Les bombardements intensifs de l’armée israélienne au Liban ont fait, jusqu’à vendredi dernier, 1 640 morts, 8 000 blessés et plus de 120 000 déplacés. Les dégâts considérables provoqués rappellent des scènes de la guerre de 2006 entre Israël et le Hezbollah, qui a fait environ 1 191 morts libanais. Ils rappellent également la « doctrine Dahiya » d’Israël, une stratégie militaire de longue date consistant à répondre aux attaques avec une force disproportionnée et des destructions massives.
Les frappes meurtrières d’Israël ont montré sa détermination à détruire les capacités militaires du Hezbollah, à décapiter ses dirigeants et à briser sa volonté, afin de le contraindre à cesser ses attaques transfrontalières qui ont forcé plus de 60 000 Israéliens à quitter leurs habitations dans le nord du pays. Les responsables israéliens estiment qu’en intensifiant leurs attaques, ils affaibliraient et déstabiliseraient le groupe et le forceraient à se retirer de la zone frontalière. La stratégie israélienne d’escalade militaire est fondée sur la conviction que le bombardement intensif du Hezbollah l’obligera à accepter un cessez-le-feu avant la fin de la guerre à Gaza. Or, le groupe chiite tient jusqu’ici à ne pas cesser ses frappes contre le nord d’Israël jusqu’à ce qu’un cessez-le-feu à Gaza soit accepté par Israël et le Hamas, l’allié de la milice. Après l’assassinat de Nasrallah, le groupe a promis de poursuivre son combat « en soutien à Gaza et à la Palestine, et en défense du Liban et de son peuple ».
La stratégie d’Israël compte sur sa supériorité aérienne pour mener des raids et des tirs de missiles contre les positions militaires et de commandement du Hezbollah. Tel-Aviv évitait de lancer une offensive terrestre contre le groupe chiite car l’armée israélienne est étirée entre les combats dans la bande de Gaza et ses attaques en Cisjordanie occupée, où elle mène régulièrement des raids sur les villes palestiniennes. Ouvrir un troisième front terrestre serait très risqué. Le Hezbollah contrôle une vaste zone montagneuse au Liban sud et est généralement considéré comme ayant une armée mieux entraînée que celle du Hamas, en plus de fortifications plus sophistiquées. Pour envahir le Liban, l’armée israélienne aurait très probablement besoin d’appeler des milliers de réservistes — dont beaucoup sont déjà fatigués de servir à Gaza au cours de l’année écoulée. Malgré les affirmations anonymes israéliennes selon lesquelles l’armée avait détruit jusqu’à 50 % de l’arsenal de missiles du Hezbollah de plus de 100 000, cela reste hautement improbable. Et bien que le commandement et le contrôle du Hezbollah aient été gravement endommagés, il est probable qu’il conserve une capacité significative.
Alors que le cabinet de sécurité israélien a déclaré que son objectif de guerre est le retour des personnes déplacées du nord, l’escalade risque au contraire de déplacer davantage d’Israéliens. En réalité, ni la campagne militaire d’Israël ni un cessez-le-feu réservé au Liban ne permettront d’atteindre l’objectif d’Israël. Toute décision du Hezbollah de retirer ses forces de la zone frontalière et de mettre fin au soutien au Hamas renforcerait la perception de sa faiblesse, l’exposant potentiellement, ainsi que ses alliés, y compris l’Iran, à une action militaire israélienne plus large. Le plus probable est que l’escalade israélienne en cours finira par forcer le Hezbollah à intensifier ses propres contre-attaques pour démontrer la crédibilité de sa capacité de dissuasion. L’intensification des frappes israéliennes pourrait, d’autre part, forcer l’Iran à renforcer son soutien militaire au Hezbollah, qui est au coeur de la stratégie de dissuasion régionale de Téhéran contre Israël et les Etats-Unis. Il est peu probable que la République islamique accepte la destruction de la capacité militaire de son principal partenaire régional. Tout recul dans le potentiel de dissuasion du Hezbollah sera probablement compensé par l’Iran.
Même si une pause temporaire peut éventuellement être obtenue grâce aux pressions diplomatiques des Etats-Unis et de la France, sans progrès vers un cessez-le-feu dans la bande de Gaza, la confrontation du Hezbollah avec Israël se poursuivra. Cela pourrait conduire Israël à lancer une offensive terrestre dans le Sud-Liban dans le but de créer une zone tampon le long de la frontière. Mais cette mesure a peu de chances de réussir étant donné la portée étendue de l’arsenal du Hezbollah et ne fera que renforcer la volonté du groupe de riposter. Les forces terrestres israéliennes pourraient rapidement se retrouver enlisées, combattant une insurrection prolongée avec une force de plus en plus débordée qui se bat déjà à Gaza et en Cisjordanie. Si l’Histoire a quelque chose à apprendre à Israël, à la suite de ses invasions passées du Liban en 1978 (ciblant les bases de l’OLP), en 1985 (menant à une occupation qui a duré jusqu’en 2000) et en 2006, toute incursion terrestre est plus susceptible qu’improbable de ne pas atteindre ses objectifs. A long terme, il est utile de rappeler qu’Israël a assassiné les anciens dirigeants du Hamas, Ahmed Yassin en 2004, et du Hezbollah, Abbas Al-Musawi en 1992. Dans chaque cas, les groupes se sont rétablis et ont gagné en force.
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