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Reconstruire la Syrie

Mercredi, 05 février 2025

Pour la première fois depuis plus de cinq décennies, la Syrie est sous une nouvelle direction après la nomination d’Ahmed Al-Chareh comme président de transition, le 29 janvier.

Il a indiqué d’emblée que ses priorités comprennent, entre autres, la reconstruction des institutions de l’Etat, la lutte contre la corruption et le népotisme au sein du gouvernement et la relance de l’économie, saignée à blanc par presque 14 ans de guerre civile.

Le gouvernement intérimaire, qui sera en premier lieu jugé sur ses capacités à redresser l’économie et à reconstruire le pays, veut s’éloigner du système corrompu qui a donné aux loyalistes de l’ancien président déchu un accès privilégié aux contrats gouvernementaux et a maintenu les industries-clés entre les mains de la famille de Bachar Al-Assad. L’ancien régime a même joué un rôle dans la production de Captagon — une amphétamine illégale addictive largement utilisée dans les Etats du Golfe — pour lever des fonds.

Mais près de 14 années de conflit, de sanctions internationales paralysantes et d’exode de 4,82 millions de personnes — plus d’un cinquième de la population du pays — ont décimé l’économie de la Syrie, qui s’est contractée de 85 %. Alors que l’économie valait 67,5 milliards de dollars en 2011, l’année du déclenchement du soulèvement populaire, où la Syrie occupait la 68e place sur 196 pays dans le classement mondial du PIB, elle est tombée l’année dernière à seulement 9 milliards de dollars, occupant la 129e place du classement, selon les estimations de la Banque mondiale. Cela place la Syrie à égalité avec des pays comme le Tchad et les territoires palestiniens.

Le conflit a dévasté les infrastructures du pays, causant des dommages durables aux systèmes d’électricité, de transport et de santé. Plusieurs villes, dont Alep, Raqqa et Homs, ont subi des destructions généralisées. La guerre civile a également provoqué une dévaluation importante de la livre syrienne, ce qui a entraîné une chute considérable du pouvoir d’achat. L’année dernière, le pays a connu une hyperinflation — une inflation très élevée et accélérée — et l’indice des prix à la consommation a doublé par rapport à l’année précédente. Ainsi, les années de conflit ont plongé la population dans une pauvreté abjecte, la rendant incapable de subvenir à ses besoins alimentaires de base. Avant la guerre, environ un tiers des Syriens vivaient en dessous du seuil de pauvreté. Aujourd’hui, c’est le cas de plus de 90 % de la population, soit disposant de moins de 2,15 dollars par jour. Dans le même temps, le coût de la vie a triplé au cours des trois dernières années, selon le Programme alimentaire mondial des Nations-Unies.

Les deux principaux piliers de l’économie syrienne, le pétrole et l’agriculture, ont été ravagés par la guerre. La production alimentaire a représenté environ un quart des recettes publiques en 2010. Bien que minuscules par rapport à d’autres pays du Moyen-Orient, les exportations de pétrole ont contribué à hauteur d’un montant similaire au PIB. D’après le ministère syrien du Pétrole et des Ressources minérales, les pertes dans le secteur pétrolier se sont élevées à 91,5 milliards de dollars entre 2011 et 2021. Le problème qui se pose aujourd’hui aux nouvelles autorités est de savoir comment récupérer les quelque 90 % des recettes des gisements pétroliers et gaziers qui sont sous le contrôle des Forces Démocratiques Syriennes (FDS), soutenues militairement par les Etats-Unis, dans la province de Deir ez-Zor, au nord-est. Les troupes américaines, dont le nombre est discrètement passé de 900 à 2 000 après le renversement d’Assad, sont présentes dans cette zone, officiellement dans le cadre d’une mission anti-Etat islamique menée avec les FDS depuis une décennie. Mais en novembre 2019, Donald Trump, lors de son premier mandat présidentiel, a déclaré : « Nous gardons le pétrole, nous avons le pétrole, le pétrole est en sécurité, nous avons laissé des troupes derrière nous uniquement pour le pétrole ». Son retour au pouvoir augure mal pour les perspectives de récupération des revenus énergétiques.

En raison de la taille potentielle du secteur des hydrocarbures, le transfert de ses ressources vers Damas sera essentiel au financement des efforts de reconstruction estimés entre 250 et 400 milliards de dollars. Certains observateurs ont prévenu qu’il faudrait près de 10 ans pour que le pays retrouve son niveau de PIB de 2011 et deux décennies pour être entièrement reconstruit. Ils s’accordent à dire que la reconstruction ne pourra se faire sans l’assouplissement des sanctions occidentales qui permettrait un afflux d’investissements étrangers. Ces sanctions ont privé Damas de l’accès aux marchés financiers, à l’aide occidentale et aux revenus des matières premières, notamment le pétrole, et paralysé l’activité économique. Sans une levée des sanctions, les investisseurs seraient peu enclins à prendre le chemin de Damas pour galvaniser la croissance économique. Mais celle-ci a besoin, en plus, d’une revitalisation des petites et moyennes entreprises et de la classe moyenne, ossatures du développement économique, qui ont été décimées au cours des années du conflit.

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