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Le casse-tête libyen

Dimanche, 06 juillet 2014

La Libye pose un sérieux problème à l’Egypte. Le chaos sécuritaire qui y règne est source d’inquiétude majeure pour le gouvernement, qui fait face au terrorisme au Sinaï et ailleurs et aux troubles provoqués par les Frères musulmans. Preuve de ces soucis : la visite impromptue effectuée par le président Abdel-Fattah Al-Sissi en Algérie, le 25 juin, la première à l’étranger depuis son investiture. Premier objectif du déplacement : chercher l’appui d’Alger, qui partage de longues frontières avec la Libye, contre les risques d’extension du terrorisme islamiste en provenance de ce pays. Selon l’agence de presse officielle égyptienne, Mena, la visite d’Al-Sissi était destinée à « réactiver les accords de défense communs » et « échanger l’expérience en vue de bâtir les capacités défensives » au Moyen-Orient. Le dossier majeur de la visite était ainsi celui du « contre-terrorisme ». Les deux pays se sont entendus pour élaborer un plan de lutte contre les « groupes extrémistes ». D’autres informations ont indiqué que les armées des deux pays prépareraient des manoeuvres conjointes pour contenir les groupes terroristes des deux côtés de la frontière libyenne.

Al-Sissi avait, à plusieurs reprises, mis en garde contre l’islamisme rampant en Libye voisine et appelé les Etats-Unis à l’aide contre le terrorisme en Afrique du Nord. Avant son élection en juin, il a souligné le 15 mai, que la Libye est devenue une menace sécuritaire majeure à l’Egypte, avec l’infiltration de djihadistes et la contrebande d’armes à travers la frontière commune, longue de 115 km. Le Caire s’inquiétait également d’informations faisant état en avril de la possible formation de « l’armée égyptienne libre », par des Frères musulmans qui ont fui l’Egypte après le 30 juin 2013 et de djihadistes s’inspirant d’Al-Qaëda, qui sont rentrés de Syrie, après avoir combattu le régime de Bachar Al-Assad. L’objectif de cette « armée », selon des sources de sécurité, serait de déstabiliser l’Egypte à travers des opérations menées par des éléments armés, infiltrés à partir de la frontière libyenne.

L’instabilité sécuritaire en Libye est également devenue une source de violence contre les expatriés égyptiens, dont le nombre dépasse un million. Ils étaient de l’ordre d’un million et demi avant la révolution libyenne en 2011, mais leur nombre a baissé depuis, en raison du chaos dans le pays et la violence dont ils faisaient l’objet, perpétrée essentiellement par des groupes islamistes hostiles au régime actuel en Egypte.

Depuis la chute et l’assassinat de Moammar Kadhafi, en octobre 2011, la Libye est en proie au désordre politique et sécuritaire, le gouvernement central n’arrivant pas à contrôler l’ensemble du territoire, tombé sous la coupe d’anciens groupes « révolutionnaires » armés et de milices islamistes, qui imposent leurs lois et défient l’autorité de l’Etat, notamment à l’est du pays, frontalier de l’Egypte. D’importantes quantités d’armes, qui faisaient partie de l’arsenal de l’armée sous Kadhafi, passent en contrebande en Egypte, via des frontières poreuses, à destination notamment des groupes djihadistes au Sinaï. Le 25 janvier dernier, un hélicoptère de l’armée égyptienne a été abattu, une première, dans cette région par le groupe terroriste Ansar Beit Al-Maqdes à travers l’usage d’un missile russe Strela-2, censé avoir appartenu à l’arsenal de l’armée de Kadhafi.

Le chaos sécuritaire à l’est de la Libye a été accentué par la rébellion, à partir de février dernier, du brigadier général à la retraite Khalifa Haftar, qui a déclaré la guerre aux groupes islamistes et aux Frères musulmans à l’est. Cherchant l’appui de l’étranger, Haftar a voulu impliquer l’Egypte dans sa guerre contre les islamistes libyens et a publiquement réclamé une intervention militaire de son puissant voisin dans la région frontalière. Suffisamment occupée par ses propres problèmes internes et voulant éviter d’être entraînée dans le bourbier libyen avec les conséquences prévisibles, l’Egypte a publiquement rejeté toute intervention dans les problèmes intérieurs de son voisin. Certaines informations font cependant état d’un soutien discret de l’Egypte et de certains pays du Golfe, notamment les Emirats arabes unis, à l’action de Haftar contre les Frères musulmans et les militants islamistes. Le Caire était sans doute satisfait de voir Haftar expulser les Qataris et les Turcs de Benghazi, chef-lieu de l’est libyen. Le Qatar et la Turquie sont les deux principaux soutiens régionaux de la confrérie des Frères musulmans, déclarée organisation terroriste par l’Egypte et l’Arabie saoudite. Ils étaient leurs mentors lors de leur bref passage au pouvoir en Egypte de juin 2012 à juillet 2013.

Le casse-tête libyen devrait perdurer tant que l’instabilité politique et sécuritaire y règne et tant que le gouvernement central ne parvient pas à contrôler l’ensemble du territoire. Une situation qui semble avoir encore de beaux jours. C’est pour cela que l’effort sécuritaire de l’Egypte, destiné à un meilleur contrôle de la frontière avec la Libye, doit être doublé d’une action politique pour aider à la stabilisation de ce pays voisin, en mobilisant notamment la communauté des Etats arabes.

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