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La Libye s’enfonce dans la violence 

Mardi, 05 août 2014

La Libye s’enfonce dans le chaos et l’anarchie, avec des combats violents dans les deux principales villes du pays, Tripoli, la capitale, et Benghazi, le chef-lieu de la Cyrénaïque, la province rebelle de l’est, où s’est déclenché le soulèvement populaire contre le régime de Muammar Kadhafi en février 2011.

Ce n’est sûrement pas la première fois que la Libye connaît de telles flambées de violence depuis la chute de Kadhafi. Le pays est en proie à des excès périodiques de violence entre les différentes milices « ex-révolutionnaires » qui sont en lutte entre elles pour l’influence politique. Depuis la chute de Kadhafi, le gouvernement central peine à exercer sa domination sur ces milices de tous bords qui refusent de remettre leurs armes et qui se sont partagées le territoire national, transformé en fiefs d’ordre tribal et politique.

La récente irruption de violence meurtrière est liée aux résultats de l’élection du 25 juin du nouveau Parlement, le Congrès général national, où les libéraux, opposés à l’islam politique, sont sortis gagnants face aux islamistes, toutes tendances confondues, qui dominaient l’ancienne Chambre. Le déclenchement des violences est ainsi vu comme une tentative des forces islamistes d’imposer une nouvelle réalité sur le terrain, à même de modifier les rapports de force avec les libéraux, avant l’entrée en fonction de la nouvelle Assemblée. C’est ainsi qu’on peut interpréter les tentatives des milices islamistes de prendre le contrôle de l’aéroport de Tripoli des mains des milices libérales. Ces deux milices, à plusieurs composantes, se sont partagées, à la suite de la chute du régime de Qadhafi, le contrôle de la capitale, où les islamistes ont occupé la base militaire, alors que les libéraux ont mis la main sur l’aéroport.

La réalité des affrontements se résume donc dans la lutte pour le pouvoir et la définition de l’identité de la Libye entre les milices islamistes, dominées par celles de la ville portuaire de Misrata, à 200 km à l’est de la capitale, et les milices de tendance libérale, notamment celles d’origine berbère de la ville de Zintan, située à 136 km au sud-ouest de Tripoli. Celles-ci ont trouvé un allié dans la personne du lieutenant-colonel Khalifa Haftar, un ancien militaire de l’armée de Kadhafi, qui a, depuis, fait défection et qui mène aujourd’hui dans l’est du pays une guerre contre les forces islamistes.

Certes, la réalité des combats en Libye est beaucoup plus compliquée, où se mêlent intérêts politiques, solidarités tribales et ambitions économiques liées à l’énorme rente pétrolière, qui assure 95 % des recettes du pays. Ainsi, des villes se dressent contre des villes, des tribus contre d’autres et des chefs de guerre contre de rivaux seigneurs de guerre pour le contrôle de territoires, de ressources pétrolières, et pour gagner davantage d’influence politique.

Une partie du problème trouve son origine dans l’ère de Kadhafi, qui a notamment joué sur les rivalités tribales pour mieux contrôler le pays, et n’a pas su ou n’a pas voulu développer le sentiment d’appartenir à une Nation d’abord plutôt qu’à une tribu ou à une région. Du coup, le pays a presque éclaté entre une myriade de milices et de forces paramilitaires disparates qui contrôlent de larges portions du territoire national, alors que les forces de police et de l’armée étaient réduites à partager le contrôle du pays avec ces troupes irrégulières. Constatant son impuissance, le gouvernement était obligé de reconnaître le fait accompli et d’intégrer dans les forces de sécurité des chefs de guerre et des milices tribales, dont la loyauté reste à leurs tribus et leurs régions plutôt qu’à l’Etat. Avec les conséquences que l’on voit aujourd’hui, aucune solution rapide n’est à attendre à un problème qui trouve son origine dans l’histoire du pays, notamment le pouvoir solitaire exercé par une seule personne pendant plus d’une quarantaine d’années, privant la Libye d’institutions étatiques capables de gérer la transition démocratique dans des conditions moins chaotiques que celles que connaît le pays depuis la chute du colonel Kadhafi. La construction de ces institutions sera sans doute longue et difficile, et aura besoin de vrai(s) homme(s) d’Etat.

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