Elle crée un nouvel équilibre régional, où les ambitions, les alliances et les luttes de pouvoir continueront de façonner la région. Ce nouvel équilibre des puissances traduit en premier lieu le recul de « l’axe de résistance » dirigé par l’Iran. Ce qui offre une opportunité aux pays arabes du Golfe, qui prennent la République islamique pour leur principal rival régional.
Pendant des décennies, la Syrie a été le plus proche allié arabe de l’Iran, tandis que les monarchies du Golfe étaient en concurrence avec Téhéran pour le pouvoir et l’influence dans la région. Avec le renversement soudain du président Bachar Al-Assad, son proche allié, l’Iran a été mis à l’écart. Du coup, les Etats du Golfe, Arabie saoudite et Emirats Arabes Unis (EAU) en tête, se sont empressés de combler le vide et de développer des liens avec le nouveau gouvernement de Damas.
Les deux principales puissances du Golfe, Riyad et Abu-Dhabi, adoptent à cet égard une approche prudente, car le HTS inspire la méfiance étant donné qu’il est non seulement d’idéologie islamiste, mais était autrefois affilié au groupe terroriste d’Al-Qaëda. Les deux monarchies ont passé la majeure partie des deux dernières décennies à essayer d’empêcher la montée de groupes qui embrassent l’islam politique à travers le Moyen-Orient, s’opposant à Al-Qaëda, l’Etat islamique et les Frères musulmans. Elles craignent depuis longtemps que l’autonomisation des groupes islamistes ne déstabilise leurs propres gouvernements. Leurs inquiétudes au sujet du pouvoir islamiste remontent aux attaques du 11 septembre 2001 contre les Etats-Unis. La plupart des 19 pirates de l’air étaient saoudiens et avaient été influencés par la version stricte de l’islam du Royaume, le wahhabisme, qui a été accusé d’alimenter l’intolérance et le terrorisme.
L’Arabie saoudite et les EAU étaient de fervents opposants au régime d’Assad pendant la décennie qui a suivi la guerre civile de 2011. Assad était devenu un paria dans la région et au-delà pour sa répression brutale des opposants, qui comprenait l’utilisation d’armes chimiques contre son propre peuple. Les deux pays du Golfe ont fermé leurs ambassades à Damas au début de 2012 au milieu de la répression du gouvernement syrien contre les opposants. Au fil des ans, alors qu’Assad reprenait le contrôle d’une grande partie de son pays grâce à l’important soutien militaire de la Russie et de l’Iran, Riyad et Abu-Dhabi ont opéré un changement de politique. Ils se sont rapprochés du régime de Damas et ont joué un rôle déterminant dans son retour dans le giron arabe après une décennie d’isolement.
Le dégel était motivé à l’époque par un désir de contrebalancer l’influence croissante de l’Iran en Syrie et dans l’ensemble du Moyen-Orient. Après un tremblement de terre dévastateur qui a frappé la Turquie et la Syrie au début de 2023, l’Arabie saoudite a fait une campagne humanitaire en faveur de la population syrienne, ce qui a aidé à réhabiliter le président Assad. Plus tard, la même année, le régime de Damas a été réadmis à la Ligue arabe. L’engagement avec Assad était également une reconnaissance tacite que, malgré les efforts soutenus par l’Occident pour l’évincer, sa survie politique était devenue une réalité qui ne pouvait plus être ignorée. Le changement d’attitude par l’Arabie saoudite et les EAU faisait partie d’une réorganisation régionale plus large qui a poussé les deux pays à renouer le dialogue avec l’Iran.
L’Arabie saoudite et les EAU estiment que la priorité accordée par le nouveau pouvoir en Syrie à la reconstruction du pays leur offre un levier important pour l’influencer dans le sens de la modération de son idéologie et de ses politiques. Les deux pays, ainsi que les autres pays du Golfe, ont déclaré publiquement que les nouveaux dirigeants syriens devaient démontrer qu’ils seraient inclusifs et tolérants envers la diversité des sectes avant de pouvoir obtenir un soutien politique et financier en vue de la reconstruction.
Sur ce plan, le Qatar semble disposer d’une longueur d’avance. Doha — en concurrence avec Abu-Dhabi et Riyad — a déclaré être prêt à soutenir le gouvernement de transition en Syrie. Il avait maintenu des contacts avec le HTS et avec d’autres factions rebelles islamistes syriennes pendant la guerre civile. Profitant de cette position, le Qatar a négocié en décembre 2015 un accord d’échange de prisonniers entre le Front Al-Nosra, précurseur de HTS, et l’armée libanaise. Lorsque l’Arabie saoudite, les EAU et Bahreïn ont rompu leurs liens avec le Qatar en juin 2017, et l’une de leurs demandes pour rétablir les relations était que le Qatar rompe son soutien au Front Al-Nosra. Après l’éviction d’Assad, le Qatar a envoyé son ministre des Affaires étrangères, Mohammed bin Abdulrahman bin Jassim Al Thani, à Damas fin décembre. Il était le plus haut responsable gouvernemental du Golfe à rencontrer le gouvernement de transition. Ahmed Al-Chareh, l’homme fort de la Syrie, a par la suite déclaré que le Qatar recevrait la priorité pour son soutien au cours de la dernière décennie, faisant allusion au rôle qu’aura l’émirat dans les projets de reconstruction.
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