Ce serait même l’un des facteurs qui accéléreront le conflit autour de l’ordre mondial. En effet, depuis que la Russie est intervenue en Syrie pour protéger Bachar Al-Assad, le dossier syrien s’est en quelque sorte internationalisé. Ceci a ouvert la voie à une équation sécuritaire internationale-régionale aux dépens de l’Etat syrien, de sa souveraineté et au détriment de la sécurité régionale. Le régime a réussi, conformément à cette équation, à garantir sa survie. Mais, en même temps, cela a ouvert la voie à l’influence des acteurs internationaux et régionaux. Le plus dangereux est que ces acteurs comptaient principalement sur leurs agents en Syrie, notamment les milices armées. Ces agents ne s’entendaient pas toujours, mais leur objectif essentiel était d’instrumentaliser l’arène syrienne pour établir des équilibres internationaux et régionaux spécifiques allant de pair avec les intérêts de leurs parrains. Même si cela se faisait au détriment de l’Etat syrien ou d’autres Etats de la région. Le régime syrien a réussi à créer une équation avec ces acteurs, mais ne pouvait p as durer éternellement.
La situation actuelle en Syrie est aussi dangereuse que complexe. Dans ce contexte, deux choses sont à retenir. La première remarque concerne la nature du conflit en cours en Syrie. Certains soutiennent encore l’idée que c’était une lutte de pouvoir entre le régime et l’opposition. Dans ce sens, la chute du régime de Bachar Al-Assad ouvre la voie au changement politique et à la construction d’un régime démocratique. Or, la réalité actuelle diffère fondamentalement. Cette description était peut-être acceptable au début de la crise syrienne, mais aujourd’hui, il s’agit d’arrangements autour de l’Etat syrien. Aussi, s’appuyer sur les réactions positives de la rue syrienne à la chute du régime et à l’accueil favorable des nouveaux maîtres des lieux serait une lecture inexacte. Car il faut tenir compte du discours de ces derniers, qui cherchent à pousser la rue à s’adapter et à coopérer avec eux. Ce qui, avec le temps, pourrait bien évoluer.
La deuxième remarque concerne la leçon principale qui revient à chaque fois : le danger de sacrifier l’Etat national et les armées nationales. Ce que vit la région depuis 2011, voire depuis 2003, le confirme. La région s’éloigne de la stabilité et de la sécurité à mesure qu’elle s’éloigne de la stabilité de l’Etat national. Plus l’Etat national et les armées nationales régulières sont faibles, plus les risques de chaos sont grands.
Cette relation inverse se confirme si deux conditions supplémentaires sont remplies : les divisions ethno-religieuses et l’interconnexion sectaire et démographique avec les pays de la région. Plus ces divisions et ces enchevêtrements s’approfondissent, plus grandes sont les chances que les répercussions de l’effondrement de l’Etat et des armées nationales s’étendent au-delà des frontières dudit pays.
L’importance de cette conclusion est qu’elle établit la nécessité de construire rapidement un consensus régional sur le sauvetage de l’Etat syrien, basé sur une redéfinition de la nature de la crise et de la nature du conflit en cours en Syrie. Il existe des préoccupations politiques et sécuritaires de la part d’un certain nombre de parties régionales qui ne peuvent être niées, mais il existe également de forts intérêts arabes liés à la Syrie et à la région, qui ne peuvent être ignorés, niés ou exploités par aucune autre partie.
Par conséquent, lorsque les parties régionales et internationales abordent le dossier syrien, elles doivent cesser de présenter leurs préoccupations en matière de sécurité, sans que cela se fasse au détriment de la l’autodétermination, de l’avenir de l’Etat syrien ou de la société syrienne, car ce sont des questions qui reviennent uniquement au peuple syrien.
Cela signifie également la nécessité de partir d’une autre donnée, à savoir la nécessité de préserver l’armée syrienne, condition essentielle pour préserver l’Etat syrien.
Ici, nous devons nous inspirer des expériences d’autres pays de la région. Il doit y avoir une distinction stricte entre l’armée syrienne et le régime syrien. Cette distinction est rendue nécessaire par les répercussions dangereuses qui pourraient affecter tout le monde en cas d’effondrement de l’Etat syrien et de son armée régulière, compte tenu de la spécificité du dossier syrien dans la région.
Cela signifie également qu’il devrait y avoir un processus politique pour gérer une phase de transition, inspirée par les leçons des crises existantes dans la région. Il existe des conditions de base généralement acceptées pour construire un processus politique réalisable et durable, de sorte qu’il soit dans l’intérêt de la stabilisation de l’Etat syrien et de la construction d’un système politique stable et inclusif.
La première de ces conditions concerne le fait que ce processus politique soit national et qu’il soit la propriété du peuple syrien et des forces politiques syriennes, depuis sa formulation jusqu’à sa mise en oeuvre. La deuxième condition est de libérer ce processus de toute dépendance des équilibres extérieurs, afin que les parties extérieures n’aient le droit ni de perturber ce processus ni d’exercer un droit de veto sur celui-ci.
Une fois de plus, tout en comprenant les préoccupations sécuritaires des parties régionales, l’Etat syrien doit se contenter de répondre à ces préoccupations, et d’une manière qui ne se fasse pas au détriment de sa souveraineté et de sa sécurité nationale. Les expériences de la région montrent que la suppression du régime peut représenter le maillon le plus simple du processus de changement, mais que le plus difficile est le processus de construction d’un régime alternatif. La même expérience montre également que sans la présence et le maintien d’armées nationales, le processus de construction devient plus difficile et peut ne jamais démarrer.
Lien court: