
Je pense que ce modèle a commis une erreur en affirmant que l’Etat islamique refuse de s’intégrer à la mondialisation. Car sur le plan pratique, il s’est avéré que les islamistes acceptent toutes les pratiques émanant de la mondialisation, comme à titre d’exemple les conditions émises par la Banque mondiale pour la fourniture d’un prêt. Le projet « Egypte 2010 » avait tout à fait raison de dire que l’un des aspects de ce modèle est représenté par sa faiblesse et son incompétence dans la gestion des affaires de la société et de l’Etat. Nous l’avons vu clairement dans l’incapacité des Frères musulmans à injecter des cadres compétents et capables de diriger la barque, de même que dans la faiblesse de l’équipe de conseillers du président de la République qui ont poussé ce dernier à prendre des décisions contraires à la Constitution. La dernière en date est la destitution du procureur général. Alors que ce dernier est immunisé par la Constitution et la loi.
Je dirais que le modèle de l’Etat islamique dans le projet « Egypte 2020 » nous a donné la possibilité de faire la différence entre le supposé et le réel en ce qui a trait au projet politique de la confrérie des Frères musulmans. Un projet qu’ils appliquent publiquement à certains niveaux et en cachette à d’autres niveaux pour s’attirer les faveurs de l’opinion publique.
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